Refuser la repentance coloniale
Intervention de Bernard Lugan, historien, directeur de la revue L’Afrique réelle, lors du colloque « Fiers d’être Européens » le 7 avril 2018.
Je vous remercie mes chers amis, mes chers camarades, mes chers compatriotes patagons.
La repentance, nous y sommes. Et cette repentance s’illustre par une phrase et par un événement tout à fait extraordinaire. Le 10 mai 2001, à l’unanimité et durant la présidence de Jacques Chirac, les députés français, y compris les députés de droite, ont voté une loi, la loi dite « Taubira ». Cette loi qualifie de crime contre l’humanité la traite esclavagiste. Mais pas n’importe quelle traite esclavagiste : la seule et unique traite esclavagiste européenne.
Avec cette loi, nous sommes au cœur du processus révolutionnaire. La révolution marxiste a laissé la place à un autre type de révolution et notre ami Javier Portella l’a bien démontré tout à l’heure.
Cette loi est tout à fait extraordinaire car elle passe sous silence la principale traite qui était la traite arabo-musulmane. Cette loi passe sous silence cette apocalypse continentale que fut la traite arabo-musulmane.
Une traite qui débuta dès le début de la colonisation arabo-musulmane, au tout début de l’expansion, et qui se continue aujourd’hui encore puisqu’en Mauritanie, il y a toujours de l’esclavage.
Une traite qui a été abolie par qui ? Par nous ! Par la colonisation !
Une traite qui, notamment dans tout l’Afrique orientale, a été abolie par les pères blancs, par la colonisation allemande, britannique, belge…
Une traite qui dévastait tout l’ouest-africain et qui fut abolie par qui ? Et bien par nos anciens des troupes de Marine qui, sur les lieux même aujourd’hui où nous jeunes camarades combattent, luttaient déjà à l’époque contre les mêmes – c’est-à-dire contre les nordistes esclavagistes qui ravageaient les sudistes bambaras, très exactement au même endroit.
Nos anciens se battaient là où, aujourd’hui, Barkane tend ses embuscades contre les descendants de ces esclavagistes. Et pas un mot de cette traite. Et pourquoi ?
Avec une franchise révolutionnaire digne des plus grands champions de la Guépéou, Christiane Taubira, dans un entretien pour L’Express du 4 mai 2006 expliquait que cette réalité de la traite arabo-musulmane avait été passée sous silence « afin que les jeunes arabes ne portent pas sur leur dos tout le poids de l’héritage des méfaits des Arabes. » C’est quand même extraordinaire.
Alors, nous sommes là au cœur du problème. Car nous sommes au cœur de l’école de la culpabilisation européenne. Que nous dit cette école ? Que c’est grâce aux profits de la traite européenne que la révolution industrielle européenne s’est produite. Donc que la substance volée à l’Afrique est à l’origine de la richesse de l’Europe. Dans ces conditions, nous sommes redevables aux Africains d’aujourd’hui que nous devons accueillir car nous les avons pillé et construit notre richesse sur leur dos.
Mes chers amis, l’histoire a fait litière de cela. On me reproche souvent de parler de l’école anglo-saxonne mais l’avantage du libéralisme au sens anglo-saxon est qu’il n’a pas de tabou et que les découvertes scientifiques réalisées dans le monde anglo-saxon passent dans la réalité de tous les jours alors qu’en France de grands chercheurs ont traité la question mais n’arrivent pas à franchir le mur du silence à cause du « cercle de feu » car tous les programmes du secondaire sont faits par des bolcheviks ou des post-bolcheviks. Parce que les livres du secondaire sont faits par des gens qui sont partisans de l’école de la culpabilisation, parce que le corps enseignant est décérébré et parce que nos hommes politiques n’ont rien au fond de la culotte.
Donc, ce que nous savons nous historiens, c’est que l’Europe ne s’est pas enrichie par la traite. Et je vais vous prendre aujourd’hui l’exemple du monde britannique. Je vais être un eut technique après ces propos « mousquetaires ».
Les Britanniques, notamment nos collègues d’Oxford et Cambridge, ont publié depuis 20 ans des sommes considérables, d’énormes livres que personne ne lit en France bien entendu.
L’esclavage a-t-il été à l’origine de la révolution industrielle britannique ? Non, pour trois raisons :
1) Au 18e siècle, à l’époque de l’apogée de la traite, les navires négriers anglais représentaient seulement 1,5 % de la flotte commerciale anglaise et moins de 3 % de son tonnage.
2) Les historiens britanniques, qui ont travaillé d’une manière économique, d’une manière sérieuse, ont montré que la contribution de la traite à la formation du capital anglais se situa annuellement à l’époque de la traite à 0,11 %.
3) Les bénéfices tirés de la traite ont représenté moins de 1 % de tous les investissements liés à la révolution industrielle anglaise.
Alors, certes, des Anglais s’enrichirent, mais pas l’Angleterre.
Ceci est un problème fondamental. En France, nous avons les mêmes études, Olivier Pétré-Grenouilleau – comme en parlait mon collègue Olivier Dard tout à l’heure – a démontré cela. Il a démontré que la traite n’est pas à l’origine de la révolution industrielle française.
Alors, trois questions.
1) Prenons le problème par l’absurde. Comment expliquer, si la traite avait été à l’origine de la révolution industrielle française, qu’elle n’ait pas eue lieu au 18e siècle, apogée de la traite française ? Si, à la fin du 18e siècle, le commerce colonial français était supérieur au commerce colonial anglais, pourquoi la France n’a-t-elle pas fait sa révolution industrielle alors que le l’Angleterre l’a faite.
2) Pourquoi la révolution industrielle française s’est-elle produite après l’abolition de la traite et non pas à l’époque de la traite ?
3) Pourquoi cette révolution industrielle s’est-elle faite, non pas à Nantes, non pas à Bordeaux mais en Lorraine et dans la région lyonnaise, loin des ports négriers des siècles précédents. Il n’y a pas de rapport. C’est sur d’autres critères que se fait la révolution industrielle.
Le Portugal occupait une partie énorme de la traite dans toute la zone du Golfe de Guinée jusqu’en Angola. Il contrôlait 45 % d’une zone regroupant 60 % de la traite totale.
Si les profits de la traite expliquaient la révolution industrielle, aujourd’hui le Portugal devrait être une grande puissance, d’autant plus que ce pays a décolonisé beaucoup plus tard. Or, le Portugal n’a jamais fait sa révolution industrielle et, jusqu’à son entrée dans l’Europe, était une sorte de tiers-monde.
Et enfin, que dire de l’industrialisation de pays qui n’ont jamais pratiqué – ou de manière anecdotique, la traite ?
Que dire de la révolution industrielle de l’Allemagne ou de la Suède, pays qui n’ont pas pratiqué la traite ?
Nous sommes en fait face à un pur mensonge qui va évoluer également dans la mesure où on veut nous dire : « Mais la traite, non seulement a été un moyen pour l’Europe de s’enrichir mais, en plus, nous l’avons introduite en Afrique. Nous avons provoqué la vente des hommes. »
Là encore, nous sommes dans le mensonge le plus total car la traite a toujours existé en Afrique. Elle a existé d’une manière traditionnelle, elle a existé dans la société arabo-musulmane. Car la réalité, c’est qu’une partie de l’Afrique s’est enrichie en vendant l’autre partie de l’Afrique. La réalité, c’est que la traite des Noirs a été faite par d’autres Noirs, des Noirs qui ont vendu leurs frères Noirs.
Toutes ces tâches rouges sur la carte sont des royaumes esclavagistes partenaires des Européens. Car les Européens n’allaient pas chercher les esclaves. Pourquoi risquer les maladies, le vomito-negro…
Ils arrivaient sur les bateaux et attendaient que leurs partenaires, qui étaient les maitres des flux du marché, viennent livrer les gens qu’ils avaient capturés ou achetés plus au nord.
Tous ces royaumes ont tiré une fortune considérable, et d’ailleurs, cette zone va s’appauvrir après l’abolition. Car c’est leur ressource qui disparait.
Ces royaumes qui furent tout à fait rayonnants fin 17, 18e et 19e vont disparaitre au 19e siècle quand les Européens auront aboli la traite. Et c’est à ce moment que la décadence de la zone côtière va apparaitre et que va renaitre la zone sahélienne.
C’est un phénomène qui est parfaitement connu, qui a fait l’objet de dizaines de thèses que nous connaissons tous. A la différence de l’Angleterre, ces idées ne passent pas dans le grand public. Pourquoi n’y a-t-il pas ce problème de la repentance en Angleterre ? Tout simplement car les découvertes universitaires ne sont pas censurées par la doxa officielle. En France, nous sommes dans une Albanie mentale et dans le dernier pays post-marxiste.
Un exemple. Voyez ces royaumes. En 1750, le roi du Dahomey, grand royaume esclavagiste, Tegbessou, vendait chaque année plus de 9 000 esclaves que ses forces capturaient plus au nord aux négriers européens. Et les revenus qu’il en tirait ont été calculés. Car les Britanniques sont les spécialistes de l’histoire économique. Le roi Tegbessou avait des revenus qui étaient infiniment supérieurs à ceux des armateurs esclavagistes de Liverpool ou de Nantes.
Mes chers amis, la vérité est là. Voilà où nous en sommes. Nous n’avons pas pillé l’Afrique à l’époque de la traite. Non seulement nous ne l’avons pas pillée mais c’est nous qui avons libéré les Africains de la traite. Et nous sommes donc autorisés à dire « non ». Il faut savoir dire « non ». Mais pour dire « non », il faut avoir du courage et puisque j’ai commencé en citant la catastrophe que fut la période chiraquienne avec la loi mémorielle Taubira, je vais terminer par une autre phrase de Jacques Chirac qui va permettre de rétablir l’équilibre.
Pour dire non, il faut avoir du courage. Et pour avoir du courage, il faut connaître cette phrase de Jacques Chirac : « Il y a une chose qu’il est impossible de greffer, et cela par manque de donneurs : les couilles ! »
Bernard Lugan
Crédit photo : © Institut ILIADE