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La Chandeleur, lumière et battements d’ailes

La crêpe est le symbole du soleil nouveau et si on la fait bien sauter de la poêle le nouveau soleil sera favorable. La pièce d’or tenue en main en est le garant.

La Chandeleur, lumière et battements d’ailes

Ce qui subsiste des traditions religieuses, dans l’actualité de notre monde désacralisé, ce ne sont guère plus que les usages profanes, ceux qui sont en rapport avec la vie courante, qui demeurent attachés par l’usage à ces traditions. Le folklore gourmand est peut-être ce qu’il y a de plus résistant en regard des funestes bouleversements qu’apporte une sombre modernité dans la vie de tous les jours.

La seule chose qui puisse encore définir aujourd’hui la fête de la Chandeleur, hors d’un contexte liturgique, c’est une rondeur dorée de lune printanière se levant sur un horizon glacé. C’est la crêpe, la crêpe comme une auréole à l’odeur de sainteté, même si son arôme n’est que de fleur d’oranger. Et puisqu’il ne reste qu’elle, dans l’orbe communautaire, pour nous dire que le printemps n’est pas loin, il faut tenter de recouvrer le caractère sacré et symbolique que cet aliment rituel possède intrinsèquement. Les écrits traditionnels nous le confirment à toutes les époques. Ainsi en est-il de ce ton de poésie sensible que développe Marie Rouanet dans Bonheur des jours :

En février, nous arrive la Chandeleur, fête blanche où la lumière odorante de la cire d’abeille évoque le perceptible accroissement des jours. Que la liturgie de ce jour est belle ! Mais qui la suit, qui revient chez soi avec le cierge qui servira au chevet des morts ? Il nous reste la crêpe. Contentons-nous d’elle pour faire parler les symboles.
La crêpe réjouit tous les âges. On peut se demander pourquoi. Elle est ronde comme la terre, le soleil et surtout la lune. Pliée en deux ou en quatre, roulée puis avalée – donc disparue – elle est l’image de cet astre qui croît, s’amenuise et disparaît. Faire une crêpe, la manger, c’est affirmer son pouvoir sur l’inaccessible cosmos.

Il est vrai que faire sauter la crêpe en serrant une pièce d’or dans l’autre main, le soir du 2 février, est une pratique qui résiste aux siècles. Dans ce porte-bonheur il faut voir une joie toute simple, une joie qui peut ramener à cette lumière de l’office processionnel que nous devrions accueillir et porter au monde.

Jadis, en ce 2 février, peuple et clergé promenaient en procession des chandelles de cire allumées. Cette festa candelorum, fête des lumières, rappelant les antiques cortèges en l’honneur de Cérès et de Pluton, a donné le nom populaire de Chandeleur à cette Rencontre liturgique du Dieu vivant avec le Temple éternel dans l’intériorité de l’âme.

Que de belles coutumes entourent cependant l’ultime solennité du cycle de Noël en ce milieu de l’hiver. La première crêpe, enveloppée d’un papier, s’empoussiérait toute l’année au-dessus de ces buffets de grands-mères dans la salle à manger. Elle devait nourrir et calmer les méchants esprits qui hantent les demeures des hommes. De ferme en ferme les enfants allaient quêtant, une chandelle à la main, pour récolter de quoi faire de bonnes crêpes et offrir un cierge de belle cire pour l’autel de la Vierge le jour de la Purification.

Nuit noire de février où le ciel reste désespérément obscur. La Chandeleur, quarante jours avant l’équinoxe solaire et printanier, coïncide avec la nouvelle lune et on peut se demander si la crêpe que l’on fait sauter dans la poêle et que l’on place au-dessus de l’armoire n’est pas un substitut de l’astre nocturne.

Le mois de février est un mois féminin. Il ouvre son premier jour avec la sainte Brigitte et la grande fête celtique saisonnière appelée Imbolc. Le lendemain, 2 février, nous fêtons la Chandeleur et dans un contexte chrétien la Purification de la Vierge. En latin le mot februa désigne les fêtes de purification qui avaient lieu dans le monde antique à ce moment de l’année et qui se prolongent dans nos rites chrétiens contemporains. L’origine de ces célébrations doit se situer au début de l’aventure humaine en relation avec le culte de la Grande déesse de la chasse, celle que l’on désigne comme déesse noire et qui demeure enfermée dans sa crypte au temps froid comme l’ours dans sa caverne.

Cet enfermement accompagne une méditative purgation, solitaire et silencieuse de tous les sens. Dans la perspective cosmogonique la nature toute entière doit se purifier des souillures de la Vieille Année. C’est une façon pour la Grande chasseresse de concevoir sa propre lumière dans l’obscurité, la lumière du nouveau soleil qui est aussi le soleil de l’âme.

Si nous prenons le mot Chandeleur dans son sens traditionnel, comme nous l’avons vu, la purification est ce qui efface une souillure, la trace d’une impureté. Purifier l’eau c’est la libérer des ferments mauvais qui l’ont entachée. L’origine du mot pur vient du grec puros qui est aussi le feu qui chez l’homme est représenté par le sang. Mais chez la femme le sang va au-delà de la vie personnelle car il participe de toute vie future.

À l’équinoxe de printemps, si proche de l’Annonciation du 25 mars, le cycle du sang flamboyant dans le corps de la Vierge implique une métamorphose qui va connaître son apogée au solstice d’hiver. C’est quarante jours après la naissance divine que le cycle du sang va retrouver en Marie sa périodicité coutumière.

La Purification est alors la fête du feu nouveau. C’est le symbole d’une lumière pâle qui au-delà du gris de l’hiver annonce la clarté nouvelle du printemps. C’est au début de février que les Lupercales romaines célébraient la louve nourricière des deux jumeaux, Romulus et Remus. La présence du loup semble inséparable de la lumière apollinienne

La tradition archaïque donne souvent au loup comme à l’ours un statut analogue où l’on reconnaît une alliance possible avec les humains. Ainsi naissent les innombrables enfants ours qui alimentent le folklore de l’Europe. Jean de l’Ours est bien entendu la figure la plus connue. Et de même le loup nourri des enfants abandonnés mais il peut aussi hanter le monde humain sous forme de loup-garou.

Dans les Lupercales, il était d’usage de faire des processions nocturnes à la lueur des torches. Ces processions saluaient la sortie du loup hors de sa tanière hivernale. Nombre de nos proverbes disent qu’à la Chandeleur le loup et l’ours mettaient le nez à l’entrée de leur caverne. S’ils sentaient que l’hiver allait vers sa fin ils sortaient, dans le cas contraire ils regagnaient leur gîte nocturne pour les quarante jours à venir.

La Vierge dont il est question à la Chandeleur est la Vierge Noire. On la révère en bien des lieux comme au Puy-en-Velay, à Einsiedeln en Suisse, mais aussi à Marseille. C’est dans le sillage des anciennes déesses-mères que ce culte s’est instauré, lié à la lune et dont Ishtar, la déesse babylonienne de la rosée est le modèle le plus accompli. Ces déesses sont noires parce qu’elles demeurent dans la caverne, cette caverne qui devient crypte et qui a toujours été pour les hommes le centre de la Connaissance secrète. Et ce voyage initiatique dans la profondeur du monde souterrain a certainement ses racines jusqu’au plus lointain du néolithique.

Cette déesse noire nous la retrouvons même en Inde sous le visage de Kali ainsi qu’en Égypte où Isis est représentée sous les traits d’une femme noire portant l’enfant Horus. Ces déesses sont associées à la lune parce qu’elles partagent le domaine du nocturne. Aussi bien l’Artémis grecque que la Diane romaine, ces déesses noires, semblables aux Lares, sont couronnées du croissant lunaire et portent une torche, la Vesta, un nom parfois donné à Diane.

La Vierge chrétienne assure le destin des déesses noires du monde ancien. L’association de Marie et de l’antique déesse noire se manifeste avec une force particulière dans l’Irlande celtique. Une des quatre fêtes essentielles de cette Irlande est Imbolc du 1er février. C’est le soir où on ranime le feu dans tous les foyers d’Irlande. On le bénit au nom de sainte Brigitte qui n’est que la forme christianisée de l’antique déesse Brigentis dont le culte était très répandu dans la verte Érin.

L’Église primitive lutta contre le culte des vierges noires mais la dévotion populaire l’emporta, nourrie d’ailleurs des souvenirs du paganisme. Ce n’est qu’au IXème siècle que le puits sacré et la Vierge noire furent englobés dans la nouvelle cathédrale de Chartres. Pierre Gordon nous dit à propos de ces Vierges des lumineuses ténèbres :

Un aspect curieux de cette lutte ecclésiastique contre les Vierges noires est que souvent le clergé les arracha aux vénérables foyers initiatiques où elles siégeaient depuis des millénaires. Invinciblement elles y revenaient. Ce qui veut dire que le peuple substituait des effigies nouvelles à celles qui avaient été enlevées. Tout au plus consentaient-elles à passer l’hiver au village où le prêtre chrétien les avaient amenées ; dès la belle saison, elles regagnaient l’antique monde souterrain qui constituait, à l’écart, leur vieux domaine, celui où les néophytes des âges anciens passaient leur temps de réclusion. Si bien que finalement, l’agglomération se forma autour de ce domaine sacro-saint. L’on discerne clairement par-là que la madone noire était liée, par essence, à l’univers de sous-terre, à ce royaume de l’ascèse initiatique, où l’homme s’imprégnait de lumière et de force.
Pierre Gordon, Les vierges noires, éd. Arma Artis, p. 3

Pierre Gordon analyse les tensions profondes de l’âme populaire. Elle touche la réalité instinctive des formes illuminatrices émanant du monde souterrain. C’est une quête spirituelle qui se situe au niveau le plus simple et qui ne peut atteindre la divinité que dans un au-delà du formalisme et du marchandage d’un exercice de prière qui n’a plus sa force originelle.

Une transformation profonde de l’âme, un don total de soi, est indispensable pour que s’entrouvre la porte de l’immortalité. Pas de résurrection sans mort, sans cette mort qui se réalisait jadis, aux côtés de l’Initiatrice noire, dans l’obscurité de la grotte. C’est ce bienfait spirituel que l’on demande partout, plus ou moins expressément, aux Mères et aux Vierges de teinte brune. Elles paraissent plus puissantes parce que, durant des millénaires, elles ont atteint la pensée de l’homme dans ses profondeurs ; elles semblent dès lors davantage en mesure de susciter dans les cœurs ces mouvements de rénovation, ces sursauts intimes qui, à défaut de la satisfaction des désirs, donnent la sérénité et le courage. Par-là, mieux que les autres, elles font boire à la source de vie. Leur attrait est d’être Notre-Dame des Ténèbres, Notre-Dame de la Nuit, celle qui fait luire la clarté dans la prison souterraine où se trouve jeté l’homme, celle qui enfante pour lui la lumière, celle qui lui apporte l’or et le soleil, celle qui est la fontaine de radiance et la Reine du ciel.
Pierre Gordon, Les vierges noires, éd. Arma Artis, p. 4

Nous voyons ainsi qu’il n’est aucune différence de nature entre l’expérience mystique la plus subtile et l’intuition immédiate du divin chez l’âme populaire. La Vierge Noire qui doit être associée à la Chandeleur est celle de la basilique Saint-Victor de Marseille.

À l’origine, sur une hauteur dominant un ravin, la Mère Noire régnait dans une grotte. Un puits fournissait l’eau sainte. À l’époque romaine la grotte devient une crypte chrétienne avec une église édifiée au-dessus et dans laquelle la Vierge Noire est fêtée le 25 mars, jour de l’Annonciation. Mais dans la crypte c’est à la Chandeleur que la Vierge est exposée et les pèlerins descendent en procession au matin du 2 février, tenant en main un cierge de couleur verte. La Vierge Noire est vêtue de vert et de noir et tient l’Enfant divin vêtu de vert. La procession était interdite aux femmes jusqu’au 17ème siècle.

Une très ancienne légende de la cité phocéenne est à l’origine de ces cierges verts. Le mystérieux alchimiste Fulcanelli l’évoque ainsi dans ses Demeures philosophales :

Une jeune fille de l’antique Massilia nommée Marthe, simple petite ouvrière et depuis longtemps orpheline, avait voué à la Vierge noire des cryptes un culte particulier. Elle lui offrait toutes les fleurs qu’elle allait cueillir sur les coteaux : thym, sauge, lavande, romarin, et ne manquait jamais, quelque temps qu’il fit, d’assister à la messe quotidienne. La veille de la Chandeleur, fête de la Purification, Marthe fut éveillée au milieu de la nuit par une voix secrète qui l’invitait à se rendre au cloître pour y entendre l’office matinal. Craignant d’avoir dormi plus qu’à l’ordinaire, elle se vêtit en hâte, sortit, et comme la neige étendant son manteau sur le sol réfléchissait une certaine clarté, crût l’aube prochaine. Elle atteignit vite le seuil du monastère dont la porte se trouvait ouverte. Là, rencontrant un clerc, elle le pria de bien vouloir dire une messe en son nom.
Mais dépourvue d’argent, elle fit glisser de son doigt un modeste anneau d’or, sa seule fortune et le plaçât en guise d’offrande sous un chandelier d’autel. Aussitôt la messe commencée, quelle ne fut pas la surprise de la jeune fille en voyant la cire blanche des cierges devenir verte, un vert céleste, diaphane et plus éclatant que les plus belles émeraudes ou les plus rares malachites. Elle n’en pouvait croire ni détacher ses yeux.
Quand l’ite missa est vint l’arracher à l’extase du prodige, quand elle retrouva au dehors le sens des réalités familières, elle s’aperçut que la nuit n’était point achevée. La première heure du jour sonnait seulement au clocher de Saint-Victor. Ne sachant que penser de l’aventure, elle regagna sa demeure mais revint de bon matin à l’Abbaye et il y avait déjà dans le saint lieu un grand concours de peuple. Anxieuse et troublée, elle s’informa. On lui apprit qu’aucune messe n’avait été dite depuis la veille. Marthe, au risque de passer pour visionnaire, raconta par le menu le miracle auquel elle venait d’assister quelques heures plus tôt et les fidèles en foule la suivirent jusqu’à la grotte. L’orpheline avait dit vrai : la bague se trouvait encore au même endroit sous le chandelier et les cierges brillaient sur l’autel de leur incroyable éclat vert.
Fulcanelli
, Les Demeures philosophales, tome II, p. 318

Il est certain que Fulcanelli voit d’abord dans cette légende des cierges verts le travail allégorique de l’alchimiste qui doit extraire l’esprit vivant et lumineux du métal grossier. Il renferme un feu secret sous la forme d’un cristal vert translucide que les sages nomment VITRIOL.

Mais ce vert nous renvoie aux expériences spirituelles les plus anciennes de l’humanité. C’est le triomphe de la végétation qui se manifeste autour de la Vierge verte avec la circulation des cierges, qui habitent les ténèbres de la crypte. Ils donnent à la nuit son âme lumineuse. C’est l’esprit du végétal enfermé dans le sol et qui va se hausser à la clarté du jour. C’est dans cette conjonction du nocturne lunaire et du diurne solaire qu’il faut chercher l’origine des crêpes de la Chandeleur.

La crêpe est le symbole du soleil nouveau et si on la fait bien sauter de la poêle le nouveau soleil sera favorable. La pièce d’or tenue en main en est le garant.

Les cierges bénis à la Chandeleur vont conserver leur vertu au long des saisons. En certaines provinces ils sont portés au chevet des morts pour favoriser le passage dans l’au-delà. Ils éloignent aussi les sorciers et les mauvais esprits ainsi que la foudre.

En sortant de la crypte de Saint-Victor les pèlerins achètent des petits pains en forme de barque et qu’on appelle d’ailleurs des navettes. Pierre Gordon nous dit :

S’ils achètent cette navette en pâte, c’est qu’à une époque révolue, ici comme ailleurs, il fallait traverser l’eau pour venir dans le lieu d’initiation et pour s’en éloigner. La navette provençale est, par son origine et comme toutes les embarcations religieuses, une survivance du vaisseau du salut. (ibid, p. 6)

Celle qui conduit les humains à cette navigation sacrée c’est la déesse primitive dont le christianisme a transformé les traits pour en faire la Vierge Marie. Mais elle règne toujours sur cette période de l’année placée sous le signe du Verseau. Cette figure féminine possède le secret de toute magie, elle transforme le noir en blanc. C’est ici l’appel que nous adresse la Chandeleur. Au travers de la grande métamorphose qui s’annonce dans la nature avec le printemps, c’est aussi tout notre être qui est convié à la métamorphose.

Gérard Leroy