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Alain de Benoist : Europe, Tiers monde, même combat

Un livre oublié par beaucoup, et souvent mal compris par d’autres, en particulier par ceux qui n’en ont lu que le titre.

Alain de Benoist : Europe, Tiers monde, même combat

Sous différentes formes (éditoriaux, articles, livres), Alain de Benoist est un auteur prolifique ; ses publications décryptent l’actualité sociale et politique – c’est même précisément l’objectif de certaines d’entre elles – en proposant une critique propre à leur auteur, cohérente depuis plusieurs décennies et particulièrement originale parmi les idées d’aujourd’hui. Pour autant, au-delà des mises à jour qui accompagnent le mouvement du monde, il n’est pas inutile de revenir parfois sur des écrits plus anciens. C’est ce que nous proposons ici avec Europe, Tiers monde, même combat, publié en 1986 dans la collection « Franc-Parler » des éditions Robert Laffont. Un livre oublié par beaucoup, et souvent mal compris par d’autres, en particulier par ceux qui n’en ont lu que le titre.

Une partie du livre appartient désormais à l’histoire. Elle nous plonge dans un débat qui nous est devenu presque inconnu aujourd’hui : celui de l’économie de la colonisation, et surtout des idéologies qui l’ont soutenue ou qui l’ont combattue, depuis son origine au XIXe siècle jusque dans la gauche des années 1970, avec comme prolongement la naissance du « tiers-mondisme ». Alain de Benoist l’analyse essentiellement sous le prisme du nationalisme, en rappelant d’une part qu’il existait à cette époque en Europe occidentale deux formes de nationalismes, l’un de type « revanchard » centré sur le continent, l’autre de type « impérial » tourné vers l’expansion. Il souligne d’autre part un paradoxe majeur qui résonne encore actuellement dans les discours « indigénistes » avec un glissement du nationalisme vers le racisme : la décolonisation a été un phénomène essentiellement nationaliste appuyé en Occident par ses adversaires les plus farouches.

Mais le sens de l’ouvrage ne se résume pas à cette simple lecture de l’histoire. Il l’utilise, en réalité, pour poser l’idée qu’après avoir inventé, puis critiqué le colonialisme, l’Europe a à son tour adopté une mentalité de colonisé. Rappelons qu’au milieu des années 1980, la guerre froide est particulièrement vigoureuse, et que l’avenir de l’Europe s’inscrit dans une alternative bipolaire imposée par une nouvelle forme d’aliénation coloniale : l’Est (soviétisme) qui emprisonne et prive des libertés individuelles, ou l’Ouest (libéralisme) qui désagrège les sociétés organiques en dépersonnalisant les peuples. Dans ce contexte, l’idée que l’Europe et le Tiers monde peuvent s’unir dans un même combat vers l’autonomie ne signifie pas qu’ils sont une seule et même chose, mais simplement qu’ils se retrouvent tous deux dépossédés de leur souveraineté légitime.

Ce dernier point, parfaitement clair, est certainement le plus fondamental. Il s’inscrit dans une logique différentialiste héritée du relativisme culturel de Johann Gottfried von Herder ou de Claude Lévi-Strauss qui, face à toute forme d’universalisme, milite pour que les peuples puissent continuer à être ce qu’ils sont comme ils l’entendent, dans toutes les différences qui les caractérisent et qui font leur richesse. Cette richesse, de surcroît, ne peut s’exprimer qu’en dehors de tout absolu économique (communiste ou capitaliste), théoriquement valable « partout » ; c’est avant tout sa culture spécifique, organique et autonome, qui forge l’identité d’un peuple et qui lui permet d’envisager son avenir comme un destin. L’idée de l’Europe et du Tiers monde unis « dans un même combat » découle donc du fait qu’ils sont incomparables dans leur organisation et dans leur façon d’être au monde, donc non assimilables, et implique justement qu’ils doivent le rester.

Olivier Eichenlaub

Alain de Benoist, Europe, Tiers monde, même combat, Paris, Robert Laffont, « Franc-Parler », 1986, 253 p.