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L’homme a-t-il dégénéré ?

Par Julien Rochedy. Colloque du samedi 15 avril 2023.

L’homme a-t-il dégénéré ?

La question de la dégénérescence de l’homme appartient sans doute aux questions parmi les plus politiquement incorrectes de notre époque. Le simple fait de l’’évoquer suffit à nous faire plonger en eaux troubles et beaucoup aimeraient – vous vous en doutez –  directement nous y noyer.

J’ajouterais que, de surcroît, la brûlure que cette question fait à la conscience s’amplifie à l’idée qu’elle nous concerne tous et pourrait bien tous nous accuser. Si l’homme dégénère, il se peut qu’il ne s’agisse en effet pas seulement de l’autre, mais bien aussi de nous-mêmes.

Le « dégénéré » se glisse souvent parmi nos ennemis jusqu’à le caractériser entièrement – du moins, c’est ce que chaque groupe politisé aime à croire – mais peut-être que le dégénéré est également, dans un même mouvement, assis dans cette salle, ou pourquoi pas même, debout.

Pour le camp d’en face au sens large – de gauche pour résumer un peu grossièrement d’un mot – l’homme n’est pas censé dégénérer puisque le mouvement de l’histoire ou les simples effets du progrès l’améliorent au contraire. Il est mieux éduqué ou il s’émancipe de vieux carcans réducteurs, et ainsi déploie-t-il ses ailes pour que l’humanité donne, enfin, son entière mesure.

En conséquence le discours sur la dégénérescence est forcément perçue par ce camp comme un décadentisme qui s’oppose à l’optimisme à l’égard du devenir humain pour plutôt louer les commencements – ce en quoi il révèle, coupablement bien sûr, son dessein implacablement réactionnaire.

Pourtant, dégénérescence et décadence ne sont pas exactement la même chose d’un point de vue épistémologique et politique. J’en veux pour preuve que beaucoup de partisans zélés du progrès humains, notamment au XIXe siècle, pensèrent la question de la dégénérescence de notre espèce et s’en alarmèrent car, précisément, celle-ci allait faire obstacle au Progrès.

La pensée anglo-saxonne, avec les anglais comme Kipling jusqu’à Julian Huxley, en passant par les américains comme Emerson ou Théodore Roosevelt dans son Winning of the West, jusqu’à Jack London par exemple, sont pleins de ce désir de progrès qui se marrie absolument et j’allais dire logiquement avec une préoccupation très marquée pour la valeur de l’homme.

De la même manière, la plupart des eugénistes français, anglais, allemand, du XIXe et du XXe siècle n’étaient pas de réactionnaires au sens où on l’entend aujourd’hui : leur désir n’était pas de revenir à une société passée mais de contrecarrer la dégénérescence supposée de l’homme, laquelle allait mettre un terme, justement, au progrès, et ainsi fatalement contrarier l’avenir.

Il y eut à ce titre de nombreux eugénistes de gauche et même marxistes qui se mirent à penser que la société idéale socialiste ne pourrait pas advenir avec des sauvages, des brutes, des faibles d’esprit et des médiocres. Ceux-ci pouvaient déclarer comme un Georges Bernard Shaw dans son Bréviaire du Révolutionnaire, je cite pour l’exemple : « Notre seul espoir est dans l’évolution. Le seul socialisme fondamental et possible est la socialisation de la génération sélective de l’homme ou en d’autres termes de l’évolution humaine. Nous devons éliminer la Brute ou son vote ruinera la communauté. » Par Brute il entendait l’abruti et le dégénéré.

Il y eut d’autres penseurs de gauche plus étonnants encore qui eurent les mêmes idées, comme le docteur Magnus Hirschfeld par exemple, social-démocrate, Juif, pionnier de la cause homosexuelle, anti-nazi rabique, pouvait écrire dans son Manuel de sexologie, je cite  : « Nous voulons que le plus grand nombre possible d’hommes aient les meilleurs gènes possibles. C’est ainsi que l’humanité pourra parvenir à un stade de développement supérieur. »

Autrement dit, la dégénérescence de l’homme pouvait signifier la fin du progrès, ce qui situe donc cette question sur des rivages différents, j’ai envie de dire parallèles, à la question classique droite/gauche – réaction contre progrès. C’est plus emmêlé que cela !

L’eugénisme, c’est-à-dire le désir d’améliorer le matériel humain, pourrait être totalement appréhendé comme un phénomène moderne en vérité – en cela qu’il souhaitait la perpétuation du progrès sur des bases matérielles comme toute pensée moderne – mais au moins l’eugénisme allait au bout de son matérialisme puisqu’il intégrait les hommes à celui-ci.

En un sens et si vous me permettez, le progressisme actuel est une sorte de matérialisme dégénéré puisqu’il n’ose plus, lui, inclure les hommes dans le domaine des choses matérielles qui sont pourtant, selon ses propre doctrines, n’être que ce qui existe vraiment.

On pense ainsi pouvoir aujourd’hui faire progresser la société sans se pencher sur le problème de la progression ou de l’affaiblissement du matériel génétique humain. A cause de l’expérience national-socialiste allemand et de la réaction foncièrement et fanatiquement anti-essentialiste de la pensée occidentale après la seconde guerre mondiale, on a dès lors sorti l’homme de la nature, de l’évolution et de ces affaires matérielles.

L’homme est devenu comme une exception dans le monde ; il possède comme un joker, il dispose comme d’un collier d’immunité matérialiste en somme ; et il est devenu très dangereux d’oser affirmer que la génétique – eh bien, cela existe, et cela à de nombreuses incidences ! Il est désormais très dangereux, si l’on tient à avoir une carrière universitaire ou médiatique, d’affirmer que l’homme n’est pas qu’un pur esprit, et que sa nature même puisse être soumise aux lois de l’évolution et de la thermodynamique, à savoir celles qui impliquent, hélas, une dégradation.

Donc venons-en à la question que pose l’intitulé de cette causerie amicale, et, comme vous l’avez deviné, très humaniste … : l’homme a t-il dégénéré ?

Et pour y répondre demandons-nous d’abord ce que peut bien signifier la dégénérescence ?

D’un point de vue physiologique – et nous y sommes hélas tous soumis – c’est ce qui rappelle la vieillesse. Nous déclinons avec l’âge après avoir passé un pic, une apogée, puis une maturité ; parce qu’il est moins fort notre corps répond moins aux exigences de notre volonté et se fait à l’inverse beaucoup plus ressentir en imposant ses propres exigences issus de sa faiblesse.

A ce titre, il est très intéressant de savoir que les toutes dernières études sur le phénomène du vieillissement définissent la vieillesse comme, on le sait, la conséquence d’une incapacité progressive des cellules à se renouveler, mais non à cause des cellules elles-mêmes, à cause d’informations subitement tronquées envoyées par l’ADN à ces mêmes cellules. Je vous renvoie aux travaux du biologiste et généticien David Sinclair

En résumé : l’ADN ne cesse d’envoyer en permanence des ordres aux cellules pour qu’elles se renouvellent mais un phénomène fait, hélas, avec le temps, que nos cellules ne comprennent plus et ne reçoivent plus aussi parfaitement qu’au premier jour les ordres que l’ADN envoie continuellement. J’utiliserai donc une métaphore qui parlera aux amis de l’Institut Iliade : en ne suivant plus les ordres de son sang, alors on meurt.

C’est donc un problème originel de transmission d’informations – de bonnes informations – qui dérègle le mécanisme de transmission d’ordres aux cellules, lesquelles, mal gouvernées, dégénèrent par la suite.

Au niveau des Lois de la thermodynamique qui expliquent le fonctionnement de l’Univers, dégénérescence et entropie d’une structure pourraient bien signifier la même chose. Le désordre interne conduirait toute structure physique à s’effondrer – et les corps humains, voire les cerveaux, ne feraient évidemment pas exception.

Permettez moi de vous signaler que, à l’instar des cellules et des informations mal transmises par l’ADN, c’est encore l’affaiblissement du degré d’ordre introduit par l’information qui favorise la néguentropie d’une structure. Autrement dit son désordre, son affaiblissement et enfin son effondrement. Encore une fois, désorganisation, désordre, effondrement, entropie, vieillesse, dégénérescence, viennent tous, d’une certaine façon, d’une mauvaise transmission des informations. Vous y penserez quand vous allumerez votre télévision et lorsque vous écouterez la plupart de nos journalistes…

Il se trouve que la dégénérescence d’une structure biologique se révèle par des symptômes assez caractéristiques sur le plan physique et moral.

Physiquement c’est tout ce qui met en évidence que la mort est prochaine ou que la structure va descendre à un niveau de vie inférieure c’est-à-dire moins grande, moins puissante, moins intelligente, moins organisé, moins complexe souvent, autrement dit plus médiocre. Dégénérer, c’est tout ce qui appelle à la mort au déclassement en somme.

Pour le coup elle se signe exactement comme la décadence, dont la véritable définition signifie en réalité : l’impréparation à la guerre.

En effet si vous regardez bien, tant au niveau collectif qu’au niveau individuel, ce qu’on appelle décadence depuis la nuit des temps indique généralement une incapacité à se défendre et à attaquer. Une nation est jugée décadente par le tribunal de l’histoire lorsqu’elle n’est plus en capacité d’affronter le monde. On dit alors qu’elle a dégénérée. De même au niveau individuel on va plus facilement dire d’un homme qu’il est dégénéré s’il est en incapacité physique de se défendre soit à cause de tares génétiques, soit à cause de manque d’exercice etc. On pourrait aussi parler de défenses culturelles à l’échelle de la nation et de défense intellectuelles à l’échelle de l’individu.

On pourrait me rétorquer qu’on parle bien de décadence dans l’art par exemple mais ma définition reste bonne : un mouvement artistique entre en décadence lorsque, ayant épuisé son potentiel, n’arrivant plus à transmettre de bonnes informations au public, il ne parvient plus à innover – à régénérer ses cellules – et s’expose à être remplacé par un autre mouvement artistique. Il s’était donc mis en situation d’impréparation soudaine à la guerre et se préparait à être battu et remplacé. Donc à tous les niveaux, politiques, artistiques, individuels, qu’importe : l’incapacité à se battre dans la grande lutte qu’est l’existence est le révélateur de la décadence laquelle n’est que le symptôme d’une dégénérescence.

Vitalement parlant, si vous me permettez l’expression, cette incapacité fatale à se battre synonyme de problèmes informatifs au sein de la structure vivante, aboutit sur des symptômes moraux que Nietzsche a rassemblés sous le mot terrible de nihilisme.

Je peux énumérer quelques uns de ses effets que l’on connaît : lassitude de vivre, désir plus ou moins conscient de mourir, refus de la reproduction, ressentiment profond à l’égard de la vie, de la société et des inégalités que les deux induisent inévitablement. Mais aussi, sentiment d’imperfection de sa propre structure biologique, sentiment d’être « mal-adapté », lequel débouche en général sur des désordres mentaux et une invariable volonté de nuire et de détruire. Du coup haine de la beauté, de l’ordre et de tout ce qui est supérieur, c’est-à-dire tout ce qui permet de se maintenir comme structure et qui permet de ne pas la reléguer à l’échelon inférieur que j’ai déjà décrit.

Voilà quelques symptômes de la dégénérescence qui aboutissent au nihilisme.

Je pense qu’à partir de là nous sommes en mesure de savoir si l’homme au sein des sociétés industrielles, c’est-à-dire nous, à dégénéré ou non. En tout cas, il en montre souvent tous les symptômes reconnaissables. Mais si vous le voulez bien, allons encore beaucoup plus loin dans le politiquement incorrect et le dérangeant…

Serions-nous devenus d’horribles mutants ?

J’emprunte l’expression « horrible mutant » au grand biologiste William Hamilton laquelle décrit les derniers individus d’une espèce ayant dégénéré c’est-à-dire n’étant plus passée par les fourches caudines de la sélection naturelle.

Vous savez que Darwin lui-même avait mis en garde contre la fin de l’élimination des individus inférieurs dans la lutte pour la vie dans son livre « The Descent of Man » car cela contrariait forcément gravement la bonne santé d’une race ou d’une espèce.

Les individus qui auraient dû être supprimé par la nature ou par le groupe portent en eux des caractéristiques génétiques littéralement mutantes qui seraient corrélées avec des traits psychologiques que nous allons voir. Si jamais ces individus survivent artificiellement et se multiplient ils transmettront leurs gènes mutants à leur descendance (encore une fois : mauvaise transmission d’informations ; je ferme la parenthèse) – et cette transmission et cette multiplication de gènes mutants affecteront progressivement l’ensemble du groupe.

Ce phénomène bien expliqué par le professeur Edward Dutton nous dit que, en résumé, l’homme aurait mis un terme à la sélection naturelle aux alentours du début du XIXe siècle grâce aux progrès de sa médecine et surtout de la nécessité d’avoir subitement de nombreux bras disponibles avec l’exode rurale et l’industrialisation ; ce qui aurait conduit au maintien en vie et à la prolifération d’hommes développant des traits autrefois éliminés plus tendanciellement et que l’on sait aujourd’hui en grande partie héréditaire comme l’autisme, la schizophrénie, les psychopathologies, les désordres de la personnalité, le narcissisme, la paranoïa, l’asociabilité, le masochisme, la dysphorie (notamment du genre), l’hystérie, la dépression, le désir suicidaire et autres maladies mentales comme la pédophile ou autres comportements sexuels « anormaux » – lesquelles, et là on approche l’acmé ou presque du politiquement incorrect – lesquelles seraient apparemment corrélés avec certains traits physiques…

Je ne m’attarderai pas trop là-dessus aujourd’hui car je ne veux pas aller en prison mais de plus en plus d’études montrent une corrélation – et je dis bien corrélation statistique pas causalité – de certains traits physiques associés à des profils psychologiques particuliers. L’habit ne fait peut-être pas le moine, mais comme disait aussi Edgar Degas, on a peut-être « la gueule que l’on mérite ».

En gros, l’homme aurait permis une recrudescence de tous ces traits issus de mutations nocives et pathologiques dans la société – lesquels, je le répète, ne sont rien d’autres que de mauvaises informations fondamentalement, qui n’auraient pas été éliminés – et ces traits mutants ainsi que leurs porteurs ne pourraient dès lors que se retourner contre la société, et donc la structure toute entière, qu’on a coutume d’appeler la civilisation, s’ils se trouvent en trop grand nombre.

Le dégénéré, parce qu’il a le désordre et l’effondrement en lui, ne peut que l’amener, fatalement, autour de lui.

Maintenant laissez-moi pour conclure vous raconter une expérience scientifique fort éclairante au sujet de la dégénérescence.

De 1958 à 1973, le professeur John Calhoun de l’Université du Maryland a voulu savoir quels pouvaient être les effets éventuels de la fin de la sélection naturelle sur une espèce. Il a donc placé des rats en situation la plus comparable possible à l’industrialisation, l’urbanisation et l’abondance que connaît l’homme depuis un siècle ou deux.

En clair lors d’une expérience sur le long terme il a placé des rats dans un environnement fermé et protégé des aléas de la météo, des prédateurs etc. et surtout avec un accès illimité à la nourriture et aux soins.

Que s’est-il donc passé à votre avis ? Eh bien dans un premier temps logiquement la population a explosé en nombre. Dans d’aussi bonnes conditions de vie, il y eut une très forte augmentation démographique initiale… Mais après cette pullulation première la population a commencé à décliner drastiquement à cause de développement de comportements… disons anormaux. Etranges.

Notez que je ne fais que les décrire en parfaite innocence : alors, par exemple, les femelles devinrent anormalement masculinisées, agressives, se détournant progressivement de l’intérêt pour la maternité. Un peu après un groupe important finit par se détacher au sein des mâles et que Calhoun appela « the beautiful ones » – ceux-ci étaient curieusement efféminés – je cite l’étude, ils ne se battaient plus pour leur territoire, ils n’avaient plus aucun intérêt pour les femelles et passaient leur temps à se solliciter entre eux à des fins sexuels… Tous les individus de cette colonie finirent par développer un stress considérable qu’on put remarquer grâce aux différentes phéromones produites dans leurs urines, amenant toute la colonie à une profonde anxiété, dépression, folie collective, jusqu’à l’effondrement total.

Ne me faites surtout pas dire ce que je n’ai pas dit. Toute cette expérience ne veut strictement rien dire et on ne peut évidemment rien inférer de celle-ci. L’absence d’espace que l’urbanisation galopante inflige ; la surabondance comme l’appelle Peter Sloterdijk pour qualifier notre économie capitaliste qui rend obèse en tout, tout cela n’a rien à voir avec le comportements observés chez les rats et ceux, par exemple, qu’on pourrait observer chez les wokes, chez une certaine jeunesse des sociétés industrielles ! – Non bien sûr, nous nous sommes des hommes, nous n’appartenons pas vraiment à la nature, nous avons miraculeusement échappé à l’évolution, vous conviendrez avec moi que nous ne sommes pas des rats, bien sûr.

Et pourtant elle tourne…

Pour finir sur une note plus gaie mes amis, je vous dirai ce que je pense de tout ceci.

Je crois qu’en vérité tout homme est une accumulation de tendances diverses, multiformes, potentiellement contradictoires et désorganisées.

La dégénérescence consiste ainsi et surtout au consentement vis-à-vis de celle-ci en soi et autour de soi.

Je pense que nous sommes de telles mélanges aujourd’hui que nous avons tous en nous à la fois des esclaves et des maîtres, des malades et des sains, des rats et des hommes, des gènes mutants et des gènes portant toujours en eux une potentielle Grande Santé mentale et physique.

Le dégénéré parle ainsi en tout homme mais il reste en notre pouvoir, grâce à de bonnes informations peut-être, de l’écouter ou de le faire taire.

Chaque homme est sûrement une multiplication inévitable de tendances mais il ne faut jamais oublier que son caractère consiste à choisir lesquelles suivre,

Et, ma foi, si on doit nécessairement suivre les siennes propres, alors que ce soit au moins, pour chacun d’entre nous ici, selon le mot de Gide : « il faut suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant. »

Je vous remercie.

Julien Rochedy