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Fondement scientifique du beau : un guide contre le déclin

Savoir comment restaurer ou développer notre sens du beau est, pour nous Européens, un enjeu de civilisation.

Fondement scientifique du beau : un guide contre le déclin

Parmi les dérives récentes menaçant notre civilisation, la perte du sens du beau, ou plutôt sa corruption, est l’une des plus frappantes : il suffit de penser à l’évolution de l’urbanisme, ou bien aux impostures du mal nommé « art contemporain », ou aux innombrables graffitis qui, dans l’indifférence, dégradent depuis quelque quarante ans nos murs ou nos moyens de transport ; mais aussi à la déformation des corps, signe de domestication, telle que l’obésité croissante, ou l’exagération grossière de traits ou comportements sexuels secondaires, que ce soit de manière réelle (implants et autres) ou fictive via les innombrables images retouchées qui inondent notre quotidien ; sans parler de la destruction de grandes harmonies naturelles (forestières, fluviales, marines, etc.) plurimillénaires et non reconstituables, dont, pourtant, nous dépendons à long terme.

Beaucoup ressentent ces dysfonctionnements, et cependant évacuent le problème en se persuadant que le beau serait une question secondaire, qu’il serait subjectif, relatif, ou qu’il ne saurait constituer un guide assez fiable et sérieux dans nos existences, en particulier dans nos choix politiques.

Pourtant, savoir comment restaurer ou développer notre sens du beau est, pour nous Européens, un enjeu de civilisation. Car, selon l’intuition de Dostoïevski, le beau peut nous sauver. Du moins y contribuer, et il doit pour cela devenir l’un de nos guides, et peut-être l’une de nos armes, contre tout risque d’effondrement anthropologique.

Le beau résulte de certaines propriétés de notre appareil perceptif et interprétatif du monde, qui se montre sensible à des formes qui nous plaisent, à d’autres qui nous déplaisent (le laid), quand d’autres enfin nous laissent indifférents. Comme toutes les fonctions d’importance forgées au cours de notre évolution, il remplit un rôle téléonomique, c’est-à-dire au service de notre conservation.

Entremêlant inné et acquis, il y a un beau individuel (propre à chacun, fruit de nos génétique, épigénétique, et parcours de vie uniques), un beau universel humain (reposant sur notre part innée commune) et un beau culturel, les deux derniers expliquant que les mêmes œuvres puissent susciter l’admiration de millions de personnes. Le beau n’est ainsi que minoritairement subjectif.

La difficulté à comprendre analytiquement le beau (qui frappait déjà Voltaire ou Diderot) est l’une des causes de la sous-estimation fréquente de son rôle comme guide pour la vie de nos peuples.

Car notre outil d’analyse, à savoir la part rationnelle de notre cerveau, n’est pas celui principalement sollicité dans notre perception du beau. Ce dernier n’en repose pas moins sur des processus physiologiques naturels, et étudiables. L’éthologue Konrad Lorenz, prix Nobel de médecine, s’y étant penché, nomme fonctions ratiomorphes (terme emprunté au psychologue Egon Brunswik), ou perception des formes, les propriétés de notre cerveau qui permettent (entre autres) à notre sens du beau d’exister, et de s’affiner.

Un affinage qui se réalise pour l’essentiel inconsciemment, depuis l’enfance et tout au long de la vie, par exposition à de belles harmonies. Mais un affinage susceptible, comme toute fonction humaine complexe, de déviations pathologiques, à l’instar de celles que nous avons déjà évoquées.

Notre époque est fortement propice à ce type de dérives, notamment à cause de la rupture avec les harmonies de la nature au contact desquelles la plupart de nos ancêtres ont vécu quotidiennement, à causes de diverses idéologies déconnectées de ce réel et qui n’en prospèrent que plus facilement, et à cause de notre dépendance croissante à une technique devenant parfois aliénante lorsqu’elle est poursuivie comme but et non plus comme moyen.

Comment nous en prémunir ? Comment redonner à notre sens du beau sa puissante fonction de guide intuitif au service de notre perpétuation ? Nous donnerons quatre voies.

Former son jugement au contact des grands auteurs anciens

Pour les plus jeunes, il faut former son jugement au contact des grands auteurs anciens, car leurs œuvres présentent deux immenses avantages : d’être nombreuses (cumulant les meilleurs talents de centaines de générations), et surtout d’être passées par le tamis du temps, auquel survivent rarement les plus médiocres.

Musique, danse, peinture, architecture, poésie, lettres, sculpture… tous les arts y sont bons, notre patrimoine européen est d’une richesse incommensurable.

Les musiques, danses, ou architectures traditionnelles sont, pour la même raison, de fort bonnes références.

Attention : cela ne doit jamais conduire au morne et stérilisant esprit du « c’était mieux avant ». La croyance en la perfection du passé est presque toujours fausse : lui aussi foisonne d’œuvres médiocres, simplement ont-elles sombré dans un oubli mérité.

L’objectif est de nourrir son sens du beau aux meilleures sources, jusqu’à se sentir assez de robustes références pour jauger avec justesse et finesse – avec goût – les œuvres nouvelles, et bien sûr pour en créer soi-même !

Se fier à ses impressions premières

Se fier à ses impressions premières ! Lorsque nous découvrons par exemple la poésie, ou le cinéma, la danse, la peinture, nous avons tous de premières réactions spontanées, nous sommes charmés par certains éléments, souvent simples (mais pas simplistes), qui nous parlent indépendamment de toute culture préalable du sujet. Nous aurions tort de mépriser par la suite ces premiers ressentis. Ils sont souvent le signe d’une harmonie déjà inscrite en nous, qu’elle provienne de nos gènes, de notre épigénétique, ou d’imprégnations culturelles profondes et inconscientes.

Certes, ce guide premier n’est pas absolu, et l’apprentissage ultérieur reste indispensable. Pourtant, en un mot : affiner notre sens naturel du beau, oui ; le laisser contrarier, voire annihiler, non.

Encourager la création du beau

Encourager la création du beau, et donc les arts. Si certaines périodes historiques sont plus riches en grands auteurs que d’autres, ce n’est pas un simple hasard : elles créent de meilleures conditions pour les artistes, notamment via l’exposition précoce des enfants au beau, l’accès à de bonnes formations, à plus de possibilités de vivre de son art, à plus de motivations par la reconnaissance sociale. Il y a une émulation du beau : le beau appelle le beau ! À nous de travailler pour en créer les conditions.

Nous emprunterons la quatrième voie à Konrad Lorenz :

« Le devoir vital de l’éducation est de fournir à l’être qui se développe un fond suffisant de données factuelles qui lui permette de juger des valeurs du beau et du laid, du bon et du mauvais, du sain et du pathologique et de les percevoir.
La meilleure école où l’enfant peut apprendre que le monde a un sens est le contact direct avec la nature. Je ne peux pas imaginer qu’un enfant normalement constitué qui a la chance d’être en contact étroit et familier avec les êtres vivants, autrement dit avec les grandes harmonies de la nature, puisse ressentir le monde comme dénué de sens. »

« […] La sensibilité à la musique va souvent de pair avec la sensibilité à la beauté de la nature. Il est indispensable de montrer aux enfants, même tout jeunes, des choses belles et dignes d’admiration afin qu’ils ne deviennent pas insensibles à certaines valeurs. »

Il est heureux de constater que les plus sages des Modernes nous ramènent ainsi vers les plus sages des Anciens, vers la fameuse triade homérique, cœur de la tradition ancestrale de notre civilisation européenne selon Dominique Venner : « la nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon ».

Ajoutons pour conclure que cette (re)sensibilisation à la nature, et à la beauté, devrait s’accompagner pour nos peuples du développement d’une doctrine écologique réelle, rigoureuse, sérieuse, c’est-à-dire fondée sur le temps long. Une doctrine où la beauté sera la mesure de notre pleine harmonie écologique avec notre environnement. Seuls peuvent la réaliser avec efficience – qui est une forme d’excellence –, ceux qui se préoccupent du devenir de leur peuple non sur quelques années ou même décennies, mais à l’échelle des siècles, sinon des millénaires : la pensée consciente et active d’un continuum long-vivant.

Plus que jamais, nature et beauté doivent être des guides pour préserver les jeunes Européens de tout déclin anthropologique, et les conduire vers l’excellence !

Thomas Whyte – Promotion Homère

N.B. : Cette contribution est une synthèse d’un article plus approfondi, librement accessible ici : beaute-monde.fr

Cette synthèse a paru dans les Actes du Xe colloque de l’Institut Iliade pour la longue mémoire européenne du 15 avril 2023 consacré au thème « Face au déclin anthropologique, vivre en Européen ».