Face au soleil, l’exposition lumineuse du Musée Marmottan Monet
En 2022, le Musée Marmottan Monet célèbre les 150 ans du tableau Impression, soleil levant, en collaboration avec le Museum Barberini. Ils lui rendent hommage à travers l’exposition « Face au Soleil, un astre dans les arts », présentée à Paris du 21 septembre 2022 au 29 janvier 2023, et à Potsdam, du 25 février au 11 juin 2023.
Pour célébrer le 150e anniversaire du célèbre Impression, soleil levant de Claude Monet peint le 13 novembre 1872, le Musée Marmottan Monet – où le tableau est exposé – a offert au public l’exposition Face au soleil. Elle rassemble 100 œuvres de natures diverses retraçant l’évolution à travers le temps de la représentation du soleil dans les arts, de l’Antiquité au XXIe siècle. Comment peindre un motif impossible, que l’on ne peut soutenir sans se brûler les yeux ? Telle est la question qui semble se poser tout au long de la visite.
L’exposition commence dans l’Antiquité païenne, tant égyptienne que gréco-romaine. Divinisé, le soleil créateur est dépeint tantôt sous les traits d’Alexandre le Grand comme en témoigne un buste miniature du IIIe siècle av. J.C., tantôt sur un vase produit à Tarente sous la forme d’Hélios conduisant son quadrige, représentation nous renvoyant à la plus vieille tradition indo-européenne.
Plus tard avec la christianisation de l’Europe, le statut du soleil change du tout au tout. De créateur, il devient créé et perd sa centralité pour prendre une place périphérique. Dieu (et son incarnation en Jésus-Christ) est la nouvelle lumière du monde, comme sur le tableau du XVIIe siècle de Gerrit van Honthorst L’adoration des bergers où l’enfant Jésus rayonne de lumière.
Peinture de paysage
La Renaissance marque une tout autre étape. Le géocentrisme cède sa place à l’héliocentrisme et dans le même temps nait la peinture de paysage, à la faveur d’un intérêt accru pour la nature et de la Réforme protestante qui prohibe la peinture religieuse. En plein essor à partir du XVIIe siècle, la peinture de paysage place le soleil comme un élément de paysage à part entière. Il inonde d’une lumière diaphane et diffuse les paysages idéalisés de Rubens, Claude Joseph Vernet ou encore le Lorrain. Dans son Embarquement de Sainte Paule à Ostie, le soleil semble s’effacer derrière la lumière qu’il dégage dans tout le tableau. Son rôle est de placer à contre-jour les personnages situés au premier plan et de dramatiser la scène religieuse du départ de Sainte-Paule pour la Palestine.
Le XIXe siècle accorde une place de toute autre importance au soleil et à la lumière. Chantres de la peinture de plein air qui se développe surtout durant la seconde moitié du XIXe siècle, les impressionnistes peignent principalement des paysages. L’observation des fluctuations de la lumière du jour au gré des heures est au centre de leur étude et le soleil y a une place de choix, et par conséquent la réflexion autour de ce dernier. C’est le cas dans l’icône de l’impressionnisme, Impression, soleil levant, datant des débuts du mouvement. Star de l’exposition ayant donné son nom au célèbre courant pictural, il clôt le chapitre du réalisme en esquissant le paysage (l’avant-port du Havre), les éléments figuratifs étant comme avalés par la brume. A contrario, le soleil tranche par sa netteté. Pastille rouge-orange contrastant avec un ensemble bleu-gris, il est tel un astre froid énigmatique qui ne semble diffuser aucune chaleur, placé près de l’horizon. 20 ans plus tard, Camille Pissarro, autre impressionniste majeur, traite très différemment le soleil dans sa Vue de Bazincourt, effet de neige, soleil couchant. C’est ici à l’inverse un soleil blême, aux contours mal délimités, répandant un halo jaunâtre aux accents orangés sur un paysage enneigé, tranchant avec sa complémentaire le violet des arbres.
L’approche rationnelle des couleurs
Après les impressionnistes, les néo-impressionnistes ont une démarche inverse. Plutôt que de partir de l’observation de la nature et de saisir l’impression immédiate du moment, les néo-impressionnistes ont étudié l’approche rationnelle des couleurs menées par les chimistes au XIXe siècle, notamment celle de Michel Eugène Chevreul qui préconise de créer des contrastes en joignant côte à côte des couleurs complémentaires. L’effet visuel rendu serait alors plus proche de la vision naturelle que par le procédé des impressionnistes. Le soleil d’André Derain dans son Big Ben de 1906 est entouré de points bleus et rose et semble diffuser une pluie de lumière verte et bleue. Le vert, complémentaire du bleu et du jaune, est censé être d’un éclat supérieur. Tout autre est la démarche du pointilliste Paul Signac dans son majestueux Port au soleil couchant, Opus 236 peint à Saint-Tropez en 1892. Ici, le soleil est à la fois nulle part et partout. Le tableau est inondé d’un or vif diffusé par points contrastant avec des points bleus et rouges, et nous donne à sentir la chaleur enveloppante du soir méditerranéen qui semble écraser les petits marins bleus esquissés sur le voilier rentrant au port.
C’est toutefois Turner, peintre de la lumière, qui au début du siècle a inauguré la réflexion sur la représentation du soleil et de sa lumière, avec Soleil couchant à travers la vapeur autour de 1809. Il a mis en pratique les réflexions de Newton publiées un siècle plus tôt et qu’il possédait chez lui, selon lesquelles la couleur dérive de la lumière. Le halo diffus de lumière se diffusant dans ses tableaux acquiert parfois une dimension mystique. Le romantisme, un peu plus tard dans le siècle, va plus loin. La nature de Croix dans les bois de Caspar David Friedrich peint trois ans plus tard exprime une dimension sacrée et religieuse, où le soleil semble prendre la forme d’une croix. Plus que d’être un faire-valoir dans un paysage, il prend une dimension spirituelle et doit refléter l’expression des sentiments personnels et du sublime de la nature avec sa place dominante dans le tableau, comme dans Matin de Pâques. Cette veine romantique a perduré jusqu’au début du XXe siècle en Europe du Nord avec Le Soleil d’Edvard Munch, manifeste vitaliste et païen présentant un soleil tout puissant dominant le fjord d’Oslo et projetant ses rayons multicolores et déployant comme une source de vie primordiale une énergie surnaturelle ; bien loin du soleil noir d’Otto Dix peint en 1913 semblant pressentir que l’avenir de l’Europe allait s’assombrir un an plus tard et prévoyant ses futures toiles de guerre expressionnistes.
Enfin au XXe siècle, la réflexion des artistes sur la place du soleil va au-delà du questionnement sur la manière de représenter l’astre qui ne peut être regardé directement, s’imprégnant des multiples découvertes scientifiques sur la nature de l’univers et la place du soleil dans celui-ci, devenu simple étoile parmi d’autres, avec les constellations de Joan Miró ou les abstractions récentes de Vicky Colombet qui nourrit sa réflexion des théories de la physique.
Gabriel S. – Promotion Homère
Exposition Face au soleil. Un astre dans les arts, jusqu’au 29 janvier 2023, Musée Marmottan – Monet, 2, rue Louis-Boilly 75016, Paris.
Illustration : Impression, soleil levant (détail), Claude Monet, 1872. Domaine public.