Pas de souveraineté sans protection ni puissance
Intervention de Lionel Rondouin, normalien, enseignant en classe préparatoire, lors du colloque « Europe, l'heure des frontières » le 6 avril 2019.
Les protectionnistes sont bien entendu rances, frileux, repliés sur eux-mêmes et passéistes. Il y a en économie des bons et des méchants. Si l’on en croit M. Macron, le protectionnisme est la cause des « heures les plus sombres de notre histoire » économique, les années 30. Balivernes, puisqu’il a été démontré depuis longtemps que le protectionnisme a été la conséquence et non la cause de la crise de 29.
Le débat a repris de l’actualité à propos des accords de libre-échange, ou des projets d’accord, entre l’Union européenne et le Canada ou les Etats-Unis, CETA et TAFTA.
Et, bien entendu, l’hystérie est totale à propos du Brexit. Les Britanniques craignent la famine. On va boucher le tunnel sous la Manche.
Nous sommes là dans un délire intégral. Nous commerçons avec les Îles Britanniques depuis 4500 ans. Je veux bien croire à la dérive des continents, mais la Grande-Bretagne ne va pas déraper de mille kilomètres vers l’Ouest.
Ce délire est celui de la secte des prétendus « sachants » qui ont fait du libre-échangisme intégral un article de foi. Par nature, le commerce est « doux » et pacifique.
Or le commerce n’adoucit pas nécessairement les mœurs des nations. On n’a jamais autant parlé de guerre économique. Mais, c’est quand même l’article de foi de la secte.
Et, comme c’est la seule vérité possible, il n’y a pas d’alternative (TINA : there is no alternative, M. Juncker dixit). On ne peut impunément quitter l’Église de Bruxellologie. Le traitement des Britanniques par Bruxelles, c’est le jugement d’hérétiques par un tribunal ecclésiastique.
Ces « sachants » sont des devins doués de pouvoirs surhumains. D’après eux, le CETA, le traité avec le Canada, produira de manière certaine une hausse de 0,15 % du PIB des pays membres d’ici une dizaine d’années.
C’est fort, parce que personne ne sait prévoir pour l’année prochaine la variation du PIB de la France avec une marge d’erreur inférieure à 1 %.
On voit bien le côté dérisoire de la prétention de la secte à détenir la science, la vérité unique et incontestable. La réalité, c’est qu’il y a des alternatives et que le débat est légitime.
D’abord, le protectionnisme est utile et justifié dans certains cas ou pour atteindre des objectifs économiques, sociaux et politiques.
Ensuite, le protectionnisme est tout aussi « moderne » que le libre-échangisme.
Enfin, le protectionnisme n’est pas seulement une stratégie de défense et de repli sur soi. C’est aussi l’outil de stratégies offensives dans la guerre économique mondiale. C’est un outil de puissance polyvalent.
A la différence du libre-échangisme, le protectionnisme n’est pas une idéologie. C’est une boîte à outils dont le praticien politique se sert lorsque c’est nécessaire, à l’encontre de qui il est nécessaire de le mettre en œuvre.
Voilà ce que je vais essayer d’illustrer.
Quoi protéger, pourquoi le protéger ?
Les néo-libéraux font du marché l’alpha et l’oméga de la société humaine mondiale, où tout peut être librement échangé en fonction des intérêts immédiats des agents économiques que sont les individus et les entreprises.
Le premier problème, c’est que nombre d’activités économiques engendrent des « externalités » négatives, c’est à dire des conséquences néfastes sur des tiers, que ce soient des individus, des groupes ou la société toute entière. Il est donc légitime de protéger ces individus et la société.
La pollution est un exemple classique d’externalité négative.
Le transport de centaines de millions de tonnes de marchandises par des porte-conteneurs géants est rentable. Le transport par avion de cerises du Chili en France à Noël procure un profit. En revanche, ce sont les moyens de transport les plus polluants qui soient, et il est légitime de réguler ces activités ou de les pénaliser financièrement. Il ne s’agit aucunement de vivre en autarcie, mais de limiter les externalités négatives environnementales du commerce international.
Il est légitime de se protéger contre les risques sanitaires. La plupart des scandales de l’industrie agro-alimentaire sont dus à la recherche de profits immédiats par des agents économiques au détriment potentiel des consommateurs.
De ce point de vue, le CETA pose de nombreux problèmes, car les normes sanitaires du Canada ne sont pas les nôtres : OGM, lessivage des poulets au chlore, etc. Le libre-échangisme débridé ne menace pas seulement notre agriculture, mais aussi notre santé. La santé est le bien individuel des personnes. Mais la santé des populations est le bien collectif de la nation, et les malades éventuels seront à la charge du système de santé français, au détriment de l’économie française.
Une autre situation qui légitime une politique protectionniste, c’est le cas où une économie ou un secteur d’activité subissent une concurrence étrangère déloyale.
Décrivons les formes typiques de distorsion de concurrence qui relèvent de la guerre économique mondiale et qui justifient des mesures protectionnistes.
L’exemple classique en est le dumping, qui consiste à commercialiser temporairement les produits en dessous de leur prix de revient pour conquérir des parts de marché dominantes et évincer les concurrents. Le plus souvent, l’entreprise qui pratique le dumping est soutenue et subventionnée par son État, dans une logique de conquête économique.
C’est ainsi que la Chine a détruit l’industrie européenne des panneaux solaires, en subventionnant les fabricants. En septembre 2018, le gouvernement chinois a cessé de subventionner cette industrie. En effet, le but stratégique est atteint : 60 % des panneaux solaires produits dans le monde sont chinois.
Qu’avons-nous fait contre ce dumping ? L’Union européenne a imposé une taxe à l’importation, mais en 2013, alors que notre industrie était déjà morte. Retenons cela pour la suite. Être puissant, ce n’est pas seulement agir, c’est être capable d’agir vite…
Variante du dumping, le dumping monétaire. Un État, par exemple la Chine, intervient sur les marchés des changes pour maintenir le cours de sa monnaie nationale à un niveau artificiellement bas. Le « pouvoir d’achat » d’un euro surévalué incite les entreprises à se tourner vers les fabricants chinois plutôt que vers leurs concurrents, nationaux ou autres que chinois. Classique, mais efficace…
Autre forme de dumping, le dumping social et environnemental. Un État maintient à un niveau très faible ses normes de droit social : salaire minimal, horaires travaillés, hygiène et sécurité au travail. Les normes de protection de l’environnement sont peu exigeantes, voire inexistantes.
Ici, la concurrence se fait par la dissymétrie des prix de revient. Les concurrents étrangers ne peuvent résister car ils sont obligés par les législations de leurs pays à des « surcoûts » sociaux et de prévention des risques environnementaux.
Le Bangladesh, les Philippines, l’Érythrée sont les champions actuels de cette forme de dumping.
L’Inde, le Vietnam, le Bangladesh, les Philippines pratiquent le dumping environnemental sur des secteurs d’activités polluants et dangereux tels que le traitement des déchets toxiques ou la démolition navale.
Après les externalités négatives et la concurrence déloyale, je voudrais attirer votre attention sur certains dommages structurels subis par la société toute entière.
Une conséquence de la mondialisation effrénée des échanges et des délocalisations industrielles, c’est l’appauvrissement relatif des individus. Un protectionnisme « intelligent » protège les individus contre eux-mêmes. Je m’explique…
On a promis aux citoyens qu’ils seraient bénéficiaires du libre-échange général, en tant que consommateurs. Grâce à la compétitivité-prix des fabricants étrangers ou des usines délocalisées, le prix des produits manufacturés baisserait et donc le pouvoir d’achat des ménages augmenterait.
C’est vrai.
Enfin, c’est vrai dans une certaine mesure seulement… Lorsqu’un jean de la marque Diesel est facturé 95 centimes de dollar au départ d’un port asiatique, et qu’il est vendu au consommateur final 160 dollars, je pense que ce n’est pas le consommateur final qui gagne dans l’affaire.
Mais il y a plus. Tout agent économique a deux facettes : il est à la fois consommateur et producteur. Souvent, le consommateur profite d’une baisse des prix des produits importés, mais, en même temps, il subit une baisse de ses revenus en tant que producteur, soit que son employeur l’ait licencié, soit que plus généralement il subisse l’érosion générale des salaires dans une économie soumise à une concurrence étrangère non régulée.
Comme l’a bien exprimé Jacques Sapir, la mondialisation enrichit les riches des pays pauvres et appauvrit les pauvres des pays riches.
Dans les années 60, à Paris, un ouvrier faisait vivre dignement une femme au foyer et deux enfants à Paris intra-muros, avec un seul salaire. Cela signifie que, toutes choses égales par ailleurs, un ouvrier qualifié parisien gagnait l’équivalent de 4 500 euros au moins, il y a 50 ans.
Dans les pays développés, les salaires médians réels stagnent ou baissent depuis trente ans. L’utilité immédiate du consommateur (son gain de pouvoir d’achat immédiat) a engendré sa paupérisation relative en tant que producteur.
La baisse des salaires réels entraîne une augmentation de l’endettement privé si on veut continuer à consommer. C’est le drame bien connu des Etats-Unis, l’endettement des ménages.
Dans un système social à la française, la baisse des salaires réels provoque une demande croissante de budgets de redistribution et d’aides sociales. Il faut donc augmenter les impôts et endetter l’État. C’est ce qu’on a fait, et c’est en grande partie dû au libre-échangisme et aux délocalisations.
Le chômage tue les individus et détruit la cohésion sociale.
Le travail n’est pas seulement un moyen de se procurer des revenus. C’est aussi un facteur de lien social et d’estime de soi. Les chômeurs développent davantage de troubles dépressifs, d’addictions ou de cancers que les actifs. Le coût économique, sanitaire et social du chômage est colossal. Il s’agit donc d’un problème politique collectif. A ce seul titre, protéger la société contre les conséquences de concurrences déloyales est une nécessité.
On accuse les protectionnistes d’être des passéistes et de protéger des activités obsolètes, des « canards boiteux ». C’est parfois vrai.
Mais personne ne met en question les conséquences de l’internationalisation économique effrénée sur notre capacité à innover, y compris dans les secteurs d’activité dont l’avenir n’est pas menacé. Et, à ce titre, lutter contre les délocalisations, par exemple, c’est protéger l’avenir créatif de notre économie.
Prenons un exemple, cette fameuse « entreprise sans usine » que M. Tchuruk, le patron d’Alcatel, avait promu au début des années 2000. Alcatel est passé depuis sous contrôle étranger et il n’en reste que des miettes.
Il y a dans cette catastrophe des causes diverses, des erreurs stratégiques, des aléas de marché. Mais aussi, délocaliser les sites de production, c’est perdre, tôt ou tard, la capacité d’innovation. Quand on ne garde que les bureaux d’études et qu’on ferme ses usines ou qu’on les envoie à l’autre bout du monde, les ingénieurs perdent progressivement la compétence proprement industrielle, celle qui permet de passer de la recherche appliquée au développement, puis du développement à l’industrialisation. Un département Recherche et Développement est plus productif lorsqu’il est adossé à un site de production.
A sacrifier ses usines, Alcatel a sacrifié une partie de sa créativité. A telle enseigne qu’en 2012, dans une situation financière dramatique, Alcatel a dû mettre son portefeuille de brevets en gage, « au clou ». C’est tout un symbole, pour une entreprise dont M. Tchuruk avait dit que sa vraie valeur ajoutée résidait dans l’immatériel, et donc les brevets.
Le CEPII est un des organismes français les plus importants en matière de recherche en économie internationale. Dans une étude récente, le CEPII fait le lien entre le manque de compétitivité de l’industrie française et sa stratégie. De nombreux groupes, comme Renault, investissent beaucoup en Recherche et Développement en France, mais peu en machines. Ils privilégient l’étranger pour installer leurs sites de production. L’étude du CEPII attribue à cette « dissociation » recherche/production une partie du manque de compétitivité de notre industrie.
Des pratiques protectionnistes, qui visent au maintien des activités de production, sont, de même, justifiées lorsqu’il s’agit de garantir la sécurité de nos approvisionnements.
Nos économies sont trop dépendantes des aléas climatiques, telluriques, géopolitiques, sanitaires qui peuvent entraver le commerce international.
Je me trouvais aux Etats-Unis et au Canada en mai 2003, au moment de la grande épidémie de SRAS, le symptôme respiratoire aigu sévère, qui a frappé la Chine et Hong-Kong.
Les quotidiens titraient : « allons-nous manquer de chaussures, allons-nous manquer de vêtements cet hiver ? »
Les cadres des marques de jeans et de chaussures refusaient d’aller en Chine tenir les réunions commerciales et techniques dans les usines de leurs sous-traitants. Les marchandises déjà produites restaient bloquées dans les ports chinois.
Certains aléas sont inévitables. En revanche, à notre époque de « zéro stock » et de « juste à temps » dans l’industrie et dans la distribution, il est évident que l’impact de ces aléas est plus important dans une économie mondialisée, avec des distances et des temps de transport beaucoup plus longs.
Bien entendu, je ne peux passer sous silence la nécessité impérieuse de protéger ce qu’on appelle les secteurs stratégiques de l’économie.
On ne peut rester longtemps une puissance économique si on n’a plus d’industrie de défense, de transports, d’énergie, mais aussi une capacité productive minimale d’acier (au moins pour les aciers spéciaux). Et, bien entendu, la nation doit maîtriser son indépendance et son autosuffisance alimentaire.
A ce titre, il est légitime de protéger ces secteurs contre des concurrences étrangères déloyales et les prises de contrôle par des intérêts étrangers. Nous avons assisté à un véritable hold-up sur Alsthom Énergie, Technip et tant d’autres.
Il faut aussi, autant que nécessaire, protéger les entreprises contre leurs dirigeants, ces capitaines qui quittent le navire les premiers et sont rémunérés comme chasseurs de prime pour vendre, dépecer ces entreprises, les Tchuruk, les Kron et tant d’autres.
Nous avons en France de si grandes écoles et de si faibles élites…
En conclusion de ce chapitre, je voudrais rappeler que toute la théorie du libre-échangisme est fondée sur les postulats de l’économiste Ricardo.
Les nations disposent d’avantages concurrentiels, qui leur permettent de se spécialiser sur des secteurs d’activités où elles sont les plus performantes. Elles augmentent leur production et proposent à l’export, à un bon prix et avec une meilleure qualité, les produits qu’elles savent faire le mieux. Bien entendu, elles achètent auprès d’autres nations ce qu’elles cessent de produire. C’est le principe de l’échange croissant basé sur la spécialisation. Et pour que cela fonctionne, il convient d’éliminer tous les obstacles à la libre circulation des marchandises.
L’ennui, c’est que c’est faux…
Ce qui garantit la richesse et surtout la pérennité des puissances économiques, ce n’est pas la spécialisation, mais la complexité des économies. Une économie complexe est une économie qui produit, exporte et importe de tout, sans dépendre excessivement d’un petit nombre de secteurs particuliers. Une étude récente a été publiée par la Harvard Business School, qui compare les volumes exportés et importés par des dizaines de nations, par catégories de produits et sur longue période. Si Ricardo a raison, les nations les plus performantes devraient être les plus spécialisées et les moins performantes les nations dont l’économie est la plus généraliste. L’ennui, c’est que le Bangladesh, le Pakistan, le Vietnam, l’Algérie ont des économies spécialisées et que les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, l’Italie, le Canada, la Russie, l’Allemagne ont des économies complexes. Cherchez l’erreur…
Cette étude confirme un sentiment intuitif, celui de la force et de la résistance d’une économie généraliste, qui lui permet de moins dépendre des crises économiques internationales ou des aléas politiques, naturels, etc… de tout ordre. La protection de notre avenir, de notre prospérité et de notre capacité de résilience passe donc par le maintien de divers types d’activité. D’ailleurs le gouvernement allemand a diffusé une note d’orientation stratégique qui insiste sur la nécessité de maintenir, voire de réimplanter en Allemagne des activités diversifiées, y compris des activités manufacturières de main d’œuvre. Oui, main d’œuvre, comme au Vietnam…
Un protectionnisme moderne : comment protéger ?
D’abord les droits de douanes.
Depuis 1947, la communauté internationale travaille à les faire disparaître.
Pourtant, il n’y rien de plus sensé et surtout de plus politique que les obstacles tarifaires. En fonction du secteur de mon économie que je souhaite protéger, et en fonction de qui je souhaite favoriser ou défavoriser comme pays fournisseur, j’applique un taux de taxation différent. Je désigne l’ami économique, je pénalise le concurrent. De plus, c’est applicable à ma frontière, et par là je matérialise ma souveraineté.
On prétend que les droits de douanes renchérissent le produit importé pour le consommateur final. C’est tout à fait abusif mais je n’ai pas le temps de le développer.
Reparlons des normes. Qui maîtrise les normes, sanitaires, environnementales, sociales, et les fait respecter détient et exerce la puissance économique. Il faut refuser d’acheter n’importe quoi.
La réciprocité du droit des gens est une règle de la diplomatie. J’applique à mon partenaire, sur mon territoire, les mêmes règles que celles qu’il m’applique chez lui. Tout Chinois qui voudra créer une société en France devra avoir un associé français qui détiendra 51 % des parts sociales au moins.
Un Qatari, un Saoudien créant une société en France devra avoir un sponsor, personne physique de nationalité française, résidant en France, qui sera garant devant l’État, la justice et le fisc français que son protégé respecte toutes les règles locales. Et bien entendu, le sponsor se fera rémunérer pour le service accordé.
Pour éviter que des entreprises stratégiques ne passent entre des mains étrangères, que les marchés, les brevets, les savoir-faire soient pillés, que les emplois disparaissent, le moyen existe grâce à une loi Montebourg. Encore faut-il que l’État exerce ses prérogatives. Une nouvelle affaire Gemplus ne doit plus se reproduire.
Face à certains cas de concurrence déloyale permise par l’optimisation fiscale et le nomadisme fiscal, la souveraineté fiscale peut être retrouvée. A défaut de taxer les bénéfices sous forme d’impôt sur les sociétés, on peut taxer le chiffre d’affaires.
Peuvent être supprimées les subventions et les aides publiques aux entreprises qui délocalisent leurs sites de production. Ceci concerne au premier chef le CICE.
La souveraineté monétaire est capitale. La monnaie est, ou devrait être, l’outil principal de la puissance économique.
Nous vivons un désordre monétaire mondial qui résulte de déficits et d’excédents commerciaux démesurés.
Pour financer leurs déficits, les Etats-Unis créent en masse une fausse monnaie, le dollar US. Il en va de même avec le Yen japonais.
Cette fausse monnaie sert à payer les fournisseurs, la Chine notamment, qui avec ces fonds achète des châteaux bordelais, des terres agricoles, prend des participations dans des entreprises pour en exploiter les brevets. Nous échangeons du patrimoine culturel ou productif contre des billets de Monopoly. Il en va bien entendu de même lorsque nous vendons des entreprises à des capitaux américains.
Pour nous prémunir contre les risques d’un effondrement de certaines monnaies, nous devons exiger des règlements en devises autres que le dollar et le yen, ou en or comme le réclamait le Général de Gaulle dans sa conférence du 4 février 1965, qui reste d’une brûlante actualité. Nous devons nous rapprocher des nations, Russie et Chine, qui travaillent à la dé-dollarisation de l’économie internationale.
Nous devons avec ces nations développer un système des règlements internationaux autre que le SWIFT qui nous impose de passer par des chambres de compensation en dollars. C’est un outil indispensable de souveraineté.
ArjoWiggings Security, notre seule usine de fabrication de papier spéciaux sécurisés pour billets de banque, cartes grises et passeports, seule aussi capable d’imprimer des billets de banque, est en liquidation judiciaire dans des circonstances suspectes, sans avoir bénéficié de la moindre période d’observation. Cette société stratégique n’a fait l’objet d’aucune intervention de la Banque de France, ni du Ministère de l’Intérieur, ni du Ministère des Affaires étrangères. Le député de la 4e circonscription de Seine-et-Marne, Christian Jacob, chef de groupe LR à l’Assemblée, reste muet. Nous perdons là un outil de souveraineté politique et économique.
Peut-être certains souhaitent-ils qu’un gouvernement français rencontre des difficultés à imprimer des billets, en cas d’éclatement de la zone euro ?
La souveraineté monétaire va de pair avec la souveraineté juridique. Les deux sont liés, en particulier pour lutter contre les prétentions américaines à l’extra-territorialité de leurs lois et décisions de justice. Une entreprise qui a des dollars sur son compte n’a pas la liberté de les utiliser librement pour commercer avec un pays sous embargo, même si cet embargo a été décrété unilatéralement par le gouvernement américain, en dehors de toute résolution de l’ONU.
Plusieurs de nos banques françaises ont acquitté de lourdes amendes en raison de transactions avec l’Iran, et même si les « faits reprochés » avaient été « commis » hors du territoire américain, à Genève par exemple. C’est une des raisons qui militent pour la dé-dollarisation des échanges internationaux.
Cet impérialisme de l’extra-territorialité des décisions américaines nous fait perdre des marchés en Iran, et les Européens se couchent.
La frontière juridique sera rétablie.
Défense et attaque : le modèle du blindé
Soutenir que le protectionnisme est toujours une attitude défensive et un « repli sur soi » est absurde. C’est comme si l’on disait qu’un char d’assaut, parce qu’il est blindé, protégé des coups de l’ennemi, est par nature une arme défensive. Le char d’assaut est puissant dans l’offensive, meurtrier dans la défensive, agile dans le combat de rencontre.
La dé-dollarisation de l’économie nous permettra non seulement de nous défendre, mais aussi de commercer avec les nations libres et de gagner des contrats.
L’État-stratège investira de manière agressive. Des droits de douane nous permettront de limiter les importations, mais aussi de mobiliser des fonds pour financer et reconstruire l’industrie nationale. Une TVA sociale de 10 %, sur les importations textiles coûtera seulement 66 centimes en moyenne toutes taxes comprises au consommateur français pour un jean, soit une hausse de 1 % sur le prix public consommateur. Elle rapportera 3 milliards d’euros par an, permettra d’exonérer l’industrie française de toute charge sociale patronale et de baisser ses prix de gros de 18 %, ou bien d’investir massivement dans la rénovation de l’outil de production. Cela redonnera du souffle à une filière qui compte plus de 100 000 salariés, et permettra de proposer des produits français de qualité aux marchés français et européens.
Contrairement à la doxa des macrono-libéraux, l’avenir de notre économie n’est pas dans les services financiers et les services à la personne. Il est dans les secteurs justement appelés primaires et secondaires, l’agriculture et l’industrie, y compris de main d’œuvre car tout le monde n’a pas vocation à être ex-ouvrier chômeur. Les services à forte valeur ajoutée réelle sont les services à l’agriculture et à l’industrie. Nous consacrerons une taxe sur les importations agricoles et la malbouffe industrielle au financement de la transformation du système agricole français en bio et en durable, et au financement de la recherche. Il y a une demande intérieure et internationale pour des produits nobles, de qualité. L’image de la France soutiendra ces exportations rentables pour les producteurs et créatrices d’emplois.
Je pourrais vous donner davantage d’exemples de ce que nous pouvons faire pour conquérir des marchés et créer de l’emploi si nous avions seulement l’esprit libre et une conception holiste de la société. Libérer l’esprit de la doxa, définir où passe la frontière, voilà le premier pas vers la liberté économique, la souveraineté et la puissance.
Où passe la frontière ? Avec quelle monnaie ?
Je ne prendrai pas position sur cette nouvelle affaire Dreyfus, car je ne veux pas que notre assemblée se transforme en ring de boxe.
Ce dont je suis certain en revanche, c’est que la mandature du prochain Parlement européen et celle de la prochaine Commission de Bruxelles sont la toute dernière chance de l’Union européenne telle qu’elle est. Soit l’Union européenne telle qu’elle est, l’euro et la BCE tels qu’ils sont, sont radicalement transformés, soit ils disparaissent sous la pression du réel. Car ils ne sont pas des instruments de puissance.
Vae victis.
Lionel Rondouin