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La Nature comme socle, ou comment l’esthétique permettra à l’homme de retrouver un destin politique

Texte inédit de Jean-François Gautier (1950-2020).

Exposition et concours photo

Dans ce texte inédit, rédigé peu de temps avant sa disparition le 6 décembre 2020 pour l’expo photo « La Nature pour socle », Jean-François Gautier appelle à appréhender la nature à la fois comme esthétique et comme politique, c’est-à-dire comme territoire à défendre. Le destin des Européens ? Se reconstruire des forces pour le combat de demain : celui de la reconquête de leurs contrées natives !

L’Européen est, par nature, un vivant politique. La formule n’est pas neuve. Elle ouvrait, voilà vingt-cinq siècles, les Politéïa d’Aristote. Elle exprime deux réalités naturelles. La première, c’est que l’être collectif l’emporte constitutionnellement sur l’individuel. La seconde, c’est que sans un minimum d’attention portée à la sauvegarde de son territoire propre, l’être collectif qu’est la Cité risquerait de quitter la nature dans laquelle elle s’incarne et, faute de disposer d’un espace propre et structuré à loisir, elle pourrait sortir de l’Histoire.

Une réalité que la modernité s’évertue à nier. La première de ses tactiques est le développement forcené des villes, où le territoire n’appartient plus à personne, pas même à la collectivité, et se trouve couramment pris en otage par des groupes de pression.

Ce que nous enseigne le paysage

L’attachement à un territoire circonscrit

Contre cet oubli des territorialisations nécessaires, la recherche et la représentation de paysages ouverts relève des pédagogies nécessaires. Marin, montagnard ou semi-céleste, s’il semble infini ou indéfini dans ses dimensions ou dans ses images, le paysage est apte à rappeler à la sensibilité combien tout espace a besoin d’être habité. C’est-à-dire : d’être politiquement circonscrit.

La maîtrise et la défense de sa terre

Sa vastitude ou son immensité, suggérées par la technique photographique, suscitent parfois le sentiment d’une grandeur majestueuse. Voilà qui n’est pas sans signification relative à la nécessaire maîtrise des espaces civiques. Ce combat-là sera l’un des principaux à mener pour les générations qui viennent. Et l’attention portée au paysage deviendra alors l’exercice par lequel l’Européen moderne se rappellera au quotidien la fragilité de ses territoires civiques hérités. La nature où il vit, celle qu’il va découvrir hors les villes, deviendra ainsi pour lui l’un des socles de ses méditations quotidiennes relatives aux batailles bientôt nécessaires.

La leçon antique

Le lien entre les hommes et la Nature incarné dans les dieux

Les leçons antiques retrouvent ici toute leur actualité. Que signifient les présences divines dans les moindres territoires d’action des humains ? Déméter incarnait, dans les mentalités helléniques, le constant respect dû aux cultures du sol, aux moissons et à la fertilité. Artémis disait les égards dus aux animaux nourriciers que la chasse donnait en partage. Hestia protégeait l’espace du foyer et les biens communs de la lignée. Hermès surveillait les voyageurs, les échanges et les commerces ; ses statuettes, qui balisent encore les routes grecques, valaient bien nos bornes kilométriques. A l’autre extrémité de l’Europe, la Damona celtique veillait sur la pureté des sources et des eaux, Épona protégeait les animaux domestiques, sources d’abondance, et Belisama, déesse de la forge, tenait un rôle comparable à celui d’Héphaïstos dans la fourniture de l’outillage. Il y eut ainsi des sagesses en grand nombre, qui reliaient aux naturalités et aux usages ordinaires de l’espace civique tout à la fois des vertus, des prudences, du respect, de la piété, et ce qu’il faut de déférence.

La Nature comme socle de vie

Dans ces mondes où la Nature n’existait pas comme concept abstrait ni esthétique, ni l’écologie comme collection d’artifices empruntés à différentes sciences, l’espace occupé était le socle de toute vitalité, de toute relation bien construite, tant avec autrui dans l’immédiat, qu’avec soi-même et avec autrui dans le devenir. Les innombrables dieux et déesses des semailles et de la fertilité en témoignent sur toute l’aire européenne. Nul n’était enclin à hypothéquer ni son espace, ni son avenir. Ces manières d’exister, rendues caduques par les mœurs modernes teintées d’urbanisme et d’universel, redeviennent d’actualité sous la pression des faits, quand les reterritorialisations des groupes humains retrouvent une urgence vitale, c’est-à-dire politique.

Le passage de la nature esthétique à la nature politique

Un recueillement esthétique nécessaire

Les photographies réunies dans la présente exposition, avec ou sans volatiles, avec ou sans témoignages de pierres dressées par des humains, avec ou sans insectes, personnages, lumières, brumes, montagnes, avec ou sans eaux dormantes ou jaillissantes, avec ou sans nuages à leur suite, toutes disent la tentation du citadin : le recueillement dans la solitude. C’est là une méditation nécessaire à la reprise de forces essentielles.

Faire ses armes pour le combat de demain

Elles anticipent les défis de demain, ceux qui s’éclaireront quand la naturalité politique et son agitation parfois violente reprendront le pas sur le bercement de la naturalité esthétique. Car tel est bien le destin des Européens : se reconstruire des forces pour la reconquête de leurs contrées natives, hors lesquelles ils passeraient à côté de destins faits d’affirmation spatiale de leur nature. La nature considérée d’un point de vue esthétique et subjectif rêve d’unité spatiale. La nature politique, quant à elle, en prend en charge les conditions matérielles et pratiques, c’est-à-dire celles du combat.

Jean-François Gautier

Billetterie 2024