Herrade de Landsberg (1125 ? – 1195)
Si le nom d’Herrade de Landsberg est certes tombé dans l’oubli, cela ne l’empêche nullement de rivaliser avec des femmes savantes de son époque plus connues, comme Hildegarde de Bingen.
« Ô vous, fleurs blanches comme la neige, qui répandez le parfum de vos vertus, en dédaignant la poussière terrestre, persistez dans la contemplation des choses célestes, ne cessez pas de vous hâter vers le ciel, où vous verrez, face à face, l’Époux caché à vos regards. »
Cet extrait est issu d’un poème rédigé par Herrade de Landsberg. La vie de cette abbesse est très peu connue, toutefois sa date de naissance est située entre 1125 et 1130. L’origine même d’Herrade reste entourée de mystère, car son appartenance à la famille noble des Landsberg n’est pas totalement certaine, c’est pourquoi elle est appelée aujourd’hui « Herrade dite de Landsberg », ou « Herrade de Hohenbourg », faisant référence au monastère dont elle fut l’abbesse durant presque trente ans.
Son entrée au couvent de Hohenbourg, situé sur le mont Saint-Odile dans le massif vosgien, marque véritablement le début de la vie d’Herrade. L’abbesse Relinde se charge de l’éducation de la jeune fille, devenant sa véritable mère spirituelle. Elle la forme non seulement à la vie religieuse, mais également aux lettres et aux arts, contribuant à faire d’Herrade une femme pieuse, dévouée au Christ, mais également dotée d’un solide bagage savant et artistique. C’est donc en toute logique qu’Herrade prend la tête du couvent en succédant à Relinde en 1167.
La nouvelle abbesse dirige une communauté composée de quarante-six chanoinesses vivant selon la règle de saint Augustin, et de douze converses placées sous l’égide des Prémontrés. L’empereur Frédéric Ier Barberousse valide lui-même le nouveau statut d’Herrade, montrant à quel point cette fonction est prestigieuse. Durant son abbatiat, la religieuse poursuit l’œuvre de Relinde en achevant la restauration du monastère, soutenue également par l’empereur Frédéric Ier Barberousse. Herrade permet également l’installation de Prémontrés dans le monastère de Niedermunster, situé au pied du mont Saint-Odile et fondé vers 700 par sainte Odile.
À côté de ses obligations d’abbesse, Herrade de Landsberg se consacre à une œuvre monumentale qu’elle réalise entre 1159 et 1175 : il s’agit de l’Hortus Deliciarum (Le Jardin des Délices). Composé de plus de six cents pages in folio et comportant des illustrations réalisées par l’abbesse, l’Hortus Deliciarum est la toute première encyclopédie rédigée par une femme. Ce codex comporte des citations bibliques, des écrits provenant des Pères de l’Église ainsi que des grands auteurs ayant marqué l’histoire de la pensée chrétienne, comme Eusèbe de Césarée, saint Augustin, Bède le Vénérable, saint Jérôme, Grégoire le Grand et saint Ambroise.
À ces auteurs incontournables, Herrade ajoute des penseurs plus récents, comme Raban Maur. Plus surprenant encore, elle évoque des théologiens qui lui sont contemporains, comme saint Anselme de Cantorbéry, Pierre Lombard et son élève, Pierre le Mangeur. Ce détail prouve qu’Herrade est particulièrement bien renseignée sur les évènements politiques et les débats qui agitent le monde savant en Europe occidentale, ce qui signifie qu’elle a entretenu des correspondances avec les grands penseurs et abbés de cette époque. Elle aurait même échangé des lettres avec le Pape Lucius III.
Herrade alterne ce contenu religieux avec des chapitres portant sur l’Histoire sainte, ainsi que des considérations sur des sciences telles que la cosmologie, l’agriculture, la topographie et les systèmes philosophiques alors en vigueur en Europe. Notons qu’après le chapitre dédié à la Création de l’Homme, l’abbesse n’hésite pas à évoquer la médecine et l’anatomie, dénotant ainsi une véritable curiosité scientifique. En outre, toute l’œuvre d’Herrade est parsemée de poèmes et d’hymnes disposant d’annotations musicales en marge, ainsi que de trois cent trente-six illustrations faites de sa main. À la fin de l’œuvre, Herrade s’est même amusée à créer un calendrier perpétuel allant jusqu’en 1707 ! Cette œuvre monumentale avait pour vocation de servir d’outil d’enseignement aux religieuses désireuses d’acquérir le bagage de connaissances le plus complet possible. Les illustrations réalisées par Herrade devaient permettre de rendre ce contenu plus ludique.
Hélas, le manuscrit original a disparu lors de l’incendie de la bibliothèque de Strasbourg par les troupes prussiennes, dans la nuit du 24 au 25 aout 1870. Heureusement, des copies de l’encyclopédie ont été effectuées avant ce funeste évènement, permettant à n’importe quel esprit curieux de se plonger dans cette œuvre monumentale.
Si le nom d’Herrade de Landsberg est certes tombé dans l’oubli, cela ne l’empêche nullement de rivaliser avec des femmes savantes de son époque plus connues, comme Hildegarde de Bingen. L’abbesse du mont Sainte-Odile a marqué l’Europe savante du Moyen Âge par cette grande encyclopédie, inspirant ainsi des générations d’artistes et de penseurs, dont Jérôme Bosch. Après tout, ce dernier n’a-t-il pas également appelé l’une de ces œuvres les plus emblématiques le Jardin des Délices ?
L’existence d’Herrade est intimement liée à cette encyclopédie si remarquable, mais également à l’abbaye de Hohenburg, dans laquelle elle a passé presque toute sa vie. Juché à plus de sept-cent mètres d’altitude, sur le mont Sainte-Odile, c’est un haut lieu de pèlerinage revêtu de grès rose qui s’élève majestueusement. Malgré trois incendies depuis sa création en 680 par Sainte Odile et ses nombreuses reconstructions, l’abbaye comporte aujourd’hui une basilique, des chapelles, une bibliothèque et un cloître tout à fait remarquable. Il est également intéressant de noter qu’au pied de cet édifice chrétien court un mur païen encore visible, dans un cadre naturel propice à l’inspiration, comme l’atteste le séjour de Maurice Barrès sur ce site.
Bibliographie
- Jacques Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Âge, 1985, Éditions du Seuil ;
- Sophie Cassagnes-Brouquet, La Vie des Femmes au Moyen Âge, 2009, Éditions Ouest-France ;
- Marie-Thérèse Fischer, Treize siècles d’histoire au mont Sainte-Odile, Strasbourg, Éditions du Signe, 2006
Photo : médaillon sculpté par Johann Baptist Riegger, Bibliothèque Nationale Universitaire, Strasbourg.