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Quand Michel Déon imaginait les Européens affronter une pandémie venue d’Asie

Extrait du livre Les Poneys sauvages de Michel Déon (pp. 411-412).

Quand Michel Déon imaginait les Européens affronter une pandémie venue d’Asie

Un texte à l’étrange résonance, tiré des Poneys sauvages, le grand roman de Michel Déon (éditions Gallimard, novembre 1970).

– L’offensive se précise ! dit-il l’index levé. La moitié de la Grande-Bretagne est au lit. Vous lirez ça pendant le trajet…

Je ne lus que les titres tant la route était sinueuse. La grippe de Hong-Kong prenait de telles proportions qu’elle s’avérait une catastrophe nationale : économie bloquée, épuisement des antibiotiques, démoralisation générale, sans que l’on précisât le nombre des morts.

– Ils trouveront la parade dans les semaines qui viennent, dis-je. Les microbes n’ont pas encore l’arme absolue.

– Pff ! c’est un virus insignifiant. Je vous l’ai dit : un élément précurseur, bon pour une répétition générale avant la grande vague qui, elle, fourbit son arme absolue, cent fois plus rapide que tous les cancers. Comme toujours l’humanité fixe les yeux sur le mauvais danger : la Chine avec son milliard d’hommes… Mais que représentera ce milliard d’hommes devant un milliard de milliards de virus ? Le virus dévastera la Chine en un jour quand il s’attaquera à elle, dans les conditions d’hygiène où elle vit… Un charnier immense exhalera des vapeurs fétides que les vents répandront sur toute l’Asie, puis l’Europe et par dessus le Pacifique sur les Amériques. Nous ne savons encore rien des virus. Nous n’avons examiné que les plus anodins, et ce que nous voyons confirme leur intelligence, leur sens de l’organisation, leur voracité, leur faculté d’adaptation à tous les milieux. Au contact de l’homme, ils commencent à sécréter une sorte d’intelligence diabolique. Le jour où ils éliront pour chef le plus puissant d’entre eux, ce virus se multipliera en quantités infinies. Les premiers charniers fonctionneront comme des couveuses. L’homme n’est pas de taille à lutter. La civilisation l’a rendu plus grand, plus fort, moins laid, mais aussi plus vulnérable aux épidémies d’origine inconnue. Il peut se battre contre un lion, un tigre, contre son semblable, mais quand un virus l’attaque, il a la fièvre, les jambes molles, le cœur chancelant et il se couche. Son courage ne lui sert plus à rien.

Michel Déon