Philippe Conrad : Relever le défi migratoire, rendre à l’Europe son identité
Introduction du colloque « Face à l’assaut migratoire, le réveil de la conscience européenne » : Relever le défi migratoire, rendre à l’Europe son identité. Par Philippe Conrad, président de l’Institut ILIADE.
C’est en 1973, il y a déjà quarante-trois ans, que Jean Raspail publiait son Camp des Saints, un roman dont le succès commercial venait bouleverser quelque peu le confort intellectuel des années post-soixante-huitardes. Une époque qui voit s’effondrer, à partir de 1972, le taux de fécondité des nations européennes, avec les conséquences à terme que Pierre Chaunu analyse clairement dans sa Peste blanche.
Des années qui voient également, en 1975, le couple exécutif Giscard-Chirac autoriser le regroupement familial au profit des travailleurs immigrés venus s’employer en Europe à la faveur des « Trente Glorieuses », une pompe aspirante qui va développer toutes ses conséquences au cours des décennies suivantes. Et ce au moment où les deux crises pétrolières de 1973 et 1979 font exploser le chômage de masse…
Plus lucide dans la deuxième partie de son mandat, Giscard entend encourager le retour et la loi Bonnet-Stoleru est votée dans cet objectif mais, en 1981, la victoire de Mitterrand vient remettre en cause ce début de réaction et le nouvel hôte de l’Elysée décide au contraire de régulariser massivement les immigrés clandestins. On sait comment ensuite des calculs purement électoralistes conduisent François Mitterrand à déclarer que les immigrés « sont chez eux chez nous », au risque de confirmer l’appel d’air mis en oeuvre au cours de la décennie précédente qui a vu une nouvelle immigration de peuplement se substituer à l’immigration de travail des années soixante.
Le tabou de l’immigration de peuplement
La question est vite considérée comme tabou par les médias, dominés par les héritiers du soixante-huitardisme et c’est un véritable déni de réalité qui se met dès lors en place. On nous explique qu’il n’y a pas plus d’immigrés en France que dans les années trente en oubliant les naturalisations à tout va inscrites dans la prédominance du droit du sol pour les enfants nés en France, on nous vante les bienfaits de cet apport extérieur au moment où ferment les usines, alors que la crise précarise toujours plus les travailleurs français, sans oublier la panne de l’ascenseur social qu’annonce la crise d’un système éducatif conduit au naufrage par les lubies soixante-huitardes.
On refuse de considérer les simples remarques de bons sens que devrait inspirer la situation, à savoir qu’une immigration utile au pays d’accueil et débouchant sur une assimilation réussie ne peut se fondre que sur des données simples : les quantités d’immigrants concernés, la durée pendant laquelle s‘opère le phénomène, le contexte économique et social du pays d’accueil, enfin la proximité culturelle entre les autochtones et les nouveaux venus. On sait que, de cette manière, la France est devenue à partir de la fin du XIXème siècle – après avoir été le premier pays européen à entamer sa transition démographique – un pays qui a pu et su assimiler successivement des Belges, des Italiens, des Polonais, des Russes, plus tard des Espagnols, des Portugais ou des contingents d’immigrants venus de son Empire colonial. Une assimilation généralement acquise en l’espace de deux générations.
Les choses changent à partir des années 1970 du fait des flux massifs qui sont désormais constatés puis, au fil du temps, du fait d’un réveil islamique qui va rencontrer en Europe de puissants échos et va fatalement compromettre l’assimilation ou l’intégration qui étaient envisagées par les dirigeants et les « autorités » morales, éducatives et médiatiques.
Il est de fait aujourd’hui que le communautarisme s’est progressivement imposé sur les « territoires perdus de la République » et que nombre de jeunes issus de l’immigration dont les parents sont venus du Maghreb, de Turquie ou d’Afrique subsaharienne se reconnaissent aujourd’hui dans un Islam prosélyte beaucoup plus militant, ce qui fait que les jeunes générations d’aujourd’hui sont, pour une bonne part, beaucoup moins intégrées que celles de leurs grands-parents…
Face à la menace des problèmes suscités par une telle évolution, les politiques se sont surtout contentés de discours mais le « seuil de tolérance » évoqué par Mitterrand, « l’invasion » dénoncée un peu tard par Giscard, les propos de Rocard affirmant que la France « ne pouvait plus accueillir toute la misère du monde », sans parler de ceux de Chirac concernant les « odeurs des Africains » sont demeurés des paroles verbales sans lendemain, tout comme les « bonnes questions » et les « mauvaises réponses » donnée au problème, selon Fabius, par le Front National…
Le phénomène s’est depuis régulièrement amplifié, dans un silence médiatique assourdissant jusqu’à ce que, en 2007, pour des raisons électoralistes évidentes, Nicolas Sarkozy n’ouvre, selon ses adversaires, la boîte de Pandore de « l’immigration et de l’identité nationale ».
Un phénomène hors contrôle
Le tabou était levé, bien tard, mais l’aggravation de la situation, consécutive au chaos installé en Libye en 2011, aux guerres civiles et au sous-développement qui affectent l’Afrique subsaharienne et aux crises nées du conflit afghan et des printemps arabes font que le phénomène apparaît désormais totalement hors contrôle. Le flux des réfugiés économiques, l’invocation du droit d’asile et les effets massifs du regroupement familial – ce qui correspond au bas mot en France à 200 000 arrivées par an, sans compter les clandestins – a entraîné comme résultat qu’au moins 15% des Français sont aujourd’hui d’origine extra-européenne.
Il faut distinguer bien sûr nos compatriotes des DOM TOM et les nombreux immigrants qui ont réussi leur parcours d’intégration, mais il est clair que les circonstances actuelles et le prosélytisme islamique vont rendre de plus en plus difficile la réussite de l’assimilation ou de l’intégration, d’autant que les pouvoirs publics apparaissent non seulement désarmés mais complices.
L’idéologie droit de l’hommiste qui s’est imposée à la faveur de la chute du communisme, de la mise en oeuvre du système libéral mondialisé et de l’effacement programmé des nations a imposé de fait le principe de libre circulation pour tout le monde et n’importe qui, et a proclamé l’obsolescence prochaine, souhaitable et définitive des frontières. Les incantations antiracistes formulées pour interdire tout débat sur la question et l’exaltation de l’homme nomade cher à Jacques Attali ne sont cependant pas parvenues à étouffer la résistance des peuples, ce dont témoignent les insurrections civiques qui s’opèrent en de nombreux pays et s’expriment dans les votes en faveur des partis dénoncés comme « populistes» par le système en place (le naufrage de « l’antifascisme » de grand-papa a contraint les pseudo-élites autoproclamées à imaginer un nouveau vocable dont elles espéraient qu’il ferait l’objet d’une condamnation sans appel).
La manœuvre n’a pas vraiment réussi, comme en témoignent les évolutions politiques constatées dans de nombreux pays européens. D’ores et déjà, les promoteurs du « village global » soumis à la « démocratie » et au marché semblent avoir perdu la partie et il y a quelque chose de pathétique à voir la technocratie bruxelloise, aussi illégitime qu’irresponsable et nuisible, s’accrocher à ses lubies immigrationnistes et à se prévaloir de ses « valeurs » pour justifier l’arrivée en Europe de cinquante millions d’immigrés dans les deux décennies qui viennent, un afflux nécessaire pour assurer demain le paiement de nos retraites…
Tracer les voies du nécessaire réveil européen
Il ne suffit pas d’établir et de préciser le constat de la situation inquiétante que nous connaissons aujourd’hui. Encore faut-il, pour réagir, poser le bon diagnostic et imaginer les remèdes adaptés. Les diverses résistances politiques aujourd’hui en action sont évidemment légitimes mais il apparaît clairement qu’elles ne peuvent suffire. Elles risquent de se limiter simplement à un « chacun pour soi » susceptible de susciter et d’aggraver les divisions européennes au moment où, plus que jamais, le XXIème siècle exige la formation de vastes ensembles capables de faire face aux défis en cours. Pour nous, une Europe qu’il ne s’agit pas de vouloir construire à tout prix selon un schéma institutionnel unique, mais dont les Etats doivent réagir en commun face au danger.
La condition nécessaire pour surmonter les crises en cours consiste à renverser la table et à balayer l’idéologie mortifère aujourd’hui dominante, à affirmer les identités des patries charnelles et des nations et la communauté civilisationnelle correspondant à notre vieille Europe brisée par le sombre XXème siècle. Le réveil nécessaire s’inscrit, pour chacun de nos pays, dans le combat pour sa langue face au sabir globish que le système tend à imposer. Tout autant dans le combat pour l’Histoire à un moment où certains historiens, aveuglés par l’idéologie, nous incitent à nous débarrasser du « poison de l’identité » et à nous reconnaître dans une histoire globale et « connectée », à renoncer au roman national décrit comme une pure construction idéologique totalement illégitime pour rendre compte des « lendemains qui chantent » à venir…
Ce combat, il passe aussi par la remise en cause de l’escroquerie monumentale que constitue le prétendu « art contemporain » dénoncé avec le talent que l’on sait par Aude de Kerros, mais aussi par la valorisation des formes et des disciplines artistiques enracinées, inscrites dans une tradition vivante. Ce renouveau nécessaire passe aussi sans doute par la remise en cause d’un certain modèle économique fondé sur un consumérisme exclusif, déconnecté d’une nature de plus en plus abîmée par l’hégémonie d’une technique toujours plus envahissante. Autant de nouveautés qui devront sans doute nous conduire à imaginer un nouveau contrat social permettant de dépasser l’homo economicus qui s’est imposé dans la foulée du triomphe de la société marchande et de l’idéologie progressiste. Il faudra aussi compter avec les réveils spirituels qui accompagneront fatalement les mutations à venir, et dont témoignent déjà les mouvements de fond affectant les jeunes générations.
Le chantier est gigantesque mais il nous faut d’abord rendre les Européens à l’Europe puis l’Europe aux Européens, éveiller les consciences pour dépasser l‘ahurissement général auquel nos peuples sont soumis, ce qui implique la mise en œuvre initiale d’une vaste révolution culturelle en mesure de changer complètement la donne et d’en finir avec les illusions, les mensonges et les impasses accumulées au cours des deux derniers siècles. Comme l’a souhaité Dominique Venner, c’est la vocation de l’Iliade de contribuer à cet immense effort.
Nous avons besoin, pour le mener à bien, de l’engagement de tous ceux qui se retrouvent avec nous sur l’état des lieux que je viens d’établir.
Dans une situation aussi inédite et imprévisible que celle que nous connaissons aujourd’hui, le temps du combat est venu et nous savons, pour reprendre une formule fameuse, que « là où est une volonté, il y a un chemin… »
Philippe Conrad