Institut ILIADE
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Le retour du politique

Introduction au IXème colloque de l'Institut Iliade, samedi 2 avril 2022, par Philippe Conrad.

Le retour du politique

Il ne vous a pas échappé, chers amis, que le thème retenu pour ce colloque de l’Iliade s’inscrivait dans un moment où se combinent le prévisible et l’inattendu. C’est bien sûr la perspective de l’élection présidentielle des 10 et 24 avril qui nous a conduits à engager une réflexion originale sur le politique, mais les évènements survenus ces dernières semaines à l’est de l’Europe viennent aussi nous rappeler qu’il n’est plus possible, au nom de l’utopie mondialiste et progressiste, d’ignorer la remise en cause des grands équilibres internationaux issus de la Seconde Guerre mondiale et de la Guerre froide.

La campagne en vue des élections présidentielles a vu un retour au premier plan des questions relevant du domaine « régalien », là où, durant des décennies, les enjeux économiques et sociaux s’étaient imposés sans partage. Les préoccupations liées à la souveraineté, à la sécurité, à l’identité, à l’avenir sur le long terme de la nation française se sont invitées dans le débat après avoir été escamotées ou négligées depuis des décennies. Autant de défis qu’il est devenu nécessaire et urgent de relever après des décennies d’aveuglement et d’impuissance. Autant de questions qui rendent toute sa place à la décision politique. Les ravages de la cancel culture importée d’Amérique du Nord et les ridicules du wokisme témoignent pour leur part d’une entreprise de déconstruction engagée depuis longtemps, ultime avatar des délires soixante-huitards. Là aussi, qu’il s’agisse de la langue ou d’une relecture de l’histoire qui se veut culpabilisante ou de « l’intersectionnalité des luttes » menées au nom des minorités les plus diverses, on ne peut que constater l’absence d’un État qui semble avoir pris son parti de la décomposition en cours. La remise en cause de la souveraineté du peuple, source de toute légitimité démocratique ne semble pas davantage inquiéter les tenants du système en place, prêts à s’accommoder d’une démobilisation toujours plus marquée des citoyens réfugiés de plus en plus nombreux dans l’abstention. Nombreux sont ceux qui s’inquiètent de cette « crise démocratique » présente dans tous les grands pays occidentaux mais bien rares sont ceux qui poussent la réflexion et l’analyse jusqu’à la mise en lumière des origines d’une désaffection apparemment irréversible.

Le retour de la guerre en Europe apparaît comme un signal aussi révélateur qu’inquiétant. Satisfaites d’avoir adhéré au projet de mondialisation heureuse porté par le monde libéral occidental, les élites autoproclamées ont imaginé qu’il était possible, au nom de l’idéologie des droits de l’homme et des bienfaits de l’économie de marché, d’évacuer le tragique de l’Histoire, de nier les différences héritées du passé, de négliger les identités forgées au fil du temps. Cette construction idyllique inspirée des internationalismes wilsonien et socialiste se fracasse aujourd’hui sur le réveil de l’Islam, la montée en puissance de la Chine ou les nostalgies identitaires d’espaces de civilisation passés un peu trop vite au rang de survivances désormais anachroniques dans un monde unifié dans les délices de la consommation, du bonheur individualiste et du multiculturalisme triomphant. Les illusions de l’optimisme progressiste et les certitudes d’un Fukuyama – convaincu que nous abordions, il y a trente ans, la « fin de l’Histoire » – ont fait long feu et il va falloir compter désormais avec un monde redevenu dangereux, marqué par le retour de la volonté de puissance des grands États et par la permanence d’une compétition mondiale de nouveau inquiétante. Autant d’événements et d’évolutions qui justifient et légitiment que nous nous penchions aujourd’hui, dans la continuité de l’entreprise engagée depuis huit ans par l’Iliade, sur la restauration nécessaire du politique, seul en mesure de garantir la protection et le maintien des identités de nos peuples et de l’Europe considérée dans son ensemble, d’affirmer la nécessaire souveraineté des Etats, de permettre et de favoriser le réenchantement de nos histoires et de nos héritages.

Dès sa fondation et suivant en cela les choix qui étaient ceux de Dominique Venner, son principal inspirateur, l’Iliade a choisi d’inscrire son action dans le temps long mais ne rien attendre des combats politiciens – bien dérisoires au regard des défis que nous devons affronter – ne signifie pas qu’il faut négliger le temps court car il témoigne des évolutions profondes de nos sociétés, même si les aspirations nouvelles qui peuvent s’y exprimer demeurent longtemps en attente d’une traduction politique claire et cohérente. L’intérêt que peuvent revêtir les nouveaux rapports de forces qui peuvent se révéler au soir de consultations électorales ne signifie pas que nous devons nous engager dans des choix partisans, par nature exclusifs, au service d’un camp ou d’une personne. Comme nous l’avions fait dans les années 1970 et 1980 du siècle passé, c’est à une approche métapolitique que nous convions ceux qui nous rejoignent et entendent se mobiliser contre la décomposition en cours de nos sociétés européennes menacées par la submersion migratoire, par l’hédonisme débilitant et par l’effondrement intellectuel. Notre programme n’est pas celui – tout à fait légitime au demeurant – d’un candidat ou d’une candidate à l’élection présidentielle, c’est celui d’une révolution ou d’une contre-révolution culturelle ayant pour objectif de rétablir, dans tous les domaines, les fondations de notre héritage français et européen. Ce n’est que sur un terreau préparé de longue date – en fonction de circonstances par nature imprévisibles – que des combattants politiques seront en mesure d’imposer une nouvelle vue du monde , quand celle-ci sera devenue évidente pour les peuples confrontés à des crises existentielles majeures. Ce sont plusieurs décennies en amont que s’est préparée la Révolution française, quand se sont progressivement imposées des idées, un vocabulaire et des représentations nouveaux et il en a été de même pour le grand carnaval soixante-huitard. C’est à ce travail de fond que nous devons nous consacrer aujourd’hui en priorité. Nul ne peut prévoir à quel délai et dans quelles conditions surgiront les évènements porteurs de ruptures radicales mais nous pouvons en revanche préparer des générations d’hommes et de femmes susceptibles, le moment venu, de faire pencher le cours de l’Histoire dans le sens du sursaut et du réveil.

Il ne convient pas pour autant de négliger les échéances électorales, dans la mesure où elles constituent des étapes révélatrices de l’évolution d’une société. Elles permettent de sensibiliser les peuples à certaines thématiques et l’on mesure bien l’affolement qui saisit aujourd’hui le monde de la bien-pensance quand il constate que des sujets jusque-là passés sous silence ou un vocabulaire longtemps considéré comme tabou se sont imposés à travers réseaux sociaux et chaînes indépendantes dans des couches toujours plus larges de notre société. C’est ainsi que la référence au « grand remplacement », décrit par Renaud Camus et demeuré longtemps l’objet de toutes les condamnations des ligues de vertu, est aujourd’hui devenue banale. Éveiller les opinions publiques, diffuser des idées nouvelles désormais en résonance avec les préoccupations d’un nombre de gens toujours plus grand, mobiliser enfin pour constituer le creuset où réunir toutes les énergies disponibles, tout cela peut être facilité par les campagnes électorales et les grands rassemblements qu’elles suscitent. Pour autant, l’Iliade ne saurait être le think-tank d’une écurie électorale particulière, dans la mesure où sa mission dépasse largement le moment évènementiel concerné.

Au-delà des débats partisans qu’engendre le court terme, c’est vers quelques tendances lourdes liées à la réflexion politique que nous nous tournons. Fidèle à la pensée de notre maître Julien Freund, lui-même inspiré par Carl Schmitt, nous savons l’importance du couple « Ami-Ennemi » lié à la nature profonde du politique fondée sur la désignation de l’ennemi, que celui-ci nous menace ou que nous le percevions comme en mesure de mettre en cause notre liberté et notre souveraineté. Autant dire que la grande politique telle que nous la concevons n’a que faire de l’optimisme philanthropique et des jérémiades droit-de-l’hommistes qui masquent le plus souvent la sottise et la faiblesse affectant les sociétés européennes de ce début de XXIe siècle.

Avec notre ami Henri Levavasseur, nous savons également que l’équilibre de la polis repose d’abord sur une identité partagée, sur un peuple conscient et fier de ce qu’il est, en un mot sur une « identité socle de la cité » selon le titre de son ouvrage. Restaurer le politique c’est également pour nous remettre en cause un certain nombre de dérives survenues ces dernières décennies. La primauté absolue accordée par les libéraux comme par les marxistes à l’économie à l’homo economicus producteur et consommateur attaché à la seule satisfaction de ses besoins matériels et oublieux des valeurs fondatrices de sa communauté ethnique et historique, nationale et civilisationnelle qui ont fondé au fil des siècles la diversité du monde. Restaurer le politique, c’est aussi lui rendre sa liberté face au gouvernement des juges et à un « État de droit » posé comme supérieur à la volonté des peuples et de leurs représentants . C’est aussi remettre en cause la figure de l’homo festivus si bien décrit par Philippe Muray, cet individu abandonné aux plaisirs aussi vains qu’immédiats, cible toute trouvée des grandes entreprises d’ahurissement mises en œuvre au service d’un projet évacuant toute identité culturelle enracinée et toute aspiration spirituelle au beau et au bien. Restaurer le politique, c’est aussi contrecarrer les entreprises de subversion intellectuelle conduites à coups de mythes incapacitants dont le wokisme importé des États-Unis n’est que le dernier avatar. C’est aussi dépasser la pseudo- distinction entre le peuple et les prétendues « élites » autoproclamées.

On le voit, le chantier est immense. Mais déjà des murs sont tombés, un rapport de force nouveau s’est établi dans la bataille pour l’information, dans la guerre sémantique, dans le combat pour une histoire débarrassée des déconstructions mortifères. Nous ne savons pas à quelle échéance interviendront les basculements décisifs mais nous savons qu’il est urgent de préparer ceux et celles qui seront en mesure, le moment venu, de prendre la relève quand les conditions nécessaires auront été réunies et quand le terrain aura été suffisamment préparé.

Je terminerai en citant Dominique Venner qui écrivait dans son Histoire et tradition des Européens :

« Comme dans le conte de La Belle au Bois Dormant, la mémoire endormie de l’Europe se réveillera. Elle se réveillera sous l’ardeur de l’amour que nous lui porterons… »

Philippe Conrad

Cette intervention est disponible au format audio.