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Renaud Camus face au remplacisme global, par Fabien Niezgoda

Le Grand Remplacement n’est pas une « théorie » : c’est un constat et un signal d’alarme. Derrière le droit des peuples à la continuité historique, il s’agit de défendre la polyphonie du monde – tout ce qu’il conserve encore d’irremplaçable.

Renaud Camus face au remplacisme global, par Fabien Niezgoda

Si l’expression « Grand Remplacement » est désormais assez systématiquement associée au nom de Renaud Camus, notamment par tous les automatismes journalistiques autour de la « théorie » du grand remplacement, on ne peut que déplorer que les écrits de celui-ci restent peu lus. Il est vrai en particulier, quoique cela n’excuse en rien les non-lecteurs, que Le Grand Remplacement[1] n’avait pas connu jusqu’ici une aussi grande diffusion que l’expression.

Ce titre fut d’abord en 2011 celui d’une mince brochure rassemblant le texte de trois conférences, publiée aux éditions David Reinharc. Le livre fut étoffé dès l’année suivante, mais désormais en auto-édition (« Chez l’auteur »), puis complété par un texte important sur Le changement de peuple. Ce noyau, auquel s’agrégèrent progressivement une vingtaine d’autres textes, a fini par constituer au fil des rééditions successives un fort volume de plus de cinq-cents pages, désormais proposé et diffusé par les éditions de la Nouvelle Librairie.

Qu’est-ce que le « Grand Remplacement » ?

Qu’est-ce donc que le « Grand Remplacement », selon Renaud Camus ? C’est une dénomination, un syntagme marquant, la désignation d’un événement majeur, d’un phénomène historique.

Ce n’est pas une « théorie », pas plus qu’il n’y a de « théorie de la Guerre de Cent Ans », de « théorie de la Grande Guerre », de « théorie de la Révolution française », etc. Le Grand Remplacement, c’est d’abord un constat, celui que peuvent faire ceux qui ouvrent les yeux sur le destin historique de leur civilisation, qui la savent et la craignent mortelle ; un constat et un signal d’alarme, dans la lignée du discours des « fleuves de sang » prononcé en 1968 à Birmingham par Enoch Powell[2], l’un des « deux prophètes », avec Jean Raspail, à qui Camus a dédié son livre.

Ce constat, Renaud Camus le fit lui-même dans les années 1990 en parcourant, pour l’écriture d’un livre sur le département de l’Hérault, de vieux villages fortifiés autour de Lunel ; il résume d’une formule simple ce qui lui apparut alors : « vous avez un peuple et presque d’un seul coup, en une génération, vous avez à sa place un ou plusieurs autres peuples ».

Pourtant, bien souvent, au lieu du constat lucide de l’évidence et du désastre, l’auteur remarque une triple réaction, une triple fuite, un triple déni, sur le mode du « chaudron percé » évoqué par Freud : le Grand Remplacement, récite-t-on, d’une part n’existe pas, d’autre part est souhaitable et bénéfique, enfin est naturel et inéluctable. Face à ces arguments incohérents, il s’agit donc de dire ce que l’on voit, et d’abord même de voir ce que l’on voit. C’est le sens du percutant conte Ørop, l’un des précieux textes repris ici, présenté comme un conte inédit et inachevé d’Andersen. Comme dans les Habits neufs de l’empereur, la vérité sort de la bouche d’un enfant, parce qu’il ignore le nouveau dogme selon lequel il n’y aurait plus d’histoire ni de peuple. Or l’histoire « est une vieille dame toujours jeune, énergique et fantasque, romanesque en diable, qui s’ennuie facilement et ne rêve qu’aventures, plaies et bosses, sombres drames, coups d’éclat, de théâtre et d’État. Elle ne déteste rien tant que la dérobade et le retrait, surtout lorsqu’elle pressent qu’ils sont organisés contre elle, par défiance à son endroit, afin de se soustraire à son emprise. » Reste à savoir comment s’opérera le retour de l’histoire, le retour à l’histoire : par le réveil des remplacés ? ou par le triomphe des remplaçants, une fois rompu le « pacte germano-soviétique » entre les « deux totalitarismes rivaux et provisoirement alliés », le remplaciste et l’islamiste, celui qui rend possible le remplacement et celui qui en profite ?

Contre le règne du faux

Avant même la tâche, politique par excellence, qui consiste à contrer le phénomène du Grand Remplacement et à sauvegarder la continuité historique des peuples d’Europe, celle que s’assigne l’écrivain consiste donc à lutter contre le déni, contre l’occultation, contre ce qu’il nomme le faussel, le réel inversé, ce discours – plus qu’un discours, d’ailleurs, une façon d’appréhender le monde – qui nomme par exemple « populaires » des quartiers qui se caractérisent au contraire par l’absence du peuple indigène, ou qui prête un sens autre qu’administratif et hermogénien[3] à l’oxymore « djihadiste français ». Le faussel consacre le règne du faux, du toc, de l’ersatz, du substitut, du bidon, de l’inauthentique. Et il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que le faussel soit indissociable de ce que Camus nomme le remplacisme.

Car, si la « théorie du Grand Remplacement » n’est on l’a dit pas une théorie, Camus admet en revanche bien volontiers que, par-delà ce phénomène et le constat qu’il appelle, il est possible et nécessaire de théoriser ce qui se passe, pour en comprendre les ressorts. C’est là qu’intervient le concept du « remplacisme global ». Pour rendre celui-ci intelligible, et même lumineux, l’écrivain forge un certain nombre de mots ou d’expressions, ou en reprend et développe qu’il avait forgés précédemment, et dont on ne fera ici que citer une sélection : industrie de l’hébétude, Amis du Désastre, davocratie, matière humaine indifférenciée (MHI)…

Derrière le phénomène historique, démographique, géopolitique, social, qu’est le Grand Remplacement, on peut en effet observer une mutation anthropologique, l’avènement de l’homme remplaçable, qui n’est lui-même que l’aspect le plus spectaculaire – pour qui reste sensible à ce qu’était l’humain d’avant la fin de l’Histoire – de l’avènement du remplaçable tout court. De la banlieue universelle au voyage touristique, les paysages, l’architecture, la cuisine, l’art, les matériaux, le monde lui-même, « tout est remplacé par son double standardisé, normalisé, simplifié, taylorisé, fordifié, industrialisé, marchandisé, massifié, plastifié, low cost »[4]. Et c’est ce remplacisme, lui-même nourri par la déculturation et le Petit Remplacement[5], qui permet le Grand Remplacement, car « un peuple qui connaît son histoire et qui sait ses classiques ne se laisse pas mener béatement dans les poubelles de l’histoire ».

Derrière les défis migratoires : l’avènement du « remplaçable »

Le « Grand Remplacement », c’est donc d’abord une formule percutante qui peut aider à dessiller des yeux et à faire admettre la réalité et la gravité de la submersion migratoire – autant d’ailleurs qu’elle peut servir de repoussoir à ceux qui préféreront toujours nier cette réalité, ou la justifier, ou s’y résigner. Force est de constater en tout cas que depuis que cette formule circule – tandis certes que la chose elle-même se confirme – les enjeux existentiels qui sont au cœur des migrations de masse sont moins facilement mis sous le tapis.

Mais ce qui justifie la lecture attentive du Grand Remplacement, au-delà de cette formule essentielle, de ce mot-obus, c’est bien toute la réflexion qui l’accompagne et porte sur le remplacisme global : « Un spectre hante l’Europe et le monde. C’est le remplacisme, la tendance à tout remplacer par son double normalisé, standardisé, interchangeable : l’original par la copie, l’authentique par son imitation, le vrai par le faux, les mères par les mères porteuses, la culture par les loisirs et le divertissement, les connaissances par les diplômes, la campagne et la ville par la banlieue universelle, l’indigène par l’allogène, l’Europe par l’Afrique, l’homme par la femme, l’homme et la femme par des robots, les peuples par d’autres peuples, l’humanité par une posthumanité hagarde, indifférenciée, standardisée, interchangeable à merci. » Si l’on tient au contraire à l’irremplaçable, alors il faut voir ce que l’on voit, dire ce que l’on voit et, pour comprendre ce que l’on voit et ce que l’on refuse, lire et relire Renaud Camus et ses mots eux-mêmes irremplaçables.

Fabien Niezgoda

Renaud Camus, Le Grand Remplacement. Introduction au remplacisme global, La Nouvelle Librairie éditions, Paris, 586 pages, 26,50 €. Acheter cet ouvrage en ligne.

Notes

[1] « Le Grand Remplacement n’est certainement pas le plus grand livre de Renaud Camus, mais c’est le grand livre de notre temps ; celui qui a fait entrer son auteur dans la langue commune », écrit François Bousquet à l’occasion de sa réédition (Éléments n°190, juin 2021).

[2] Discours dont Renaud Camus a justement préfacé l’édition publiée en 2019 par la Nouvelle Librairie.

[3] L’opposition entre Cratyle et Hermogène, tirée de Platon, est au cœur de Du Sens (P.O.L., 2002), livre majeur de Renaud Camus.

[4] Entretien avec Renaud Camus, Éléments n°181, décembre 2019.

[5] Renaud Camus, Le Petit Remplacement, Pierre-Guillaume de Roux, 2019.

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