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Mariage

Un texte de l'ethnologue et folkloriste français Arnold Van Gennep issu de son Manuel de folklore français contemporain.

Mariage

Le scénario nuptial est une suite d’étapes qui font alterner des rites de séparation d’avec la communauté d’origine et des rites d’agrégation à la catégorie des personnes mariées, puis des familles avec enfants. S’y ajoutent des rites de suspension ou de marge qui obligent les acteurs à n’avancer que progressivement, et avec des arrêts intermédiaires, vers l’épisode central, la cérémonie du mariage.

La date, le jour, l’heure et le lieu

Jusqu’au début du XXe siècle, la règle était que la cérémonie prenne place dans une période exempte de grands travaux agricoles, de façon à permettre les déplacements. Cette règle valait pour les agriculteurs, mais aussi pour toutes les autres classes sociales en raison de la présence quasi systématique de paysans dans la parentèle.

Certaines dates étaient éliminées a priori : le mois de mai, pour les chrétiens parce que c’est le mois de la vierge, chez les Romains et Gallo-romains car ce mois était regardé comme néfaste ; le mois de novembre, car c’est celui des morts ; pour les chrétiens, les périodes de jeune et d’avent.
Certaines périodes étaient également exclues : celles où les récoltes ont été insuffisantes pour permettre d’organiser et de payer une noce ; les périodes d’émigration temporaire, soit terrestre, soit maritime.

C’est la rareté des dates et périodes propices qui explique d’ailleurs l’existence de mariages synchroniques, plus que la survivance de mariages de groupes ou mariages communautaires destinés à réunir différents clans, comme cela s’est pratiqué en Bretagne où, parfois, tous les fiancés de l’année se mariaient le même jour.
Pour ce qui concerne le jour du mariage, dans la majorité des provinces françaises, le jour heureux est le mardi. Le jeudi est éliminé car le marié ce jour-là sera cocu (ou « Jean Jeudi » dans le Centre). Le vendredi, jour de Vénus, était un jour heureux dans l’Antiquité qui est devenu un jour malheureux pour les chrétiens, car associé à la passion du Christ. Mais c’est le samedi qui est le plus usité, car il permet de se reposer le lendemain.

Jusqu’au Moyen Age, les mariages se célébraient la nuit, pratique qui a ensuite été interdite pour réserver les noces nocturnes aux veuves qui se remarient et, dans certaines régions, aux femmes enceintes au moment de se marier. Depuis plusieurs siècles, le mariage a lieu le matin ou au plus tard en début d’après-midi si le cortège a une longue distance à parcourir.
C’est le plus souvent au domicile de la fille que se tiennent les noces, mais cette tradition supporte beaucoup d’exceptions, liées aux niveaux de richesse des familles, à la proximité des familles ou des terres, etc.

Le matin des noces

Comme pour tous les rites de passage dans la France rurale, la cérémonie est souvent précédée d’une aubade à la fille et à sa famille, ainsi que des traditionnels coups de fusil et de pistolet.
Depuis la christianisation, le mariage est un sacrement et les futurs époux doivent communier, ce qui les obligent à rester à jeun jusqu’à l’issue de la cérémonie. Jusqu’au XIXe siècle existait cependant la tradition de la collation dans la sacristie ou, en Alsace, celle qui consistait à faire manger une soupe aux futurs mariés avec la même cuillère en signe d’union.
Le matin qui précède les noces est aussi le moment où se fait la distribution des « livrées », rubans blancs ou de couleurs qui permettent de différencier (« marquer ») les personnes invitées à la noce, ainsi que les garçons et filles d’honneur, les musiciens et les chevaux.
Les « livrées » sont distribuées par les futurs époux ou les couples d’honneur.

La tenue de la mariée

Le blanc

Le blanc comme couleur nuptiale n’apparaît dans les campagnes qu’à la fin du XIXe siècle, sous la double influence du dogme de l’Immaculée Conception et de la mode des villes que l’on peut se procurer grâce aux catalogues.
Auparavant, les robes étaient de couleurs (avec une prédominance du rouge et du noir, ce dernier l’emportant à l’époque romantique).

La coiffure

Jusqu’au Moyen Age, la fiancée était conduite à l’autel les cheveux flottants, pour prouver sa pureté.
La couronne est le plus souvent présente à toutes les époques et dans toutes les régions. Elle est très importante car elle est le symbole d’une royauté temporaire, comme l’indique le fait que son imposition passe par une série de rites qui sont de même nature que ceux du couronnement et de l’abdication d’une reine.

C’est parfois à la grand-mère ou à la mère, mais le plus souvent à la première fille d’honneur que revient la charge de poser la couronne sur la tête de la future mariée. A la fin de la journée, c’est parfois le mari mais le plus souvent les demoiselles d’honneur qui procèdent au « découronnement » qui ramène l’épousée au rang de femme ordinaire.

L’imposition et la dépose de la couronne sont étroitement associées aux épingles qui permettent de la fixer. La tradition veut que celles-ci acquièrent un pouvoir magique par contact. Lors de son découronnement, la mariée offre les précieuses épingles à des femmes mariées à qui elles apporteront le bonheur et aux jeunes filles à qui elles apporteront un mari.
Le voile long et blanc n’est pas une coutume populaire française indigène. Il n’apparaît qu’à la fin du XIXe siècle, sous l’influence des confréries des « filles de la Vierge » et en analogie au costume que portaient les femmes de Judée (et donc la mère de Jésus) lors de leur mariage.

En revanche, la coutume du « crochon », qui consiste à distribuer des petits bouts de voile porte bonheur après la cérémonie, est directement inspirée de celle des épingles.

La ceinture

La ceinture est un élément du costume de noce que l’on retrouve dans toutes les traditions des provinces françaises et qui concerne autant la fille que le garçon. Elle est traditionnellement colorée et le nœud qu’elle permet de faire renforce magiquement l’union. Jusqu’au début du XXe siècle, la ceinture nouée était d’ailleurs tout aussi importante que l’anneau nuptial.
La pose et la dépose de la ceinture sont, selon les régions, l’apanage du parrain ou de la marraine, des garçons et demoiselles d’honneur, parfois des parents ou grands-parents mais, quels que soient les acteurs, c’est l’idée de lien entre les époux, mais aussi avec les parents et les amis, qui est essentielle.
Cette idée de lien et de transmission est notamment illustrée en Savoie par l’utilisation de la ceinture comme attache du berceau du premier né.

Les chaussures

La plupart des folkloristes constatent qu’il leur est attribué une symbolique sexuelle et érotique. Le soulier est signe de subordination, de vasselage et de transmission, mais aussi d’abandon aux désirs de l’homme ; se laisser déchausser a le même sens que se laisser ôter le tablier ou dénouer la ceinture. Le soulier est souvent associé à la jarretière ce qui souligne sa dimension érotique.
C’est toujours au fiancé d’acheter les chaussures de la mariée, comme c’est le cas pour la robe et l’anneau. En Berry, comme dans Cendrillon, tout le monde essaie le soulier à la fiancée mais seul le fiancé réussit. Dans les régions où le chausseur n’est pas le fiancé lui-même, celui qui chausse la mariée reçoit un baiser ou un cadeau.

Dans certaines régions, on met du sel ou une pièce de monnaie dans les chaussures de la mariée pour écarter le mauvais œil, la nouerie des aiguillettes et la stérilité.

Dans de nombreuses régions françaises, il est de tradition de tenter de voler le soulier de la mariée, ou de le remplacer par un sabot. Dans le premier cas, s’emparer du soulier de la mariée revient à s’emparer d’elle symboliquement ; dans le second cas, en remplaçant son soulier par un sabot, on l’empêche de « courir », c’est-à-dire d’être infidèle à son mari.

L’association à la sexualité est aussi une association à la fécondité : dans diverses régions, la mariée doit tremper l’un de ses souliers dans une source particulière pour être sûre d’avoir un enfant dans l’année.
La coutume des trois pièces ou « trois as » date de l’antiquité romaine. La mariée tenait la première pièce dans sa main et la donnait au marié. Une deuxième pièce, glissée dans la chaussure, devait être déposée par la mariée sur l’autel du foyer. La troisième pièce devait être jetée dans un carrefour pour éloigner les sortilèges et les esprits méchants.

Le cortège

Au XIXe siècle, la future montait en croupe sur le cheval de son père pour aller au mariage et faisait de même sur le cheval de son mari une fois celui-ci célébré. Parfois, la fiancée montait seule sur un cheval blanc ou dont la selle était recouverte d’un drap blanc, que le père conduisait à l’aller et le mari au retour.
Comme ceux des chars du cortège, ce cheval était décoré de branches vertes, de fleurs, de rubans et de cocardes.
Depuis le milieu du XIXe siècle, les deux trajets s’effectuent à pied, dans un ordonnancement très précis qui varie selon les régions.

Le système d’agencement le plus répandu est celui que l’on trouve notamment en Ile-de-France : la mariée vient en tête au bras de son père, suivi du marié au bras de sa mère, puis des couples d’honneur, des parents et enfin des invités. Au retour, le nouveau couple est en tête suivi par les couples croisés des accompagnateurs (le père de la mariée avec la mère du marié et inversement), la suite du cortège demeurant identique.
Les variantes sont nombreuses : le marié tout seul en tête avec ses garçons d’honneur, puis la mariée avec ses filles d’honneur ; le marié, puis la mariée, chacun entre leurs parrains et marraines ; le marié en queue de cortège avec sa mère ; la mère de la mariée et le père du marié fermant la marche ; les couples âgés au cœur du cortège ; un cortège par famille qui se rejoignent sur le lieu de la cérémonie ; un cortège d’hommes et un autre de femmes ; etc.
Quel que soit l’ordonnancement choisi, le cortège est le plus souvent précédé d’un ou plusieurs musiciens dont les instruments sont décorés et qui bénéficient de différentes prérogatives, comme embrasser la mariée et pouvoir boire à volonté.

La place des plantes, des « mais » aux bouquets

Les musiciens sont parfois accompagnés par des représentants de la jeunesse (souvent un garçon et une fille) portant des cannes garnies de rubans et de clous dorés, des branches ou des « mais » enrubannés et décorés.
Il s’agit là d’une survivance des dendrophores, ces prêtres de l’antiquité qui ouvraient les cortèges en portant solennellement une branche de pin, l’arbre toujours vert symbole de la vie. Si le pin est bien présent dans le folklore français, il peut aussi être remplacé par du houx, du laurier, du romarin ou toute autre plante qui demeure toujours verte.
Jusqu’au XVIIIe siècle, la mariée et le marié tenaient chacun à la main un gros bouquet, de même que ceux qui faisaient partie des couples d’honneur. Le volume de ces bouquets était important car ils étaient offerts par « l’autre partie » et jouaient un rôle important dans le rite d’agrégation qui vise à réunir deux clans. Au fil du temps, le bouquet n’a plus concerné que la mariée et a perdu de son volume pour devenir quasiment symbolique lorsqu’il prend la forme d’une fleur (souvent d’oranger) à la ceinture de la mariée et au revers gauche du marié.

La barrière

C’est un rite d’étape traduit dans un passage matériel. La barrière, ou barricade, a un rôle très important car elle fait partie de ces étapes ayant pour objet d’amener progressivement, sans rupture, les intéressés au but individuel et social et au changement de statut que représente le mariage.
On peut trouver des barrières devant la porte de la maison de la fille à l’aller et au retour de la cérémonie, devant le lieu où se célèbre le mariage, devant le cortège, etc. La barrière peut prendre la forme de branchages qu’il faut enjamber, d’une corde décorée de fleurs et de feuillages, d’un balai et autres objets utiles en travers de la porte, d’un ruban (le plus souvent rouge) tendu au travers du chemin et qu’il faut couper ; parfois, elle est symbolisée par une petite table garnie de bouteilles ou la simple présentation d’un bouquet.
La barricade (ou ce qui la symbolise) est conçue et gardée par les représentants de la jeunesse qui veulent retarder le départ du marié de la société des jeunes vers le monde des adultes et exigent le paiement symbolique d’un « droit » pour effectuer ce passage. La nostalgie étant ce qu’elle est, les mariés conservent une trace des barrières passées pour accéder à la société des adultes mariés, sous la forme d’un bout de ruban, d’une fleur, etc.
Lorsque c’est un ruban qui symbolise la barrière à franchir, la mariée doit le couper en petits morceaux (souvent avec des ciseaux émoussés, pour retarder le « passage ») qu’elle distribue comme « livrées » aux invités qui pourront ainsi se reconnaître et emporter un porte bonheur.

La conduite au lieu de célébration

La future est menée au lieu de célébration par la personne qui en avait la charge au cours du cortège : père, proche parent si le père est décédé, parrain, garçons ou demoiselles d’honneur ou délégués des confréries de jeunes selon les cas.

La bénédiction et les objets symboliques associés

Le « pallium », « poêle » ou « carré » était d’un usage général au Moyen Age, encore très présent dans les célébrations de mariage au début du XXe siècle. Il s’agit d’un dais, primitivement destiné à préserver le jeune couple des dangers « d’en haut », constitué d’une étoffe, parfois précieuse et parfois simple voile, et tendu au-dessus de la tête des époux par les garçons et demoiselles d’honneur ou les parrains et marraines, soit pendant toute la cérémonie, soit, le plus souvent, seulement lors de la bénédiction finale des époux par le célébrant lors de l’opération dite « velatio nuptialis » ou « conjugalis ».

La bénédiction joue un rôle important dans toutes les célébrations de mariage. Elle était impérative dans la Rome antique et n’a intégré les célébrations chrétiennes qu’assez tardivement et en tant que coutume, aucune loi ecclésiastique n’obligeant les chrétiens à faire bénir leur mariage.
La bénédiction concerne les nouveaux mariés mais aussi différents objets, dont les plus importants sont les anneaux auxquels elle confère un caractère sacré. Les femmes ne doivent d’ailleurs jamais ôter leur alliance, sauf circonstances exceptionnelles, alors que les folkloristes notent que les hommes n’en recevaient pas toujours et n’étaient pas obligés de le porter en raison des contraintes du travail.

L’alliance de mariage est aujourd’hui lisse et en or, parfois en platine, mais des anneaux de fer ont parfois été utilisés durant la guerre de 1914-1918. Cette règle de l’anneau lisse est un phénomène de mode devenu tradition. Jusqu’à une période récente, l’alliance s’ornait de deux cœurs ou d’un seul (Vendée), de mains entrelacées (Bretagne) ou se composait d’un fil d’or et d’un fil d’argent tordus ensemble (le « teur », courant dans la région de Louviers).
C’est l’époux qui met l’anneau au doigt de la mariée, et réciproquement lorsque la tradition veut que l’homme porte aussi une alliance, ce qui n’a pas été le cas général dans de nombreuses régions françaises. La tradition veut que la mariée recourbe le doigt afin que l’anneau s’arrête à la deuxième phalange, afin « d’être la maîtresse de la maison » ou de dominer son mari. Il arrivait que cette coutume se traduise en véritable lutte !
Dans plusieurs provinces françaises mais aussi dans les pays germaniques, scandinaves et romans, le célébrant bénissait les anneaux mais aussi des pièces de monnaie de cuivre, d’argent ou d’or, remise par l’homme à la femme. Il peut s’agir d’une pièce unique, portant parfois le nom des mariés, ou d’un « treizain », soit treize pièces. Ce « denier de mariage » ne symbolise pas le « mariage par achat » parfois toujours pratiqué hors d’Europe, mais serait plutôt une adaptation par les Francs d’une coutume romaine signifiant l’engagement du nouveau marié à faire vivre le foyer.

Après la cérémonie

Le départ du lieu de cérémonie pour la maison ou le lieu des festivités donnait traditionnellement lieu à différentes coutumes.
La plus vivante est celles des « aspersions », qui consiste à jeter sur les mariés et l’assistance des grains de blé ou d’autres céréales, le riz étant le plus présent de nos jours. Cette coutume est souvent inversée. Dans ce cas, ce sont les mariés et leurs proches qui jettent sur l’assistance des graines, fruits, dragées ou pièces de monnaie. La signification de ces aspersions est double. Il s’agit d’une part d’un rite magique visant à assurer fécondité et prospérité aux nouveaux époux, à l’image de la graine qui devient plante et de la plante qui devient nourriture. Il s’agit également d’un rite « d’agrégation collective », le partage symbolique de ce qui fait vivre la communauté étant alors la manifestation de l’intégration du nouveau couple dans le groupe qui va désormais être le sien.
Après la cérémonie comme avant, ces importantes notions « d’agrégation » à un nouveau groupe d’adultes et de parents après avoir quitté la communauté des jeunes se traduit par la tradition des « barrages ». Mais ces « frontières » n’ont pas les mêmes origines et significations avant et après la cérémonie. Avant la célébration, les barrières étaient érigées et gardées par les représentants des jeunes qui voulaient retarder le départ de deux des leurs. Après la cérémonie, il s’agit plus de signifier l’entrée progressive dans la communauté des adultes et des parents, ce qu’indique le fait que l’on fasse souvent ingérer aux mariés et aux invités une soupe épicée, proche de « la rôtie » qui leur sera proposée avant la nuit de noce.
Dans différentes régions, les folkloristes notent qu’avant de se rendre sur le lieu des festivités ou à leur nouveau domicile, les mariés font étape dans un lieu sacré, associé aux forces telluriques. C’est le cas de nombreuses chapelles construites sur d’anciens lieux de culte païens. C’est aussi le cas avec des lieux naturels non christianisés, tels que « la pierre des épousées » à Fours (Alpes Maritimes), « le désert » à Château-Thierry, les menhirs, de très nombreuses sources, des arbres remarquables, etc.
Bien sûr, après comme avant la cérémonie, les jeunes gens doivent faire le plus de bruit possible pour manifester la joie de la communauté, mais aussi éloigner les forces du mal. De nos jours, les klaxons ont remplacé les coups de pistolet et de fusil, même si les chasseurs sont parfois mis à contribution et si les pétards et feux d’artifice sont bien présents.

La réception des nouveaux mariés

Elle se faisait traditionnellement dans la maison de la famille de la jeune épouse, mais les contraintes contemporaines rendent difficile le respect de cette coutume.

« La bienvenue »

L’arrivée des jeunes époux est marquée par « la bienvenue », de vin et d’eau qui doivent être bus dans le même verre, de pain, de sel et parfois d’œufs qui sont partagés avant d’être consommés. Il s’agit clairement d’une tradition qui évoque la « confarretio » romaine en usage dans les mariages des patriciens seulement, doublée d’un nouveau rite d’agrégation au nouveau groupe d’appartenance.
L’importance de l’agrégation se retrouve dans le partage d’une soupe symbolique qui signifie que les personnes qui en ont goûté ont le droit de participer au repas de noces consécutif, comme l’indique le fait que c’est la belle-mère qui offre la soupe à sa bru. Dans certaines régions, les folkloristes notent que cette offrande de soupe se double e la remise d’un balai ou d’un trousseau de clés.

Le « mai »

Dans différente régions, il est également d’usage de dresser dans la cour de la ferme ou se tiendra le repas de noces un « mai », mat portant en son sommet une couronne de feuillage ou une « bousine » ou bouteille pleine d’eau sur laquelle le marié et les « noceux » tireront des coups de feu jusqu’à la faire exploser et provoquer une nouvelle aspersion fécondatrice.
Le « mai » est le plus souvent entouré de fagots qui seront ensuite enflammés pour un feu de joie.

L’œuf

L’œuf, symbole de renaissance cyclique et de fécondité, est également souvent présent dans les traditions populaires françaises.

Le plus souvent, le père ou la mère de la mariée met un œuf dans la main de l’époux qui doit le lancer par-dessus le toit de la maison tout en tenant la clenche de la porte. S’il fait passer l’œuf par-dessus le toit, il sera maître dans son ménage. Dans le pays messin, l’œuf est présenté à la mariée qui doit le jeter par-dessus son épaule.

Le balai

La présence d’un balai en travers de la porte du domicile des nouveaux mariés est attestée dans la quasi-totalité des régions de France. Cette coutume du balai participe du rite d’agrégation. Le balai est un obstacle symbolique de plus à franchir pour passer d’un état à un autre, quitter une famille pour une autre.

Le balai est par ailleurs mis en travers de la porte pour symboliser les tâches ménagères que la jeune mariée devra assurer et dont elle doit montrer qu’elle en est capable en utilisant le balai aussitôt après l’avoir enlevé du seuil pour entrer dans son nouveau domicile. Selon les régions, le balai pouvait être accompagné d’une quenouille, d’un seau, d’une marmite, voire même d’un berceau mais, quels que soient les objets déposés sur le seuil, ils doivent tous être ramassés et rangés, le fait de les enjamber portant malheur.

Le repas de noce

Le lieu de repas

Il était rare que le repas se tienne dans la maison de l’une ou l’autre des familles, faute de place, et ce sont le plus souvent les granges qui étaient utilisées.
En été, le festin se tenait sur l’ère de battage ou sous des tentes. Lorsque le repas se tenait en plein air, il arrivait que l’on creuse des tranchées au bord desquelles s’asseyaient les invités ; dans ce cas, il n’y avait pas de table et chacun posait son écuelle sur sa cuisse.

Il existait aussi des aménagements moins rustiques, consistant à planter des piquets dans le sol et à clouer des planches dessus pour faire des bancs, puis à fixer des échelles horizontalement sur d’autres piquets plus hauts pour en faire des tables après les avoir recouvertes de planches et napées de draps.

La décoration

Lorsque que le repas se tenait dans une grange, celle-ci était décorée de feuillages et de draps blancs sur lesquels on épinglait des fleurs et branchages.
Quel que soit le lieu choisi pour le repas, la décoration donne toujours une place importante aux couronnes de fleurs, et plus particulièrement à « la belle couronne » que l’on suspend au-dessus de la tête de la mariée ou que l’on fixe verticalement sur un drap derrière elle.
Cette coutume de la couronne a disparu dans la plupart des régions au XIXe siècle, au profit d’un gros bouquet qui est, lui aussi, suspendu au-dessus de la mariée ou installé près d’elle.

L’organisation des tables

La règle générale est qu’il y ait une « table d’honneur » à laquelle figurent les mariés et leurs parents, les garçons et filles d’honneur et les notabilités. Mais les mariés étaient généralement séparés et non à côté, garçons et filles d’honneur ayant pour objectif de les empêcher de se rapprocher, toujours pour symboliser le difficile passage de la communauté des jeunes à celle des époux et parents.
Perpendiculairement à cette table, deux autres sont installées pour former un « U ». Celle de droite est réservée aux « vieux » et celle de gauche aux « jeunes ».

Le repas

Dans le folklore français, la règle de base était que le repas de noce ne comprenne pas les aliments des « jours ouvrables », notamment les pommes de terre (mais parfois tous les légumes) et que l’on privilégie les aliments carnés, qu’il s’agisse de gibier ou de viande d’élevage. Le pain de ménage est remplacé par du pain blanc et, dans toutes les provinces françaises on sert aux convives de nombreux mets sucrés.

Côté liquides, il est d’usage de servir les invités jusqu’à ce qu’ils n’en puissent plus…

Les noces paysannes réunissant souvent plus d’une centaine de personnes, leur coût était très élevé, ce qui conduit à chercher à expliquer de telles dépenses : certains ethnographes ont vu dans ces fêtes l’équivalent du « potlatch » des indiens d’Amérique qui consiste à redistribuer périodiquement les richesses accumulées pour maintenir la cohésion du groupe ; mais d’autres soulignent qu’organiser un très grand mariage (jusqu’à 800 personnes en Bretagne au XIXe siècle) est aussi une affaire commerciale, les invités étant tenus de verser leur écot aux mariés et à leurs parents.

Les rites magiques durant le repas

L’envol des oiseaux

Jusqu’au XIXe siècle, le début du repas était très souvent marqué par la remise à la mariée d’un coffret, d’une soupière ou d’un panier contenant des pigeons ou des colombes qui s’envolaient dès que l’on en soulevait le couvercle.

La signification de cette coutume est multiple : perte de la liberté ou de la virginité, éloignement des amis d’enfance, envol vers un nouveau nid…

Le vol du soulier

Le vol du soulier de la mariée est une coutume que l’on retrouve dans différentes régions françaises. Il est le fait des jeunes qui manifestent ainsi leur souhait que la mariée ne quitte pas leur communauté.

La jarretière

Pour certains auteurs, les rites liés à la jarretière de la mariée serait une survivance des noces grecques et romaines, où la jeune mariée portait une tunique échancrée laissant voir une jarretière ornée de pierres précieuses et de perles qu’elle déposait sur l’autel de Juno Pronuba. Pour d’autres, les mariées grecques et romaines ne portaient qu’un bandeau ou un fil rouge autour du cou pour se préserver du mauvais esprit. Cette précaution est toujours en vigueur dans les pays musulmans, mais c’est un fil bleu qui est utilisé.
S’il n’est pas certain que l’actuelle jarretière soit une survivance de ces rites antiques, il est en revanche clair que le rite du vol ou de la vente aux enchères de la jarretière dans le folklore français a une signification magique en plus d’une signification érotique évidente. En effet, dans le cas du vol (évidemment simulé), la jarretière est découpée en petits morceaux qui sont remis aux convives et, lorsque la jarretière devient la possession de celui qui l’a acheté aux enchères, c’est un ruban qui la symbolise qui est découpé. Cette distribution d’éléments ayant été au contact de la peau d’une jeune fille qui vient juste de se marier a un caractère hautement magique, comme la distribution des épingles du voile de la mariée aux demoiselles d’honneur, le partage dudit voile, le don de sa couronne, etc.

Le bris de vaisselle et de verrerie

L’idée selon laquelle casser un ustensile qui sert à manger et à boire porte bonheur est très répandue. C’est généralement en fin de repas que les mariés cassent de façon volontaire des assiettes ou des verres (toujours blancs), mission qui est parfois confié à un garçon d’honneur qui fait semblant de trébucher en apportant un verre sur une assiette à la mariée.
Ce rite porte bonheur a également un aspect divinatoire, le nombre de morceaux de l’objet cassé étant utilisé pour prédire le nombre d’enfants du jeune couple.

La présentation et la distribution du gâteau de noces

L’arrivée du gâteau dans la salle du festin, puis son partage entre les convives est, depuis très longtemps, le point culminant d’un moment de « communion alimentaire familiale et sociale » que l’on retrouve dans toutes les régions de France.
Au fil du temps, les gâteaux régionaux ont progressivement laissé la place à la désormais traditionnelle pièce montée, toujours surmontée de figurines représentant les mariés, et dont les choux qui la composent doivent être scrupuleusement partagés.

Du bal à la nuit de noce

Le bal de noces

Si le bal était obligatoire dans tous les mariages de l’ancienne France, il arrivait souvent qu’il se déroule sans musiciens, l’assistance les remplaçant (« menant le branle ») par ses chants ou des accompagnements vocaux sans paroles.
La règle générale en France est que c’est la mariée qui doit ouvrir le bal, parfois avec son mari, d’autres fois avec son père, le premier garçon d’honneur ou le gagnant d’une des compétitions qui ont accompagné la fête.
La mariée se doit également de faire un tour de danse avec chacun des invités importants et accepter de se faire embrasser.

L’escapade des mariés

Tout au long du bal, garçons et demoiselles d’honneur empêchent les jeunes mariés de se retrouver, à la fois pour retarder leur passage dans la communauté des parents et pour « amuser la galerie », voire obtenir quelques pièces en échange d’un peu de tranquillité. Ce contexte fait que les jeunes époux doivent « s’échapper ».
Lorsque les mariés ne quittent pas la noce ensemble et subrepticement, leur départ vers le lieu de leur nuit de noce est très solennel. Il se fait en cortège en partant de « bûchers du soir », semblables à ceux qui sont allumés pour le solstice d’été (les « johannées », par allusion à la Saint Jean) et en suivant un cheminement illuminé par des lanternes.

La nuit de noce

Dans l’aristocratie mais aussi la paysannerie, la coutume consistant à séparer les jeunes époux pendant les 3 premières nuits de leur mariage semble avoir été assez respectée au XIXe siècle en France, selon Van Gennep. Il s’agissait tout à la fois de permettre un passage progressif d’un état à un autre (les jeunes empêchent les mariés de se retrouver dans l’intimité) et de respecter « les nuits de Tobie » (Tobie n’aurait honoré Sarah qu’après 3 nuits de prière).

L’institution des « nuits de chasteté », lorsqu’elle existe, reporte à plus tard certaines scènes typiques du scénario matrimonial : déshabillage de la mariée et préparation pour la nuit par les demoiselles d’honneur, parfois preuves de sa virginité, apport de la « rôtie » consommée avec les garçons et demoiselles d’honneur et, enfin, départ rituel des invités…
Le rituel de la « rôtie » était présent dans toutes les régions de France jusqu’au milieu du XXe siècle où il a progressivement disparu à la suite de plaintes en justices émanant de personnes qui y voyaient de l’indécence, alors que cette coutume a simplement pour objet de prouver à la communauté que les mariés sont bien passés de l’état de jeunes gens à celui d’adultes et futurs parents.
Le scénario est pratiquement toujours le même. Pendant le repas ou le bal, les mariés s’éclipsent et les convives font semblant de ne s’en apercevoir que deux heures environ après leur départ. Puis la jeunesse s’organise en bandes pour chercher l’endroit où se sont réfugiés les mariés. Lorsque la chambre nuptiale est découverte, tout le cortège y entre, bouscule parfois les mariés, défait le lit et autres débordements qui expliquent les critiques dont fut l’objet cette tradition. Les mariés doivent ensuite ingurgiter ou au moins goûter la rôtie, sorte de soupe très épicée contenant parfois de l’alcool. Les garçons et demoiselles d’honneur goûtent ensuite à cette mixture qui portera bonheur à ceux qui veulent se marier.
Parmi les dérives de la rôtie, on note l’habitude prise dans certaines campagnes de remplacer la soupe épicée par un mélange de chocolat, de vin blanc et de papier servi dans un pot de chambre… Même si certains ethnologues y ont vu un avatar d’un système magique avéré consistant à ingurgiter ses propres déjections pour écarter le mauvais œil, il semble bien que cette évolution regrettable n’ait que la bêtise et la perte de sens pour raisons.
Quoi qu’il en soit, ces rituels, présents sous diverses formes dans toutes les civilisations, indiquent que la perte de la virginité ne suffit pas à faire passer une femme de la catégorie des jeunes filles à celle des femmes et futures mères. La preuve en est que, contrairement à ce qui est souvent pensé, la recherche de traces de sang sur les draps et l’exposition de ces derniers est plus une légende qu’autre chose, du moins en France et en Europe. Ce qui importe n’est ni la virginité de la future mariée ni sa défloration par son mari, mais que ce passage de la société des jeunes à celle des adultes soit socialisé, comme l’est également le passage de l’enfance à l’adolescence ou la période des fiançailles. Van Gennep souligne que « le mariage est en fait une initiation, non seulement à l’amour, puis à la maternité, mais aussi à un nouvel état familial et social qui comporte des droits et des devoirs, eux aussi nouveaux ».

L’après mariage

Le passage d’un monde ou d’un statut à un autre implique des degrés montants jusqu’à la cérémonie, puis des degrés descendants.
Les rites de lendemain de noces, ou rites « postliminaires », qui peuvent parfois s’étendre sur une semaine ou plus, ont pour objectif de renforcer tout ce qui a été exécuté précédemment.

On retrouve un schéma commun dans la plupart des régions de France. Après la « rôtie », les invités reprennent la fête jusqu’à l’aube, moment où leur est servie la célèbre soupe à l’oignon. Après un court temps de sommeil, les mariés retrouvent les noceux pour assister à une messe ou une cérémonie en hommage aux morts des deux familles, moment important dans la mesure où il souligne l’importance de la lignée et renforce l’union des deux sociétés familiales dont sont issus les mariés. Van Gennep souligne que, par ce rituel, disparu après la Première Guerre mondiale, « chacun des mariés est solennellement intégré dans la parenté illimitée de l’autre ». Il convient de noter que si cette « messe aux morts » a disparu le lendemain du mariage, la mémoire des anciens est encore assez souvent évoquée, soit lors de la cérémonie de mariage, soit pendant le banquet.
Dans différentes régions, la fin de matinée est consacrée à une promenade en cortège, à pied ou en char, en tenue de ville ou déguisé, mais toujours les mariés en tête, dans les alentours du lieu où s’est tenue la noce. Il s’agit de relancer la fête mais aussi, pour celui des deux époux qui n’est pas originaire de la région, de faire connaissance avec les hommes et les femmes qui y vivent, de se faire accepter par toute une communauté.
Le déjeuner qui suit est un « degré descendant » en même temps qu’une façon de bien traiter ceux qui ont fait un long chemin. Il était traditionnellement réalisé avec les restes du dîner, auxquels s’ajoutaient parfois des victuailles quêtées de maison en maison lors du « cortège de terminaison » matinal. L’ambiance est beaucoup moins protocolaire, le seul cérémonial étant, outre l’évocation éventuelle des morts, la bénédiction du nouveau couple par le père du marié.
A l’issue du repas, il est de coutume de ne pas laisser repartir les invités les mains vides et de leur donner une part d’une brioche géante, spécifiquement confectionnée, qu’ils partageront avec ceux qui n’étaient pas à la noce une fois de retour chez eux. Au-delà de la politesse on a clairement affaire à une application du procédé dit du « crochon » ou « de la part pour le tout », c’est-à-dire à un rite de participation sociale à distance.
Le premier ou le second dimanche après les noces avait lieu le « retour » ou les « répétailles ». Ces noms désignent un nouveau repas qui réunit les proches parents des mariés ainsi que les garçons et demoiselles d’honneur, mais dont le coût était cette fois supporté par le jeune couple. Il y avait dans cette pratique une dimension économique claire (rendre symboliquement ce que l’on a reçu), mais aussi un symbole de l’intégration des jeunes mariés dans la société des adultes et des parents. Lorsque le voyage de noce a fait son apparition, il n’a pas fait disparaître le « retour », mais l’a simplement reporté après l’escapade des nouveaux mariés.

Source : Manuel de folklore français contemporain, par Arnold Van Gennep, 1943, réédition Robert Laffont, coll. Bouquins, 1999

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