Naissance et éducation
Un texte extrait de l'ouvrage L’Europe, mythes et traditions, paru aux éditions Brepols sous la direction d'André Akoun.
Les rites de la naissance ont pour objet de séparer le nouveau-né du monde de « l’en deçà » dont il vient pour l’intégrer à la société humaine, donc à ses deux parents, à sa famille, au groupe social dont il fait aussi partie et à la représentation du monde et au système religieux de la communauté. Ces rites font donc alterner des moments de séparation et d’intégration symboliques, séparés par des moments dits « de marge ».
De la naissance au sevrage
L’enfant nait nu, sans capacité de marcher ou de se nourrir seul, beaucoup plus fragile que les petits des animaux. La mère, mais aussi le père (différence essentielle par rapport à la plupart des animaux) doivent donc s’en occuper.
En France, il était de tradition qu’aussitôt après l’accouchement, la matrone tende le nouveau-né nu à son père qui ôtait l’un de ses vêtements – le plus souvent sa chemise – pour en entourer le tout petit. Ce faisant, le père substitue sa propre protection à celle du ventre maternel, offre sa chaleur à l’enfant, lui fait connaître son odeur et s’introduit dans la relation exclusive qu’il entretenait jusqu’alors avec sa mère.
Quelle que soit la forme qu’il prenne, le baptême est une autre façon de couper le lien unique qui relie la mère et l’enfant en reliant ce dernier à la communauté familiale et sociale. Dans l’ancienne France, la mère n’allaitait pas son enfant entre sa naissance et son baptême, ce dernier intervenant 24 à 48 heures après la naissance ; aucune raison médicale n’expliquant cette abstinence, les folkloristes estiment qu’il s’agit uniquement d’une période « de marge », destinée à marquer clairement la séparation entre la vie in utero et la vie sociale. La fonction d’intégration sociale de la cérémonie du baptême est également attestée par l’interdiction longtemps faite à la mère d’y assister.
Toute la petite enfance jusqu’au sevrage est consacrée à l’achèvement et au façonnage du petit corps. Le sein maternel remplace le cordon ombilical pour nourrir le nouveau-né et le fait d’emmailloter le bébé dans un lange serré par des bandelettes (tradition qui n’a disparu qu’au vingtième siècle !) avait pour fonction de maintenir droits des membres encore mous et d’éviter que le nouveau-né ne reprenne une position fœtale.
Les traces de la vie in utero sont souvent conservées ou bénéficient de traitements spécifiques qui indiquent l’importance qui y est attachée. Le placenta, associé à l’alimentation du fœtus, l’est aussi à la lactation de la mère ; en Italie, il était conservé quelques jours puis déposé dans une eau courante pour « faire monter le lait ». Quant au cordon ombilical, il était perçu comme pouvant avoir une influence sur la vie future du nouveau-né. Il était traditionnellement coupé court pour les filles et plus long pour les garçons, au motif que le membre viril de ces derniers y trouverait un « patron ». Il était également précieusement conservé par la sage-femme ou le père, la destruction de ce lien avec « l’en deçà » étant souvent perçue comme prémonitoire : ainsi, s’il était ingéré par un cochon, le futur adulte en aurait les mœurs et, s’il était jeté dans l’eau, l’enfant risquait de mourir noyé…
Aujourd’hui comme hier, certains enfants naissent « coiffés », c’est-à-dire avec un petit morceau de membrane amniotique sur la tête. Les anciens y voyaient un très heureux présage pour ces enfants que cette trace de leur vie intra utérine protégeait de toute mort par le feu, l’eau et les blessures ; à noter qu’à Rome, le fait d’être « né coiffé » assurait de gagner ses procès mais, qu’en Valachie, il préfigurait une transformation future en vampire si l’on ne prenait pas la précaution de faire ingérer sa « coiffe » à l’enfant…
Le sevrage proprement dit intervient à l’apparition des dents, qui indique qu’il est temps de couper le cordon ombilical symbolique de l’allaitement, puisque le petit homme est désormais capable de se nourrir seul, mais aussi d’affronter la douleur.
Dans de nombreuses régions d’Europe, le jour du sevrage, la mère badigeonnait son sein de moutarde ou de poivre, nourritures fortes et viriles opposées à la douceur du lait féminin. Lorsque l’enfant qui tentait de téter rejetait violemment le sein en tournant la tête, son père lui tendait un morceau de pain trempé dans du lait. Cette nourriture n’est pas une nouveauté pour l’enfant, déjà nourri « à la becquée » par sa mère de façon complémentaire avec de la « panade » ou de la bouillie.
L’important dans ce petit rituel est le rôle joué par le père qui, à nouveau, affirme sa complémentarité avec la mère et son rôle essentiel pour la socialisation de l’enfant. Un passage que résume bien l’adage « pain d’homme et lait de femme font venir les enfants forts ».
Source : L’Europe, mythes et traditions, sous la direction d’André Akoun, Ed. Brepols, 1990
L’âge de raison
Nous connaissons l’importance du passage de l’enfance à l’adolescence qui marque la sortie d’un monde protégé où les femmes jouent un grand rôle pour un monde intermédiaire dans lequel les jeunes vivent plus entre eux, tout en aidant les adultes de leur sexe dans leurs tâches quotidiennes.
Dans l’ancienne France, ce passage se faisait à 7 ans, le fameux « âge de raison ». Dans les Landes, l’enfant était symboliquement revêtu de neuf des pieds à la tête par son parrain si c’était un garçon, sa marraine s’il s’agissait d’une fille. A Quimper, l’entrée d’un garçon dans l’adolescence était marquée par sa première saoulerie et la remise du « penbaz », le gourdin breton porté par les hommes.
La première communion n’a qu’une faible importance en tant que rite de passage. Elle n’a acquis un statut de cérémonie familiale et sociale qu’au cours du XIXe siècle et tend à disparaître au rythme de la déchristianisation depuis le milieu du XXe siècle.
Les groupements de garçons et de filles, très vivants jusqu’au début du XXe siècle, n’existent quasiment plus aujourd’hui autrement qu’au travers d’associations à centres d’intérêt, alors qu’ils ont eu un rôle essentiel pour intégrer les plus jeunes, régler la vie souvent tumultueuse des adolescents et, surtout, organiser et contrôler les rencontres entre jeunes gens et jeunes filles.
Le fait de faire partie de ces sociétés de jeunes gens ou de jeunes filles donnait aux uns et aux autres le droit de participer aux danses lors des différentes fêtes et d’être garçons ou filles d’honneur lors des mariages. Les garçons disposaient également du droit de tirer des coups de feu aux baptêmes et aux mariages et de planter les « mais » des filles. Mais la vie autonome de ces dernières a très vite été limitée par la volonté de l’Eglise de les encadrer jusqu’à leur mariage au travers de confréries telles que « Les filles du Vœu », « Les filles de la Vierge », « Les Sacristines », etc.
Ce sont ces sociétés de jeunes gens et de jeunes filles qui repéraient en leur sein de jeunes adultes susceptibles de s’accorder et les conduisaient progressivement à se rapprocher. Lorsqu’un garçon décidait de faire sa cour à une fille, il attendait souvent la nuit du 30 avril au 1er mai pour aller, avec les autres jeunes gens, planter un « mai », c’est-à-dire un jeune arbre, symbole de vie, dont seules les branches et les feuilles du sommet ont été conservées, devant la maison de l’élue de son cœur.
Les amoureux se rencontraient ensuite au rythme des fêtes calendaires et patronales, des veillées et des foires, toujours accompagnés d’un ou plusieurs membres de leurs communautés de jeunes respectives, dont on voit bien le rôle de régulateur qu’elles jouaient.
Dans les pays scandinaves et germaniques ainsi qu’en Suisse romande, existait également la tradition du « Kiltgang » (appellation suisse) qui consistait à ce que les jeunes filles reçoivent, une fois par semaine les garçons qui leur faisaient la cour, en tête à tête dans leur chambre mais sans rapports sexuels.
Source : L’Europe, mythes et traditions, sous la direction d’André Akoun, Ed. Brepols, 1990
Photo : mlazarevski via Flickr