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Les contes étranges de Niels Hansen Jacobsen

Le musée Bourdelle présentait, cet hiver, une exposition consacrée aux œuvres du Danois Niels Hansen Jacobsen et aux artistes qui l’ont influencé ou avec lesquels il a travaillé. Étranges rencontres en perspective.

Les contes étranges de Niels Hansen Jacobsen

L’artiste danois Niels Hansen Jacobsen (1861–1941) a vécu et travaillé à Paris dans la décennie 1892/1902. Contemporain du sculpteur Antoine Bourdelle, il y a fréquenté, avec son épouse peintre, une colonie d’artistes danois et nord-américains, entre cercles symbolistes et innovations de l’Art Nouveau. Un regard étrange, nourri des plus mystérieuses légendes nordiques.

Cette exposition, la première qui lui était consacrée en France, s’organisait autour de ses sculptures majeures : La Petite Sirène, Le Masque de l’Automne, Le Troll qui flaire la chair de chrétiens, L’Ombre, La Mort et la Mère, avec une graduation dans l’effroi, qui dérange et inquiète. À chacun de ces bronzes, « correspondent », selon l’adage baudelairien, pastels, gravures et aquarelles, plâtres, bronzes et marbres, signés des plus grands artistes symbolistes, de Gustave Moreau, le précurseur, à Odilon Redon, d’Arnold Böcklin à Eugène Grasset. Niels Hansen Jacobsen a bel et bien rompu avec le classicisme hellénisant de son maître Berthel Thorvaldsen. Eros et Thanatos traversent son œuvre, hallucinée, énigmatique et obsédante : eaux fuyantes, arabesques torturées, danses équivoques. Et si la Petite Sirène n’était pas cet aimable tendron de dessin animé, mais l’expression navrée de l’impossible concorde entre le royaume des eaux, la terre des hommes et le monde céleste ? L’accompagnent Gorgone, Méduse, Salomé, nymphes, sorcières, louves, stryges… autant de féminités licencieuses et sulfureuses qui se cachent sous les masques de la décence bourgeoise. Fin de Siècle et Belle Époque.

Si les paradis sont parfois artificiels, si L’Ombre (1987) signe encore la présence d’un vivant, fût-il en sursis, quand la Grande Faucheuse s’invite au festin, le drame se joue sur un tout autre registre. Au romantique Roi des Aulnes répond L’Histoire d’une mère d’Andersen. Dans le conte, la Mort emporte l’enfant malade dont la mère, épuisée à force de veille, a sombré dans le sommeil. Celle-ci va traverser mille épreuves pour, enfin, s’entendre dire par la Mort qu’elle obéit à la volonté de Dieu, dans l’absolue rigueur du protestantisme nordique :

« Alors la mère […] tomba à genoux. Ô Dieu, dit-elle, ne m’écoutez pas si je réclame contre votre volonté […]. Et la Mort entra avec son enfant au pays inconnu. »

Terrible prémonition de l’artiste ? La jeune modèle qui, lovée dans sa douleur, pose pour La Mort et la Mère (1892), est l’épouse de l’artiste, Anna Gabriele Rohde, morte prématurément en 1902. Sans espoir d’un Orphée, inconnu du panthéon nordique.

Seul, sur son socle, Le Troll qui flaire la chair de chrétiens ose une note d’humour – mais d’humour macabre ; sa queue relevée équilibre un bras griffu, tout tendu vers ses victimes, et sa mimique n’invite guère à la conversation. Grimaçants aussi, les masques et un grand pot de grès, car le feu s’invite dans la danse. La fin du siècle voit en effet, autour du sculpteur et potier Jean Carriès, se multiplier les expériences autour de la céramique et du grès émaillé. Si l’influence japonaise est évidente en ce qui concerne les pots et certains masques, il est néanmoins étrange qu’aucune corrélation n’ait été faite avec les masques des carnavals alpins, qui tentent, par leurs grimaces, de conjurer les angoisses les plus archaïques.

Pour retourner sur le versant plus académique de l’art scandinave, la saison danoise continuera, peut-être, au Petit Palais avec une exposition, « L’Âge d’or de la peinture danoise, 1801-1864 », du 28 avril au 16 août 2020.

Anne-Laure Blanc

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