7 films à voir ou à revoir sur les Mers et océans
Que Charles Baudelaire a raison de vanter les Hommes libres qui toujours chériront la mer. Eléments consubstantiellement étrangers à l'animal terrestre qu'est l'être humain, les mers et océans n'ont de cesse que de refuser de se laisser apprivoiser.
Les mythologies regorgent de récits dans lesquels la Nature reprend ses droits. Ainsi de Poséidon, Dieu des mers et océans, coupable de furieuses colères. De même, les récits de raz-de-marée et de cités englouties comme l’Atlantide font se sentir l’Homme vulnérable face à l’imprévisibilité de l’élément aquatique.
Elément prédominant tel que l’indique la Genèse, élément destructeur tel qu’elle apparaît dans le Déluge, la mer revêt des attributs similaires dans les religions monothéistes. Le combat entre l’homme et les mers et océans apparut dès l’organisation des premières sociétés humaines établies sur les côtes. Tout à la fois objet d’émerveillement et de terreur, l’imaginaire voyait ces vastes étendues mouvantes peuplées de créatures monstrueuses. Mare incognita, les mers furent longtemps considérées comme des fins du monde, à plus forte raison avant la révolution galiléenne affirmant la sphéricité de la Terre, amorcée par Pythagore dès le 5ème siècle avant Jésus-Christ. Les rapports de l’homme à la mer évoluent au fur et à mesure des améliorations des techniques de navigation. Au cabotage succèdent les grandes traversées maritimes. S’il est un fait acquis aujourd’hui que Christophe Colomb ne mit les pieds sur le continent américain que de nombreux siècles après les Vikings, l’anthropologue Jacques de Mahieu va plus loin en indiquant que les Hommes du Nord descendirent jusqu’en Amérique du Sud, et furent, avant eux, devancés par les Troyens. Ce sont néanmoins les Grandes découvertes qui modifièrent radicalement la perception de l’Homme aux territoires maritimes ou “merritoires” pour reprendre l’expression du géographe Camille Parrain. Indéniablement, les Grandes découvertes confirment de la manière la plus empirique la sphéricité du globe terrestre. Mais on ne dompte jamais les océans, quand bien même on les traverse. Sans évoquer les furieuses et meurtrières batailles navales des Guerres du Péloponnèse à Guadalcanal, en passant par Lépante, la mer demeure un danger constant que ne vaincra aucune technologie. Nombreuses sont les fois lors desquelles La Mer n’a pas voulu…, pour reprendre le titre de l’un des ouvrages trilogiques de Saint-Loup. L’écrivain-guerrier qui écrit justement que “Maintenant que des milliers de plaisanciers découvrent la mer, et particulièrement la navigation traditionnelle à la voile, avec plus de bonne volonté et d’enthousiasme que d’expérience, nous voyons que si les amateurs ont multiplié les bêtises de tout ordre, l’Océan n’a pas voulu en prendre acte et leur a fait crédit.” Alain Colas sur Manureva, Loïc Caradec, Eric Tabarly, mais encore Daniel Gilard, co-équipier d’Halvard Mabire, même des navigateurs parmi les plus expérimentés ne revinrent pas de leur long voyage. L’Homme ne prend jamais tout à fait la mer… Nombreux furent les peintres, écrivains et poètes à rendre hommage à la mer à travers leur art. Les cinéastes ne furent en reste et ne manquèrent pas de s’inspirer justement de Daniel Defoe, Jules Verne ou Michel Tournier. Plongée, c’est le cas de le dire, dans sept films de ce genre cinématographique.
All is lost
Film américano-canadien de Jeffrey C. Chandor (2013)
Traverser les océans n’est pas sans danger. Tandis qu’il traverse en solitaire l’Océan indien, un navigateur découvre à son réveil que la coque sur tribord de son voilier de douze mètres a été éventrée lors d’une collision avec un container à la dérive. Privé de radio et de tout matériel de navigation, le monocoque est pris dans une furieuse tempête. C’est de justesse que le navigateur expérimenté survit. Notre marin n’en est pas pour autant tiré d’affaire. L’océan est infesté de requins et les réserves alimentaires fondent à vue d’œil sous un Soleil implacable. Seuls un sextant et quelques cartes marines permettent au navigateur de tenter de gagner une voie de navigation empruntée par des cargos et demander de l’aide…
Un seul acteur et aucun dialogue, si l’on fait exception de quelques jurons bien compréhensibles, au cours d’une centaine de minutes qui illustrent huit jours de naufrage. Un seul acteur dont on ne sait rien. Seulement, devine-t-on l’existence d’une famille à l’aide d’une photographie. Chandor séquestre le spectateur sur le monocoque malmené en ne procédant à aucun flash-back, ni scène extérieure à l’embarcation. Un tel exercice de style peine évidemment à tenir le spectateur en haleine tout au long de l’œuvre et l’on peut reprocher un certain manque d’intensité dramatique. Un seul acteur donc, mais c’est Robert Redford, monstre redoutable du cinéma, qui réalise une grosse performance scénique à 77 ans. Le film n’en est pas moins plaisant.
Le Crabe-tambour
Film français de Pierre Schoendoerffer (1977)
Quittant Lorient, l’escorteur d’escadres Jauréguiberry est chargé d’assister des chalutiers de pêche sur les bancs de Terre-Neuve pour sa dernière mission avant démilitarisation. Au cours de la traversée, le commandant, le médecin-capitaine et le chef mécanicien se remémorent Willsdorff, dit le Crabe-Tambour, un personnage qu’ils ont côtoyé naguère tandis qu’il participait aux guerres d’Indochine et d’Algérie. Partisan du maintien de l’Algérie française, le Crabe-Tambour avait rejoint les rangs de l’Organisation de l’Armée secrète. Préférant le légalisme à la clandestinité, le commandant avait été contraint de manquer à sa parole et rompre le contact avec le Crabe-Tambour, aujourd’hui patron de l’un des chalutiers escortés. Si proches après tant de temps. Et pourtant, les mauvaises conditions météorologiques empêchent le commandant de saluer l’ancien O.A.S. en personne. Le cancer du poumon qui condamne le commandant à une mort imminente est bien peu de choses face aux tourments de sa trahison à l’égard de Willsdorff…
A-t-on besoin de présenter ce splendide drame de la Marine militaire ? Il est un crime de ne pas l’avoir vu. Cinéaste militaire par excellence, Schoendoerffer ne laissa le soin à personne d’adapter à l’écran son propre roman, inspiré de la vie du lieutenant de vaisseau Pierre Guillaume qui participa d’ailleurs au tournage comme conseiller technique. Un film à l’ambiance mortifère dans lequel la Grande faucheuse rode, prête à enlever les soldats tourmentés à jamais que la France a trahi. Eux qui avaient choisi De Gaulle plutôt que leur idéal et prendre les armes au sein de l’O.A.S. Une part d’eux-mêmes est morte en Algérie et les tourments de l’honneur, bafoué ou manqué, hanteront leurs nuits jusqu’à leur dernier souffle. Quelques critiques bien-pensants se sont étranglés du portrait nostalgique et nationaliste de la France coloniale puissamment interprété par Jean Rochefort, Claude Rich, Jean Perrin et Jacques Dufilho, qui rivalisent d’une souveraine sobriété. Adieu Vieille Europe, que le Diable t’emporte ! Un chef-d’œuvre !
The Disciple (titre original : Lärjungen)
Film finlandais d’Ulrika Bengts (2013)
L’été 1939, âgé de treize ans, Karl Berg débarque sur la petite île déserte de Lågskär, perdue en pleine mer Baltique, afin d’être l’apprenti du gardien du phare, Hasselbond, accompagné de son épouse et de ses deux enfants. Jugé trop jeune, le gardien refuse son enseignement à l’apprenti, pourtant bien contraint de demeurer sur l’île, le bateau désormais reparti. Karl va s’échiner à se lier d’amitié avec Gustaf, le souffre-douleur et fils de Hasselbond. Karl se révèle entreprenant et dégourdi et est progressivement accepté du gardien-tyran, au point que ce dernier commence à favoriser l’apprenti à son propre fils. L’amitié entre les deux jeunes garçons se double bientôt d’une forte rivalité. Par-dessus tout, Hasselbond interdit tout mensonge dans son entourage. Mais lui-même ne semble pas exempt de reproches…
Un huis clos à ciel ouvert ! Aussi paradoxale que puisse paraître cette assertion, c’est bien ce tour de force que réalise la réalisatrice en situant son intrigue sur une minuscule île des 6.500 sauvages îles Aland, situées au beau milieu de la Baltique, dont la Suède et la Finlande se disputaient la souveraineté. La Société des Nations mit un terme au conflit en attribuant l’île à la Finlande malgré que le dialecte parlé par la maigre population soit rattaché au suédois. Mais parlons plutôt du film pour indiquer que Bengts dresse de magnifiques portraits de chacun de ses personnages vivant sous l’emprise d’un ombrageux gardien de phare dont la vie est dédiée au seul exercice de sa profession. Le film est intégralement filmé en lumière naturelle, offrant à la réalisation un caractère diaphane des plus envoutants. Il est également servi par un époustouflant trio d’acteurs principaux. Un bijou froid.
Fidelio, l’odyssée d’Alice
Film français de Lucie Borleteau (2014)
Agée de trente ans, Alice réalise son rêve de devenir marin. Dans quelques jours, elle embarquera comme mécanicienne sur le Fidelio parmi un équipage exclusivement masculin. Aussi, doit-elle se résoudre de laisser à quai son ami Félix. A bord du navire de marine marchande, Alice apprend que l’homme dont elle vient de prendre la place vient de mourir. Egalement, Gaël, le commandant du vieux cargo n’est autre que son premier grand amour. Si la jeune femme est éperdument amoureuse de Félix, la solitude du grand large lui impose de se questionner sur la fidélité. Alice cède aux avances de son ancien amoureux, ce qui ne manque pas de se savoir très rapidement sur le navire. Une embarcation sur laquelle tout n’est pas rose. Dans sa cabine, Alice tombe par hasard sur le carnet de l’ancien mécanicien décédé qui renseigne la jeune femme sur la vie du rafiot et de l’équipage. Elle apprend également que le navire n’est pas aux normes et est habitué aux problèmes mécaniques…
Voilà un premier long-métrage maîtrisé de bout en bout ! Borleteau filme admirablement le microcosme du personnel marin dans ce film dans lequel l’on parle français, anglais évidemment mais également le roumain et… le tagalog, dialecte philippin. Les mers sont également plaisamment filmées au gré des traversées au long cours. Certes, la jeune réalisatrice possède cet art mais c’est surtout son héroïne qui retient l’attention. Un marin a une femme dans chaque port dit-on. Mais lorsque l’on est “une” marin, on peut se permettre également d’avoir un homme dans chaque bateau. Tourmentée au début et progressivement gagnée par la solitude et la mélancolie sexuelle, Alice cède à ses pulsions. Nul portrait féministe pourtant, mais celui d’une jeune femme qui a décidé d’être actrice de son destin. Ariane Labed y crève l’écran, pleine d’une sincérité troublante. A voir !
Manina, la fille sans voiles
Film français de Willy Rozier (1952)
Gérard Morère est un étudiant parisien de 25 ans. Tandis qu’il assiste à une conférence d’archéologie, il apprend que l’épave d’un navire phénicien coulé au large des côtes de la Corse pendant les guerres du Péloponnèse contiendrait un trésor. Immédiatement, cette révélation fait écho à une plongée sous-marine qu’il avait effectué cinq années auparavant à proximité des Îles Lavezzi et lors de laquelle il avait pu voir des fragments d’amphores. Morère se persuade qu’il sait où se trouve le trésor de Trolius et qu’il doit partir à sa recherche. Des amis et un aubergiste acceptent de financer son entreprise. A Tanger, l’étudiant s’associe avec Eric, contrebandier de cigarettes qui le convoiera jusque sur le lieu du supposé naufrage. Parvenu en Corse, le chasseur de trésor fait la connaissance de la magnifique Manina, 18 ans et fille du gardien du phare, qui prend un bain de Soleil sur les rochers… Le contrebandier Eric s’aiguise d’autant plus l’appétit que Morère préfère compter fleurette…
Second film de Brigitte Bardot, alors âgée de 18 ans et premier grand rôle après son apparition au milieu du long-métrage. Il n’est pas le meilleur film de B.B., loin de là même…, mais les acharnés de l’icône y trouveront leur bonheur. Sculpturale dans son bikini blanc ou noir, on comprend aisément qu’un chercheur de trésor y perde son latin, son grec et ses amphores ! B.B. sauve à elle seule le film du naufrage. Point de sexisme et admettons que l’acteur suisse Howard Vernon campe également son rôle avec talent. Effroyable bluette avec des dialogues d’aucune envergure, la réalisation de Rozier offre quand même de belles images de plongée sous-marine. Un Grand bleu avant l’heure. On y entend également avec plaisir des chants traditionnels en langue corse ! Si Dieu créa la femme B.B., Rozier n’inventa pas le cinéma…
Pêcheur d’Islande
Film français de Pierre Schoendoerffer (1959)
A Concarneau en 1959, l’armateur breton Mével ordonne au second d’équipage Guillaume Floury, surnommé Yan, de prendre la place du capitaine blessé dans une précédente tempête après qu’il soit parvenu à ramener l’embarcation à bon port. Yan commandera le chalutier Pêcheur d’Islande pour la première fois. Qu’à cela ne tienne que ledit chalutier ait une bien mauvaise réputation. Car on le dit porter malheur. Qu’à cela ne tienne donc et ce à plus forte raison que Yan fait la connaissance dans le bureau de Mével de sa fille Gaud, récemment rentrée de Paris. Les deux jeunes adultes ne restent pas indifférents l’un à l’autre. Au large, la pêche est bien maigre. Voulant faire ses preuves, Yan l’espérait au contraire miraculeuse. Il décide de gagner les dangereuses eaux au large de l’Irlande et de pêcher frauduleusement dans les eaux territoriales. Dénoncé par Jenny, sa maîtresse jalouse de Gaud, Yan est renvoyé. La mauvaise réputation du bateau empêche Mével de trouver un nouveau successeur. Yan reprend le commandement du Pêcheur d’Islande bientôt porté disparu…
Schoendoerffer ne fut pas le premier à porter à l’écran le roman éponyme de Pierre Loti ; Jacques de Baroncelli s’y étant déjà essayé en 1924. Le réalisateur modernise l’histoire et prend de nombreuses distances avec le texte initial, notamment en incluant des scènes maritimes à la différence du roman dont l’intrigue se passe intégralement en terre armoricaine. Il n’est d’ailleurs pas sûr que ce Pêcheur soit une adaptation de Loti. Le film n’en demeure pas moins une belle réussite bien que le Schoendoerffer de 1959 ne soit pas encore le génialissime réalisateur dont le talent explose six ans plus tard avec La 317ème Section. L’intrigue est solide et les personnages bien campés ; Charles Vanel en tête. Un film intéressant sur la pêche d’Islande, aussi dangereuse que mythique dans l’univers marin, à laquelle les Flamands préféreront le terme de pêche à Islande.
Tempête
Film français de Samuel Collardey (2015)
Âgé de 36 ans, Dominique a une vie toute consacrée à son dur métier de pêcheur en haute mer. Ce n’est que trop rarement qu’il reste à terre en compagnie de ses enfants dont il a hérité de la garde après sa séparation avec son épouse Chantal. Dom fait preuve d’une inextinguible envie de se montrer à la hauteur de la tâche malgré ses longues absences et se rêve en patron de son propre chalutier associé avec son fils Matteo. Avec sa sœur Maylis, Matteo tente de ne pas trop faire payer au père de manquer nombre d’événements au sein du foyer des Sables-d’Olonne. Les adolescents autonomes n’en mènent pas moins leur vie. Mais les choses se compliquent lorsque l’assistante sociale et la juge menacent Dom de lui retirer la garde des enfants s’il ne passe pas plus de temps à terre. Et Maylis, seulement âgée de seize ans, doit se résoudre d’affronter seule l’avortement d’un fœtus non viable. Afin de les conserver auprès de lui, Dom se résout à transformer son rêve d’affaire en réalité. Sans apport financier mais de la hargne, il dépose des dossiers auprès des banques…
Dominique, Chantal, Matteo et Maylis Leborne, quatre comédiens amateurs qui campent leur propre rôle dans ce long-métrage quasi-documentaire qui gagne son pari d’avoir la force d’un coup de poing qui se reçoit avec la tendresse d’une caresse sur la joue. Collardey offre une formidable immersion dans le quotidien professionnel et familial d’un marin pêcheur vendéen. Aux longues et harassantes campagnes de pêche succèdent de trop fugaces moments de bonheur en famille bien que le père peine à offrir une éducation et se comporte plus en grand frère immature et maladroit dans ses sentiments. Et ce foutu argent qui manque immanquablement… La représentation de la figure paternelle ne manquera pas d’offusquer les plus puritains des spectateurs. Collardey révolutionne le cinéma social français. A voir absolument que ce film enthousiasmant et généreux !
Auteur : Virgile / Source : Cercle Non Conforme
Photo en une : Jean-Daniel Pauget via Flickr (cc)