Présentation de Tolkien, l’Europe et la tradition à Barcelone
À l’occasion de la venue de l'Institut Iliade à Barcelone, le samedi 15 octobre 2022, le germaniste Armand Berger a présenté son ouvrage Tolkien, l’Europe et la tradition. La civilisation à l’aune de l’imaginaire, édité en France par La Nouvelle Librairie dans la collection Longue mémoire de l’Institut Iliade et en Espagne par les éditions Fides.
« Je m’étais assigné une tâche, dont j’ai pleinement admis l’arrogance et qui m’a fait frémir – pour être précis : rendre aux Anglais une tradition épique et leur présenter une mythologie qui leur soit propre –, et c’est une chose merveilleuse que l’on me dise que j’y suis parvenu, au moins auprès de ceux qui n’ont pas encore le cœur et l’esprit enténébrés. »
Dans le brouillon de cette lettre datée du 14 janvier 1956, John Ronald Reuel Tolkien a déclaré en quelques mots qu’elle a été son intention littéraire en publiant, deux années plus tôt, Le Seigneur des Anneaux. Ce don qu’il a fait aux Anglais est certainement l’un des plus beaux présents qu’un auteur de haut rang puisse offrir à ceux de son peuple.
Cette mythologie contemporaine, nourrie de tradition épique, a toutefois connu une réception beaucoup plus large, dépassant les strictes frontières de l’Angleterre. Elle a eu des échos notables, d’abord à travers toute l’Europe – dont la Terre du Milieu est une transposition imaginaire – et, partant, à travers le monde entier. Grâce à Tolkien, nous possédons une véritable mythologie contemporaine qui résonne dans l’univers mental des Européens d’aujourd’hui. Tolkien offre à l’Européen la vision d’un monde qui nous semble étranger, mais en apparence seulement, car, à bien y regarder, il nous est en réalité d’une grande familiarité, nous donne cette impression de déjà-vu. La puissance de l’œuvre de Tolkien réside dans le fait qu’elle parvient à faire rejaillir un profond émerveillement et propose un véritable ré-enchantement du monde. L’imagination fait son œuvre. Elle est au travail. Elle fait surgir en nous des représentations étranges qui se confrontent à la raison. Mais la raison les accepte, car elle puise son origine à la même source que ces représentations. Dès lors, ces principes inspirateurs, à travers cette vision si intime, se mettent en marche, gagnant en force. Ainsi, plus l’inspiration morale s’élève, plus le mythe se ravive, et plus le réalisme devient intense.
Le mythe prend dès lors tout son sens, et fait naître en nous une pensée, une manière de rêver, des sentiments puissants, et, surtout, le fait de vouloir prendre part à l’aventure. Ainsi, nous trouvons là la pleine définition de ce qu’est un mythe : un mythe n’est autre chose qu’un moyen d’orienter l’action. Entendons par là que du mythe naissent des actions, qu’il est un principe moteur qui donne une impulsion, une direction à suivre. Ainsi, pour nous, de l’Institut Iliade, la vie de Dominique Venner nous apparaît comme notre mythe, celui qui oriente nos actions depuis presque une décennie. Nous faisons face, à notre époque, à une crise du mythe. Or, nous avons besoin du mythe. Sans lui, l’action ne saurait être orientée. À sa manière, le mythe né de la plume de Tolkien oriente nos actions. Il nous indique deux manières de ne pas céder à l’Ennemi. La première de ces manières, est d’opérer selon le mode de vie des Hobbits, qui ont un rapport sensoriel au monde, relevant par ailleurs d’une certaine spiritualité tournée vers la contemplation de la nature et le fait de l’habiter, au sens heideggérien du terme. De vivre avec et parmi la nature. La seconde de ces manières d’orienter nos actions est de prendre part au combat. Pour nous, au combat culturel, au Kulturkampf. Car si ce combat n’est pas mené, si nous abandonnons le terrain, alors il ne nous reste plus qu’à rendre les armes. Or, ce vae victis, ce « malheur aux vaincus ! » nous est détestable et jamais nous ne serons des défaitistes. Scutum reliquisse praecipuum flagitium, « abandonner son bouclier est le comble de la honte » disait Tacite. La part d’héroïsme qui est en nous nous empêche de faire nos adieux à l’Histoire. Nous sommes des Hommes de Gondor, nous sommes des Hommes de Rohan. Nous sommes encore des Hobbits, les véritables héros chez Tolkien, qui reprennent à l’Ennemi leur terre : la Comté. Nous avons le mythe à nos côtés ou du moins sommes-nous les seuls encore aujourd’hui à lui conférer une importance de premier plan. Que ce mythe nous guide, alors que le loup gris est déjà à nos portes. Qu’il nous structure, nous, Européens qui refusons de céder. Qu’il nous permette, par l’orientation qu’il donne à nos actions, de nous conférer la victoire.
Il est à penser que nous sommes à la fin d’un Âge, à un moment de crise, de basculement. À une époque où il nous importe de se tenir prêt devant ce monde qui vacille. À un moment décisif de l’Histoire où nous avons rendez-vous avec le destin. Les Feux d’alarme commencent à s’embraser et le message crucial est en train de nous parvenir. Saurons-nous répondre à l’appel ? Il faudra le faire, car le temps nous manque. Si nous n’agissons pas, il ne nous restera qu’à déclamer comme des mantras ces mélancoliques Ubi sunt des temps jadis : Frod in ferðe, feor oft gemon / wælsleahta worn, ond þas word acwið: / Hwær cwom mearg? Hwær cwom mago? Hwær cwom maþþumgyfa? / Hwær cwom symbla gesetu? Hwær sindon seledreamas? « L’esprit sage, il se souviendra souvent loin dans le passé / Du grand nombre de carnages et prononcera ces mots : / Où est passé le cheval ? Où est passé le guerrier ? Où est passé le prince généreux ? / Où sont passées les salles de festin ? Où sont les réjouissances du palais ? », ainsi qu’on peut lire dans le poème vieil-anglais L’Errant (v. 90-93).
Tolkien a allumé dans le cœur des hommes de notre époque une flamme puissante qui nous confère de la hauteur, de nobles sentiments ainsi qu’une dignité inébranlable. Il nous rappelle à travers l’imaginaire que les cultures européennes ne sont pas condamnées à mourir de froid, qu’elles demeurent tant que des hommes et des femmes ne seront pas tombés sous le joug de l’Anneau. Ac onwacnigeað nu, wigend mine, / habbað eowre linda, hicgeaþ on ellen, / winnað on orde, wesað onmode! « Mais réveillez-vous dès à présent, mes guerriers ! / Saisissez vos écus de tilleul, songez à l’acte de bravoure, / Combattez à l’avant-garde, soyez déterminés ! », déclare le poème vieil-anglais Le Combat de Finnsburg (v. 10-12). À nous le combat culturel. Faisons également nôtres ces paroles prononcées par Elendil à son arrivée en Terre du Milieu après la chute de Númenor, reprises par Aragorn lors de son couronnement à Minas Tirith : Et Eärello Endorenna utúlien. / Sinome maruvan ar Hildinyar / tenn’ Ambar-metta! « De la Grande Mer à la Terre du Milieu je suis venu. / En ce lieu je resterai, ainsi que mes héritiers, / et ce, jusqu’à la fin du Monde ! » Peu nous importe qu’advienne le ragnarök, le crépuscule des dieux, car nous sommes prêts, nous tiendrons, et nous vaincrons.
Armand Berger
Armand Berger, Tolkien, l’Europe et la tradition. La civilisation à l’aune de l’imaginaire, La Nouvelle Librairie éditions, 2022, 80 p., 7 €.
ISBN : 978-2-493898-01-2