Louise de La Vallière, la Madeleine française ? (1644-1710)
Si son nom ne vous dit rien, Louise de La Vallière est pourtant entrée depuis bien longtemps dans la culture populaire. Image et symbole d’une femme qui, ayant perdu l’amour du roi (Louis XIV), s’est tournée vers Dieu et le couvent, cette pécheresse amoureuse puis repentie est notre Madeleine française.
Son nom ne vous dit probablement rien, ou pas grand-chose. Pourtant, Louise de La Vallière est entrée depuis bien longtemps dans la culture populaire. En littérature, on la retrouve dans de nombreux romans historiques – Angélique, L’allée du roi, Le vicomte de Bragelonne, etc. – ou en simple allusion – comme chez San Antonio[1]. Elle est aussi représentée dans de nombreux films et séries[2]. En anglais, « lavalliere » désigne un collier orné en son centre d’une pierre ou d’un élément pendant, aussi appelé « collier en Y »[3]. En français, une « lavallière » est un nœud de cravate que Louise aurait inventé pour simuler une poitrine plus opulente. Mais Louise de La Vallière est surtout une image et un symbole : une femme qui, ayant perdu l’amour du roi, s’est tournée vers Dieu et le couvent. La pécheresse amoureuse et la pécheresse repentie.
Repères biographiques
Louise de La Baume Le Blanc de La Vallière, de son patronyme complet, est née le 6 août 1644 à Tours, dans une famille de noblesse ancienne mais assez pauvre. Son père meurt alors qu’elle est encore enfant et elle entre, par le remariage de sa mère – le troisième –, dans la maison d’Orléans, auprès des filles de Gaston, oncle de Louis XIV. À la mort du duc en 1660, sa veuve monte à Paris, la jeune Louise dans ses bagages.
Louise devient demoiselle d’honneur d’Henriette d’Angleterre lors de son mariage, en 1661, avec Philippe, le frère de Louis XIV. La cour jase rapidement sur les jeux de séduction entre Henriette et son royal beau-frère. Elle émet alors l’idée d’utiliser un « paravent » et son dévolu se porte sur la douce et effacée « petite La Vallière ». Touché par l’amour sincère et désintéressé de la jeune femme, Louis XIV en tombe rapidement amoureux et en fait sa maîtresse. Après le décès d’Anne d’Autriche, elle devient officiellement sa favorite. Couverte de faveurs par son royal amant, Louise met au monde quatre enfants, dont deux décèdent en bas âge. Mais alors que Louis XIV la fait duchesse et reconnaît officiellement Marie-Anne, devenue Mademoiselle de Blois, puis Louis, devenu comte de Vermandois, l’étoile de Louise de La Vallière faiblit et vacille, supplantée par la magnificence d’Athénaïs de Montespan. Louise redevient un paravent, le roi et sa nouvelle maîtresse craignant – à juste titre – la jalousie et les violentes scènes de l’époux de la marquise.
Après plusieurs années d’humiliations et un mal qui l’ont conduite aux portes de la mort, Louise de La Vallière rédige ses Réflexions sur la miséricorde de Dieu[4] et prend la décision de quitter la cour pour le Carmel, l’ordre religieux le plus strict. Elle prend l’habit le 2 juin 1674.
Devenue sœur Louise de la Miséricorde, elle ne ménage pas ses peines, réclamant les travaux les plus durs et s’imposant de nombreuses privations et mortifications. Son seul regret est de ne pas être suffisamment « morte au monde » puisque la cour ne l’oublie pas. Elle reçoit régulièrement des visites de personnalités, comme la marquise de Montespan, la princesse Palatine ou encore sa fille devenue princesse de Conti et bientôt veuve. Elle apprend les décès de sa mère, de son frère, de son gendre, de son fils… pour lequel elle se refuse à pleurer, affirmant ne pas avoir assez pleuré sa naissance.
Elle décède le 6 juin 1710 au Carmel du faubourg Saint-Jacques à Paris. Le lendemain, une foule nombreuse défile devant la dépouille de celle qui est vue comme une sainte. Louise de La Vallière ne subit jamais la vindicte populaire. Bien au contraire, son souvenir a perduré à travers les siècles[5].
Fortune iconographique
Le thème et la figure de Madeleine sont très prisés au XVIIᵉ siècle et trouvent, semble-t-il à partir des années 1660, un fort écho chez les mondaines, à commencer par les actrices et héroïnes de la Fronde, à l’instar de Madame de Châtillon[6].
La figure de Louise de La Vallière est très tôt associée à celle de sainte Madeleine. Ainsi, Bossuet, en 1662, consacre-t-il trois sermons à la pénitence de Madeleine[7] au cours desquels de nombreux courtisans ont probablement compris l’allusion à peine voilée.
C’est à la même période que Loménie de Brienne aurait souhaité faire peindre par Claude Lefebvre (1632-1675) un portrait de Louise de La Vallière en Madeleine, comme il le raconte dans ses Mémoires. Choix iconographique curieux pour un soupirant supposé ignorer la liaison royale et à un moment très éloigné d’une quelconque repentance de la toute jeune maîtresse du roi. C’est sur une intervention de Louis XIV lui-même que Louise sera représentée en Diane chasseresse[8], iconographie et comparaison sans doute plus appropriée pour la cavalière émérite qu’elle était.
L’association entre Louise de La Vallière/sœur Louise de la Miséricorde et Madeleine n’a pu qu’être exacerbée par son entrée au Carmel. Mais elle a encore grandi, voire explosé au cours des siècles suivants jusqu’à la confusion, dans certains cas.
Il en résulte que les catalogues de vente des XIXᵉ et XXᵉ siècles regorgent de tableaux représentant prétendument Louise de La Vallière en Madeleine pénitente[9], pour peu que le tableau représente une jeune femme blonde – devant une grotte ou sous un crucifix. De la même manière, ils abondent de portraits présumés de Louise de La Vallière, dès lors qu’ils représentent une femme blonde aux yeux bleus parée de riches atours[10]. Il existe également de prétendus portraits de Louise de La Vallière en carmélite[11]. Dans le cas du tableau conservé au musée des Beaux-Arts de Marseille, il s’agit d’une femme en costume de deuil. Dans d’autres cas, il peut s’agir d’une autre religieuse, mais pas d’une carmélite.
Parmi les tableaux dits « authentiques » représentant Louise de La Vallière en Madeleine figure celui que possédait la famille de Luynes. Selon la légende ou la tradition, rapportée par Jules Lair[12], premier biographe de Louise de La Vallière, il s’agirait d’une œuvre de Mignard, peinte vers 1671 au moment de la deuxième fuite de Louise de La Vallière au couvent de Chaillot[13]. Cette dernière aurait légué la toile à sa fille, la princesse de Conti, qui l’aurait elle-même léguée à son héritier (son cousin, le duc de La Vallière). Elle est ensuite passée par héritage à la duchesse de Châtillon puis à la duchesse d’Uzès[14].
Joli roman qui s’inscrit vraisemblablement dans une tradition orale mais qui reste peu crédible, voire est contredit par les sources.
Il semble en effet peu probable que Mignard ait peint cette toile, qui n’est pas mentionnée par l’abbé de Monville, son premier biographe[15] et elle n’a pas été léguée par la princesse de Conti à ses héritiers légitimes.
Il existait un tableau représentant une Madeleine au château de Choisy, lequel appartenait à la princesse de Conti et fut acquis par Louis XV à la mort de cette dernière, en mai 1739, avec ses meubles (y compris ses tableaux dont la Madeleine et au moins deux portraits de Louise de La Vallière avec ses deux enfants[16]). Ce n’est qu’en octobre 1739 que Louis XV aurait accordé à la duchesse de La Vallière le tableau de Madeleine et elle ne l’aurait récupéré qu’en décembre de cette même année[17]. En l’absence de photographie de ce tableau, il est difficile de confirmer ou d’infirmer son attribution. Jules Lair, qui en possédait une, semblait y croire. Toujours est-il que l’anecdote est révélatrice du souvenir persistant de Louise de La Vallière et de son association à la Madeleine, qui perdurent bien après sa mort, chez des personnes l’ayant peu ou pas connue.
Ainsi, à la fin du XVIIIᵉ siècle, on prétend que Le Brun l’avait immortalisée dans sa Sainte Madeleine renonçant aux vanités du monde[18] qui ornait la chapelle du Carmel où sœur Louise de la Miséricorde s’était retirée. Ce qui est impossible puisque la toile date de 1654-1657, soit bien avant l’arrivée de Louise de La Vallière à Paris. On voit que tout s’amalgame et que Louise de La Vallière incarne tellement sainte Madeleine dans l’imaginaire des Français – deux pécheresses se repentant et renonçant aux vanités du monde – que Le Brun n’a pu que prendre cette illustre pénitente comme modèle, et ce d’autant plus que la toile se trouvait dans le couvent où Louise de La Vallière avait choisi de finir ses jours. Une vraie mise en abyme dans laquelle le quidam l’imagine à genoux, en pénitence, devant son propre portrait.
Louise de La Vallière aurait pu entrer dans des couvents plus mondains – comme le firent de nombreuses dames de la cour avant et même après elle à l’instar de Madame de Montespan. Elle aurait également pu se retirer sur ses terres. Si elle s’était véritablement conformée aux mœurs de son temps, elle aurait même épousé un courtisan docile choisi par Louis XIV et aurait continué de vivre à la cour ou dans un château de province. Ce ne fut pas le cas.
Il y a chez Louise de La Vallière un côté résolument moderne, entier et absolu dans sa volonté farouche à suivre ses élans qui l’ont conduite d’un amour terrestre (et encore, était-ce Louis Dieudonné) à l’amour divin, qui tranchent avec son caractère plutôt doux et effacé de « petite violette qui se cachait sous l’herbe et qui était honteuse d’être maîtresse, d’être mère, d’être duchesse ! », selon la formule de Madame de Sévigné.
On ne peut que rejoindre le chanoine Eriau pour qui :
« Par la sincérité de son repentir, par la rigueur de sa pénitence, par la sublimité de ses aspirations, par le profond sentiment de sa bassesse, par son amour ardent de Dieu, elle mérite d’être comparée à la Madeleine repentante de l’Évangile, son modèle préféré, et de rester comme elle vivante dans la mémoire des hommes. Sœur Louise de la Miséricorde est notre Madeleine française. »
Victoire Clerc – Promotion Richard Wagner
Notes
[1] San-Antonio, première édition en 1949 : « – Qui est là ? Je réponds que c’est Louis XIV qui vient de la part de Mlle de La Vallière, voir si M. Batavia n’a pas besoin du palais de Versailles pour élever des condors. »
[2] Liste non exhaustive : Si Versailles m’était conté de Sacha Guitry (1954), L’homme au masque de fer de Mike Newell (1977), Le cinquième mousquetaire de Ken Annakin (1979), L’allée du roi de Nina Companeez (1996) ou Versailles (2015-2018).
[3] marketsquarejewelers.com
[4] Jean-Christian Petitfils, p. 304-306.
[5] Eriau, 1961, Huertas, 1998, Petitfils, 1990.
[6] Bardon, p. 300-301.
[7] Eriau, p. 77.
[8] Loménie de Brienne, p. 40-41. Le portrait conservé au château de Versailles (MV 3540) est très probablement une copie de l’original commandé par Loménie de Brienne, non localisé aujourd’hui.
[9] Une liste non exhaustive est donnée dans Bardon, 1968, p. 302—303.
[10] Lair, p. 396.
[11] Le seul portrait de Louise de La Vallière en carmélite serait celui de l’ancien Carmel du faubourg Saint-Jacques. (L’art du XVIIe siècle dans les carmels de France, 1982, p. 110, cat. 65.).
[12] Lair, p. 401. Attribution et historique repris par Bardon, p. 302, note 110.
[13] La « première » fuite à Chaillot a eu lieu en 1662 (Huertas, 1998, p. 58-59) et Petitfils, 1990, p. 98-99). Sur la deuxième fuite à Chaillot, voir Petitfils, p. 239-241.
[14] Le tableau était visible au château de Bonnelles, du vivant de la duchesse d’Uzès puis au château de Dampierre, jusqu’à récemment propriété des ducs de Luynes.
[15] Monville, 1731.
[16] Inventaire après décès de Marie-Anne de Bourbon, princesse douairière de Conti, Archives Nationales, X 1 A 9164.
[17] Chamchine, p. 49. Il n’est nulle mention d’un legs dans la correspondance citée par B. Chamchine.
[18] Le tableau est conservé au musée du Louvre (inv. 2890/MR 1927).
Références bibliographiques
- Françoise Bardon, Le thème de la Madeleine pénitente au XVIIe siècle en France. Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 31, pp. 274-306, 1968.
- B. Chamchine, Le château de Choisy. Jouve et Cie, 1910.
- Jean-Baptiste Eriau, La Madeleine française. Louise de La Vallière dans sa famille, à la Cour, au Carmel. Nouvelles éditions Debresse, 1961.
- Rosa Giorgi, Les saints, Éditions Hazan, 2003.
- Monique de Huertas, Louise de La Vallière, de Versailles au Carmel, Pygmalion, 1998.
- Jules Lair, Louise de La Vallière et la jeunesse de Louis XIV, Librairie Plon, 1907.
- Catalogue de l’exposition L’art du XVIIe siècle dans les carmels de France, au musée du Petit Palais du 17 novembre 1982 au 15 février 1983, éd. Yves Rocher, 1982.
- Louis-Henri de Loménie de Brienne, Mémoires de Louis-Henri de Loménie de Brienne (Vol. III), Société de l’histoire de France, 1919.
- Abbé de Monville, La vie de Pierre Mignard, premier peintre du roy. 1731.
- Jean-Christian Petitfils. Louise de La Vallière, Librairie académique Perrin, 1990.
- San-Antonio, Réglez-lui son compte, Fleuve Noir, 1981.
En illustration : Jean-Charles Nocret, Le renoncement de Louise de la Vallière, musée des Beaux-Arts de Brest, domaine public.