Retrouvons la sagesse des Phéaciens relative aux étrangers de passage : « Pensons aussi à leur retour… »
Jamais, dans l’époque moderne, n’a été avouée de manière aussi flagrante l’absurde contradiction qui oppose des droits abstraits attachés à l’Homme abstrait, et les droits concrets attachés à une citoyenneté, à un territoire et à des institutions.
Panique, la semaine dernière, dans la dénommée « jungle » de Calais : avant d’être évacués, des étrangers pyromanes ont incendié leurs propres hébergements en terre française. La préfète du lieu, Fabienne Buccio, a prétendu expliquer leur geste : « C’est une tradition de la population migrante, de détruire leur habitat avant de partir. » Elle ajoutait : « Les chefs de la communauté nous avaient dit : ‘Quand on s’en va, on nettoie en mettant le feu’. » D’où l’anticipation des services locaux, la présence de pompiers, et quelques destructions préalables de tentes ou de cabanons pour éviter des départs de feu.
La préfète étant représentante de la République, et donc de l’application des lois, sa réflexion ne laisse pas d’étonner. Du plus lointain qu’elles sont envisagées, les traditions européennes sont exactement inverses de ce qu’elle laisse entendre. La Cité hellénique accueillait certes l’étranger, elle pouvait lui offrir un repas en présence de délégués citadins, mais sous la réserve que celui qui venait d’ailleurs s’engageât à respecter les coutumes locales, plutôt qu’imposer les siennes.
L’Odyssée met en scène, aux chants VII, VIII et XIII, Ulysse arrivant chez les Phéaciens, qui ne supportent guère les intrus. Il est inconnu mais accueilli, sans affection mais sans haine, du fait de son attitude de suppliant. Des libations précèdent le service d’un repas. A son départ, il recevra des cadeaux d’hospitalité. Les rites, la sollicitude, la nourriture, voilà tout ce qui donne une matière à l’adverbe endukéôs, cet « avec soin » que l’on retrouvera plus tard dans l’éducation. Et le roi des Phéaciens de conclure à propos d’Ulysse : « Recevons l’étranger, et offrons des sacrifices aux dieux ; ensuite, pensons aussi à son retour… »
L’helléniste Jean-Pierre Vernant a montré de longue date l’importance de la distinction du dedans et du dehors, des domaines d’Hestia et d’Hermès, dans la construction dynamique de l’espace en Europe. L’être du dehors est accueilli pour autant qu’il respecte ceux qui l’accueillent. Dans le cas de la ‘jungle’ de Calais, celui qui est accueilli a incendié — avec motif, aux yeux de la représentante de la République ! — les biens de ceux qui l’accueillaient. C’est au nom de son ‘Droit de l’Homme’ qu’il a insulté les droits de citoyens. Jamais, dans l’époque moderne, n’a été avouée de manière aussi flagrante l’absurde contradiction qui oppose des droits abstraits attachés à l’Homme abstrait, et les droits concrets attachés à une citoyenneté, à un territoire et à des institutions.
Les viols de la nuit du Nouvel An en Allemagne, à Darmstadt (Hesse) et dans une douzaine d’autres Länder, ressortissaient, eux aussi, de traditions décrites par des ethnologues. Rien ne les justifie pour autant. L’Europe de Maastricht est bien celle du « incendiez-moi et violez-moi ». L’Europe des Européens a une autre consistance. Il est temps de se débarrasser de la première au profit de la seconde. Et de retrouver la sagesse des Phéaciens relative aux étrangers de passage : « Pensons aussi à leur retour… »
Crédit photo : malachybrowne via Flickr (cc)