Au pied du sapin, trois beaux livres pour enchanter l’âme et l’esprit
La religion des livres n'est pas un vain mot en Europe, civilisation où tout Bon Européen qui se respecte se doit d'aimer la compagnie des livres.
En ces jours précédant Noël, alors que nos contemporains, oublieux du temps sacré de l’Avent, se précipitent dans les temples du monde marchand pour s’acheter le dernier gri-gri high-tech à la mode, il nous a semblé utile de détourner, de manière utile et agréable, l’hystérie consumériste en proposant de beaux livres récemment publiés à déposer au pied du sapin où tant la profondeur des textes que la richesse et la beauté des illustrations enchantent l’âme et réjouissent le regard…
Sur les chemins de France, sentiers d’histoire et de légendes
Dans ce superbe album orné des très belles photos de Bruno Colliot, Bernard Rio nous entraîne dans une ballade buissonnière à travers la France, ses légendes et son histoire à la découverte de ses chemins. Chemins de guerre, de pèlerinage, de contrebande ou d’insurrection, les 37 parcours proposés au fil des pages s’inscrivent dans le paysage et la mémoire.
Dans sa préface, Bernard Rio résume en quelques lignes magistrales l’essence du chemin : « Le chemin est un fil conducteur dans le paysage et l’histoire. Il représente bien plus qu’un axe de communication, il est la charpente de la civilisation depuis que l’homme a entrepris de modeler l’espace, ouvrant des clairières dans les forêts, maillant les champs, clôturant les cultures et desservant les villages. Le chemin de terre et la chaussée pavée appartiennent à une société rurale succédant aux chasseurs-cueilleurs dont les pistes serpentaient par monts et par vaux.
Ces vestiges voyers illustrent les usages et les destinations. Ce sont les traces d’un temps où l’homme marchait à son rythme et traversait les contrées à cheval, en carriole ou à dos d’âne. Les vieux chemins conservent leurs caractéristiques primitives. Tantôt ils dominent les alentours, tantôt ils s’enfoncent dans la terre.
Nombre de voies prétendues romaines s’avèrent des chemins gaulois qui parcouraient les campagnes et desservaient les oppidas. Tel tronçon de talus ou de murets s’inscrivait dans un ensemble pérégrin. L’étude d’une carte d’état-major permet souvent de retrouver leur orientation et de les inscrire dans une histoire paysanne, militaire ou religieuse. Le chemin des Dames, au sud de Laon, fut d’abord de plaisance avant d’être une ligne de front.
Le chemin de Saint Seine s’intègre dans une triangulation sacrée incluant les sources de la Seine et le culte de la déesse Sequana. Le passage de Roncevaux ouvre la porte de l’Espagne et une voie intérieure. Jeanne la Pucelle entendit les Bonnes Dames sur le chemin de la fontaine aux Rains, à Domrémy.
Jean Giono célébra la gloire paysanne sur le plateau de Valensole tandis que Louis Pergaux fit l’éloge de l’école buissonnière dans les chemins verts de Belmont ! Savoir où on marche, n’est-ce pas apprendre d’où on vient et peut-être savoir où on va ? Le voyageur et le chemin font un couple dont nul archéologue et nul anthropologue ne peuvent dire qui conduit et qui construit l’autre ! L’usage de chemin reste finalement une histoire et une aventure personnelle. »
Utile complément à la réflexion entamée par le livre de Sylvain Tesson « Sur les chemins noirs », ce bel album de Bernard Rio nous entraîne dans un magnifique voyage sur la mémoire immémoriale de ces chemins irriguant le vieux pays de France.Comme autant de racines profondes, et toujours vivaces pour qui sait les découvrir.
Sur les chemins de France, sentiers d’histoire et de légendes, par Bernard Rio (photographies Bruno Colliot), éditions Ouest-France 220 pages, 35 euros.
Frontières. Des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui
De lecture très agréable, Frontières est défini dans la préface d’Olivier Foucher, géographe et diplomate, comme « un guide de voyage en forme d’introduction, buissonnière et illustrée, à l’univers contrasté des délimitations politiques, culturelles et stratégiques, dont la fonction protectrice aussi bien que la fragilité nous obsèdent de nouveau en ces jours incertains ».
Son auteur, Olivier Zajec, enseignant en sciences politique à Lyon III, professeur de géopolitique à l’Ecole de guerre, a écrit ce superbe livre, richement illustré et s’appuyant sur un solide appareil cartographique. En trois grandes parties (Pouvoirs, identités, nouveaux espaces) et une soixantaine de chapitres, il nous expose une réflexion stimulante sur le concept de la frontière dans une prodigieuse ballade à travers temps et espace, du limes romain du Ier siècle, jusqu’au mur israélien du XXIe, des remparts de Carcassone à Check Point Charlie, du fond des océans au silence des espaces intersidéraux, définissant avec brio toute la complexité et la diversité des frontières d’hier à aujourd’hui, qu’elles soient étatiques, civilisationnelles, idéologiques, naturelles ou non.
Si la frontière aujourd’hui est définie juridiquement par la Cour Internationale de Justice comme « la ligne exacte de rencontre des espaces où s’exercent respectivement les pouvoirs et droits souverains », Olivier Zajec élargit cette définition qui ne répond pas à l’étude sur le temps long de la formation des nations et de la mémoire des peuples. Au vocabulaire juridiquement normé des institutions internationales contemporaines, il ajoute la notion essentielle de « confins » : ces zones de marche intermédiaire à vocation militaire et impériale chantées par Jean Raspail, et si importantes dans l’histoire de l’Europe
Si la gouvernance mondiale plaide en faveur d’un effacement des frontières, Olivier Zajec leur promet pourtant dans sa conclusion un bel avenir :
« à une époque caractérisée par une passion galopante pour le nivellement, et qui ne célèbre les slogans réflexes de l’ouverture et de la diversité que pour mieux oublier sa soumission volontaire à l’uniformité culturelle, il est permis de poser l’hypothèse que les bornages agaçants des limites politiques contribuent à préserver la chatoyance du monde tout autant que ses capacités de tolérance.(…) « No border » ? Un idéal auquel il est au fond naturel que les vigiles du droit d’ingérence et les trafiquants libre-échangistes, soldats du Moralisme punitif et du Profit réconciliés, applaudissent ensemble des deux mains. Pour les tenants du réalisme politique, rien n’oblige en revanche à considérer cette perspective comme un progrès évident. »
Et Olivier Zajec d’en appeler, dans les ultimes lignes de sa conclusion, à « préserver la possibilité des rencontres et des traités [et] à ce que perdurent, à la croisée des chemins des peuples, les filtres pacificateurs des délimitations politiques et culturelles ».
Frontières. Des confins d’autrefois aux murs d’aujourd’hui, par Olivier Zajec (cartes : Jean-Philippe Antoni), Chronique éditions, 184 p., 34,95 euros.
La grande histoire des guerres de Vendée
Réalisé par l’auteur de la Cause du peuple, ce beau livre s’appuie sur une très riche iconographie à base de tableaux, gravures, emblèmes, armes, vitraux, la plupart méconnus ou inédits. Préfacé par Philippe de Villiers, l’ouvrage retrace en sept chapitres la tragique odyssée de la Vendée militaire entre 1793 et 1796. Au récit de Patrick Buisson, s’appuient en regard les récits, réflexions et témoignages d’une cinquantaine de contributeurs, contemporains ou postérieurs au conflit, appartenant à chacun des deux camps en présence, historiens, mémorialistes, acteurs ou témoins oculaires, romanciers, poètes, philosophes, dont quelques « géants » de la littérature et de la pensée comme François-René de Chateaubriand, Victor Hugo, Jules Michelet ou Alexandre Soljenitsyne.
Si la dimension religieuse du conflit est essentielle, Patrick Buisson considère que l’insurrection vendéenne ne peut pour autant se résumer à une opposition entre croyants et non-croyants, mais à celle plus radicale encore séparant ceux qui « savent qu’ils croient » et ceux qui « croient qu’ils savent ». Ce conflit religieux fut en effet doublé d’une guerre sociale entre les bénéficiaires de la Révolution et la paysannerie de l’Ouest, passage sanglant « d’une société d’ordres à une société de classe », dont Patrick Buisson se plaît à rappeler que la répression fit plus de victimes que la totalité des jacqueries de l’Ancien Régime.
La dénonciation de la politique de terreur conduite par la Convention envers les Vendéens représente l’autre aspect essentiel de ce livre. Patrick Buisson insiste sur le caractère génocidaire de ce conflit franco-français répondant incontestablement aux critères de crime contre l’humanité, s’appuyant pour cela sur les travaux de Reynald Sécher et de Jacques Villemain. Ce génocide fut doublé d’un « mémoricide », les Vendéens étant ensuite ensevelis « dans le grand sépulcre de la négation et de l’occultation, du déni et du non-dit ». Dans son épilogue, l’auteur souligne que « non seulement les Vendéens furent niés en tant que victimes mais également en tant que peuple ; le seul peuple homologué comme tel par la vulgate progressiste étant celui qui se soumet docilement au projet que les élites conçoivent pour lui ».
Au-delà d’un hommage à l’héroïque Vendée martyrisée puis oubliée, le livre de Patrick Buisson est une formidable leçon d’histoire sur l’enjeu mémoriel d’un conflit sans précédent, mais dont le tragique scenario s’est répété ensuite et à plusieurs reprises dans l’histoire, ainsi que le rappelle Stéphane Courtois dans son magnifique Lénine, inventeur du totalitarisme (Perrin, septembre 2017). Aujourd’hui, si colonnes infernales et noyades de Nantes appartiennent au passé, la matrice idéologique héritée de la Révolution française prolonge et ce conflit avec d’autres moyens, mais un objectif intact : le déracinement de nos peuples et la déconstruction des cadres de notre civilisation.
La grande histoire des guerres de Vendée, par Patrick Buisson (préface de Philippe de Villiers), Editions Perrin, 300 p., 29 euros.