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François Chifflart ou l’illustrateur oublié de Victor Hugo

Jusqu’au 28 août 2025, le musée de l’Hôtel Sandelin de Saint-Omer accueille certaines œuvres du peintre, graveur et dessinateur François-Nicolas Chifflart dans le cadre de son exposition « François Chifflart et Victor Hugo – Fantasme Noir » en collaboration avec la Bibliothèque nationale de France et la Maison Victor Hugo de Paris.

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Par ses idées républicaines et son style contestataire, François Chifflart ne pouvait que déplaire à la société de son temps. Pourtant, que de talents ! Une esthétique mélancolique au service de thèmes tragiques ou épiques est la signature d’un artiste à redécouvrir.

Comme tous les plus géniaux pourfendeurs des règles écrites ou tacites, notre artiste savait d’abord s’inscrire dans les pas des classiques. François-Nicolas Chifflart né à Saint-Omer en 1825, dans une famille d’artisans. Son talent pour le dessin fut très vite remarqué. L’obtention de nombreux prix et le soutien de la presse locale l’incitent à partir pour Paris en 1842 afin d’intégrer l’École des beaux-arts. Ces six années d’études lui permettent de bénéficier des conseils du peintre Léon Coignier et de préparer le concours du Grand prix de Rome de peinture historique. Malgré deux échecs consécutifs, il remporte finalement le concours en 1851 avec son tableau intitulé : Périclès au lit de mort de son fils. Le tableau, présent dans la première salle de l’exposition, reflète une parfaite maîtrise du style académique. Il y est dépeint une scène historique, le décès du fils du stratège Périclès lors de l’épidémie de peste de -430. La priorité est donnée aux détails anatomiques et aux drapés des toges. Ce respect des canons académiques lui permet d’être admis à la villa Médicis l’année suivante.

Mais, à peine a-t-il rejoint sa nouvelle école que notre jeune artiste se révèle par son indiscipline. Cela ne l’empêche pas de développer une passion pour les peintures de Michel-Ange et de Raphaël. Son goût pour l’Antiquité romaine se manifeste par une autre toile : Martyrs chrétiens livrés aux bêtes (1856). Elle représente un couple de martyrs chrétiens attaqués par un lion, juché sur ses pattes postérieures. L’influence de Michel-Ange se fait ressentir par la position de la martyre, qui rappelle la Pietà de la basilique Saint-Pierre. Pourtant, la patte personnelle de l’artiste se manifeste déjà par un goût prononcé pour les tons brunâtres et blanchâtres.

À la fin des années 1850, Chifflart revient à Paris. Mais, contrairement à ses condisciples de la Villa Médicis, il ne reçoit aucun appui d’une commande d’État. C’est donc hors des circuits académiques que Chifflart se bâtit une notoriété, notamment par le biais du Salon. Deux dessins au fusain, Faust au sabbat et Faust au combat, attirent particulièrement l’attention du public parisien lors du Salon de 1859. Dans le second dessin, on y voit Faust, secondé de Méphistophélès, sauvant l’empereur d’une nuée d’ennemis. L’absence de couleurs accentue le caractère fantastique de l’œuvre, mais la posture aérienne des personnages souligne la dimension épique de la bataille. Elle souligne tout le tiraillement d’un artiste, pétri de techniques classiques mais épris d’un tempérament romantique. Dans les deux dessins, la figure de Méphistophélès est centrale, afin d’insister sur la dimension diabolique de l’histoire. Ces œuvres lui vaudront le soutien de Charles Baudelaire et de Théophile Gauthier.

Mais ce coup d’éclat n’empêche pas l’artiste de connaître des difficultés financières au cours des années 1860. Son style et ses idées républicaines déplaisent aux élites du Second Empire. Alors Chifflart se réfugie dans le dessin et l’eau-forte pour laisser libre cours à sa créativité. De plus, une rencontre avec Victor Hugo au début de l’année 1868 donne un second souffle à sa carrière d’artiste. Un portrait de l’écrivain, sur un fond clair-obscur cher à l’artiste, matérialise la rencontre entre les deux hommes. Chifflart devient l’illustrateur de certaines des plus grandes œuvres de l’auteur telles que Les travailleurs de la mer ou Notre-Dame de Paris. Mais la guerre de 1870 et l’épisode de la Commune de Paris, qu’il soutient, perturbent ces projets. Il se réfugie à Arras et survit péniblement en illustrant d’autres œuvres d’Hugo. Dans l’avant-dernière salle, plusieurs dessins témoignent de cette collaboration, notamment La Conscience (1877) qui servit à illustrer La Légende des siècles aux éditions Hugues (1885). Elle représente Caïn, sous les traits de Victor Hugo, fuyant le poids de sa conscience ou la perspective du châtiment divin après le meurtre de son frère Abel. Ce fusain magistral matérialise parfaitement ce vers d’Hugo : « L’œil était dans la tombe et regardait Caïn »[1]. Cela reste sa composition la plus connue mais aussi son dernier chef-d’œuvre. La mort de Victor Hugo en 1885 contribue encore un peu plus à la marginalité de Chifflart. Il finit par s’éteindre à Paris en 1901, abandonné de tous. Longtemps, il demeura oublié, tel « ces âmes voilées dont nul n’a reconnu la grandeur »[2] dont parlait Maurice Barrès. Espérons que cette exposition puisse contribuer à la réhabilitation d’un artiste à la fois inclassable et génial.

Frantz d’Artois – Promotion Charles Quint

Informations pratiques et billetterie

  • Exposition François Chifflart et Victor Hugo, Fantasme noir
    Musées de Saint-Omer : musees-saint-omer.fr
  • Musée de l’Hôtel Sandelin
    14 rue Carnot, 62500, Saint-Omer
    Du 20 avril au 28 août 2025

Notes

[1] Victor Hugo, La Légende des siècles, La Conscience, 1ʳᵉ série, 1885
[2] Maurice Barrès, La colline inspirée, 1913

En couverture : Portrait de Victor Hugo (détail), huile sur toile, vers 1868. Domaine public.