Travail et production, utilité et souveraineté
Intervention de Lionel Rondouin le samedi 5 avril 2025 à La Maison de la Chimie.
Il n’est pas question de remettre en cause l’utilité des services fournis à l’agriculture et l’industrie, ou fournis à la société comme la santé, la justice, etc., ce serait absurde. En revanche, le secteur tertiaire et l’État ne peuvent être rémunérés que si les secteurs primaire et secondaire (agriculture, pêche, mines, industrie, construction) fournissent les biens physiques nécessaires à la population et à l’industrie, tout en créant de la valeur. Il faut ensuite qu’une partie significative de la valeur créée se répartisse en revenus élevés pour les producteurs et en bénéfices pour les entreprises, le tout étant imposable par l’État pour financer les services et les investissements publics.
Notre société a dévalorisé l’image des agents économiques primaires : ingénieurs, ouvriers, paysans. Elle les a appauvris. Cela est la conséquence de la « société de services », des délocalisations et de l’accaparement du bénéfice des entreprises qu’on appelle « création de valeur pour l’actionnaire ». Il s’ensuit une perte d’autonomie des nations occidentales. Une économie de rente s’est développée, au profit de la technostructure, sans création de richesse réelle. C’est l’une des causes de la faible croissance des économies européennes et du recours à la dette publique.
Les ravages des bullshit jobs
Au cœur de nos problèmes se trouve la multiplication des bullshit jobs depuis les années 90. Ce sont les emplois qui sont inutiles, voire néfastes. Leur utilité théorique n’est pas en cause. Le problème qu’ils posent, c’est leur prolifération. Un contrôleur de gestion assume une fonction utile, qui est de détecter le plus tôt possible un écart entre une prévision économique et la réalité constatée à un moment T. Cette constatation permet à l’entreprise ou à l’institution publique de mettre en place des mesures correctrices. Jusque-là, tout va bien… Mais lorsque l’entreprise ou la collectivité ont une population démesurée de contrôleurs de gestion, alors apparaît une dérive qui revêt deux aspects. Le premier aspect est opérationnel : une exigence croissante de reportings monopolise l’encadrement, dont la productivité baisse. Le second aspect est financier : le coût de ces suivis finit par excéder le bénéfice potentiel qu’on en attendait. Pis encore, la baisse de qualité suscite l’apparition de nouveaux bullshit jobs. Prenons un exemple. À l’époque de la Bête humaine de Zola, en 1890, les trains de la ligne Paris-Le Havre étaient plus ponctuels qu’aujourd’hui. L’encadrement et les cheminots vivaient pour la belle ouvrage, les yeux rivés sur leur montre de gousset. Aujourd’hui la qualité du service est médiocre, soit par manque d’opérateurs directs (ex : conducteurs), soit par défaut des fonctions support liées à la production (ex : entretien des voies). Le « remède » trouvé par l’institution consiste dans le gonflement démesuré des moyens alloués à la communication. Plutôt que d’entretenir les aiguillages, il serait donc plus « moderne » de développer des « applis » qui expliquent aux voyageurs qu’ils arriveront en retard… On remarquera au passage que le recours à la « communication » est une constante de toute institution en voie de déshérence, et qu’un très grand nombre des bullshit jobs les plus inutiles relèvent de la communication.
Les bullshit jobs ne sont donc pas des boulots de merde. Un boulot de merde est un travail pénible, mal rémunéré, dévalorisé socialement. Un bullshit job, c’est un travail à la con. En revanche, cet emploi inutile ou toxique peut être très bien payé. Les titulaires d’emplois à la con gagnent généralement mieux leur vie que les producteurs.
La COVID 19 a mis en lumière l’inutilité relative de tous ceux qui pouvaient poursuivre leurs fonctions en télétravail. Un infirmier est plus indispensable à la société qu’un directeur du marketing de marque chez Séphora ou un communicant à la mairie de Paris. Alors pourquoi les personnes possiblement en télétravail continuent-elles à gagner plus que les agents économiques indispensables en continu au bon fonctionnement de la société ?
Il y a là les conditions d’une nouvelle lutte de classes. Sur ce sujet, je vous renvoie au travail effectué par Tatiana Ventôse. Cette personnalité de gauche a contribué à la création du Parti de Gauche (devenu LFI) avant d’appeler à voter Marine Le Pen en 2022. Dans un ouvrage paru en 2024, Il est venu le temps des producteurs, elle développe les principes d’une nouvelle lutte des classes, contre les rentiers du système. Pour ceux qui parleraient d’utopie, on remarquera que sa démarche est très proche des constats et des conclusions de l’Américain J.D. Vance dans son essai Hillbilly Elegie (la complainte du plouc), et que J.D. Vance, loin d’être un raté rêveur, est actuellement vice-président des États-Unis…
Les rentiers sont-ils heureux au travail ?
Pour autant, les rentiers sont-ils heureux ?… Pas forcément. Il faut distinguer entre les rentiers opulents (communicants ; journalistes vedettes ; grands artistes subventionnés ; politiques et fonctionnaires à la tête de hauts-commissariats ; membres de CESE ; conseils bidon de la présidence de tel ou tel groupe coté), d’une part, et les titulaires de boulots à la con appartenant aux classes intermédiaires ou du bas de l’échelle sociale, d’autre part. Chez ces derniers, les petits rentiers, sévit un nouveau phénomène, la démission au travail qui révèle une névrose croissante. Certains démissionnent de leur entreprise et se reconvertissent. Les plus radicaux sortent pour tout ou partie de l’économie monétarisée, et préfèrent vendre sur le marché dominical leur fromage de chèvre. D’autres entament à la quarantaine l’apprentissage d’un métier manuel dont la production, concrète, sensible, donne un nouveau sens à la vie, celui de la « belle ouvrage ». Cela va de la menuiserie à la ferronnerie en passant par la conserverie. Les motivations à la reconversion, dans ce cas, sont accrues par la perspective de revenus plus élevés que précédemment, car un plombier capable et travailleur gagne mieux sa vie qu’un prolétaire en col blanc.
D’autres encore sombrent dans l’inactivité subventionnée et représentent le prolétariat des rentiers, maintenus à flot par l’assistanat public. Mais l’immense majorité des salariés ne démissionne pas. Pour aller où ? Les autres entreprises ne paient pas mieux. La révolte sourde contre l’institution prend alors une forme de démission invisible, une forme de je m’en-foutisme qui consiste à quitter de facto l’entreprise en n’y faisant qu’acte de présence.
Cette désespérance doit être distinguée du burn-out. Le burn-out existe, bien entendu, dans de nombreuses situations, sous la pression des évènements ou d’un management toxique. Mais le stress ou le burn-out ne sont généralement pas les causes de la démission au travail. Plus fréquemment, on doit y voir un bore-out. Ce concept est apparu en 2007, donc avant l’épidémie de COVID. Il désigne un épuisement professionnel causé par l’ennui, une prise de conscience de l’inutilité économique ou sociale de la fonction exercée, et, par là-même de sa propre inutilité en tant qu’être humain dans la société.
La question posée initialement (« les rentiers sont-ils heureux ? ») n’a pas seulement une dimension psychologique. On ne saurait sous-estimer l’impact de la névrose professionnelle sur l’économie globale et les finances publiques. Se conjuguent ici les manques à gagner des entreprises (et donc la rentrée fiscale induite pour l’État) et le coût social accru au niveau des finances publiques : RSA, coûts dus à l’usage d’anxiolytiques, aux pathologies que cause la somatisation de l’angoisse et du sentiment d’inutilité, etc…. Ces surcoûts collectifs plombent les finances publiques tout autant que le manque à encaisser fiscal. Par effet de ciseau (baisse de la ressource + hausse de la dépense), le seul recours de l’État s’appelle : la dette…
La fonction économique des normes
L’Europe est entrée dans les années 2000 dans une phase de stagnation durable. Le roi est nu. À défaut d’un manteau d’hermine, trouvons-lui au moins un cache-sexe… Cela s’appelle les normes. Dans une économie qui ne produit plus suffisamment de biens primaires et secondaires et ne crée plus d’emplois, comment peut-on « habiller » la vérité ? Il suffit de créer des entreprises et des emplois de service parasitaires.
Les normes sont des impôts déguisés. L’instauration du contrôle technique automobile vise au recyclage d’une main d’œuvre qui devrait se consacrer à des activités directement productives comme la production de machines nouvelles ou l’entretien de machines existantes. Les employés du contrôle technique sont en réalité des chômeurs de l’industrie. On les fait indemniser non pas par l’État et l’impôt direct, mais par le consommateur. Le contrôle automobile est un impôt déguisé en prestation de service marchand, qui indemnise des chômeurs de facto sans intervention apparente de l’État. L’impôt est ainsi invisibilisé, et donc moins coûteux pour l’image de la classe politique.
On peut aussi créer, générer artificiellement de l’activité. C’est ainsi qu’on a promu le diesel pour sauver la planète, puis l’essence, puis enfin la propulsion électrique. Sous couvert de préoccupations vertueuses, on veut forcer le marché à renouveler sans cesse un parc automobile qui n’est pas arrivé à son obsolescence. Ce n’est pas un hasard si la Commission européenne envisage de restreindre le droit à entretenir des véhicules « âgés », ce qui ne veut pas dire usés. Le but n’est bien entendu que de forcer les particuliers et les entreprises à renouveler leur parc.
Dans un autre domaine, la multiplication des normes suscite le foisonnement d’entreprises de services auxquelles les entreprises et les collectivités locales font appel pour appliquer les normes complexes et souvent contradictoires : droit du travail, Responsabilité Sociale et Environnementale, etc… Le coût des prestataires relève là encore d’impôts déguisés. Mais cela bénéficie au système car, dans les chiffres du PIB, il y a du chiffre d’affaires, donc supposément de la création de richesse, et dans les chiffres de France Travail, il n’y a pas trop de chômeurs.
On notera que le système n’hésite pas à s’affranchir de ses propres normes. C’est ainsi que les travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris ont pu se mener grâce à l’affranchissement du chantier de toutes les réglementations administratives. Il en ira de même pour la reconstruction de Mayotte. Ce que démontrent ces exceptions, c’est que les normes, les contraintes et les surcoûts qui pèsent sur les chantiers ordinaires ne visent qu’à créer de la dépense injustifiée et des emplois fictifs.
Pour entretenir l’activité, vivent les bullshit products !
Dans la même logique de créer artificiellement une demande, le système économique a imposé dans l’esprit des consommateurs une illusion technologique. Le marketing s’est substitué à la véritable innovation technique qui, elle, est orientée vers l’optimisation de la production et l’offre de produits et services nouveaux et utiles (c’est une des bases du système capitaliste dans ce qu’il a de plus vertueux). On a donc vu proliférer des bullshit products, des produits à la con.
L’économie contemporaine est le règne du gadget. Pour inciter le marché à renouveler ses équipements, on présente comme des innovations des simples fonctions dont l’utilité fondamentale reste douteuse. Le meilleur exemple en est la téléphonie mobile. En réalité, la fonction téléphonique est un produit « mûr », comme on dit en économie. Pour pallier ce problème de maturité, l’industrie promeut des fonctions accessoires.
L’industrie automobile est un autre exemple de cette dérive. Comment expliquer la multiplication de fonctions superfétatoires sur les véhicules automobiles, dont le principal résultat est l’augmentation constante du poids et de l’encombrement des véhicules ? À titre d’exemple, observons l’évolution du poids à vide d’une BMW série 3 sur 50 ans : 1.100 kg en 1975 ; 1.700 kg actuellement. Les conséquences en sont : renchérissement constant du modèle ; augmentation de la consommation à cause de la masse déplacée (compensée par le rajout de technologies coûteuses et pesantes, d’où un cercle vicieux) ; augmentation de la pollution par l’usure des pneumatiques ; etc… Le mirage de la voiture électrique, polluante à fabriquer, polluante en particules d’abrasion, vient parachever le tableau.
Les limites du système
En réponse à ces remarques, on arguera que les produits à la con soutiennent l’activité économique en entretenant un certain niveau de consommation et donc de production et donc d’emplois. Cet argument mérite un examen.
En réalité, le système se heurte à des limites, dont certaines sont techniques, et les autres économiques et financières.
On constate en premier lieu une crise de certains secteurs. On prendra à nouveau l’exemple de l’industrie automobile, dont on rappelle qu’elle reste à ce jour le premier employeur en Europe. Les licenciements et les fermetures de sites de production ont fait la une des médias, dont la plupart font porter la responsabilité du phénomène à la hausse des coûts de l’énergie. Ce facteur n’est pas anodin, mais ce n’est quand même pas la faute de Vladimir Poutine si VW et Valeo réduisent la voilure… Les normes issues de la folie religieuse du tout-électrique contribuent significativement à cette crise.
Mais ce n’est pas tout. Car, en Europe, on sait de moins en moins produire. La chute des ventes provient aussi d’une baisse de la qualité et de la fonction d’usage pour le consommateur. Tous les vieux « Africains » ont connu des 404 Peugeot avec 500.000, voire un million de km. Alors que beaucoup de moteurs européens actuels cassent à 45.000 km… On ne sait plus bien produire en Europe. Les marques françaises et allemandes jouissaient encore, dans les années 2010 d’une réputation de fiabilité. Aujourd’hui, et on se reportera au classement 2023 d’Euroconsumers (la référence en la matière), une seule marque européenne, Audi, figure dans le top ten. Les neuf premières marques sont asiatiques… BMW, Mercedes, Peugeot, Renault ? Dans le fond du classement de la trentaine de marques étudiées !
Les causes de ce désastre sont multiples et relèvent toutes des conditions d’exercice du travail de production. En premier lieu vient la délocalisation des sites de production. Le découplage entre les lieux de conception, d’une part, et les lieux de production, d’autre part, provoque une perte de retours d’expérience et un allongement des délais. Les Européens perdent le sens des priorités industrielles, qui placent les « méthodes » (interface R&D/production) au cœur d’un système industriel. C’est de cela, du fantasme d’une « société sans usines », qu’est morte, entre autres, Alcatel…
Ensuite, le cost-killing provoque la baisse de qualité des composants « sourcés » dans des pays à bas coût de production. On constate les ravages de la tyrannie des acheteurs, doués de peu de connaissances techniques. Mais, à leur décharge, ces acheteurs sont eux-mêmes tyrannisés par leur direction pour tenir des objectifs de marge, afin d’afficher des résultats financiers flatteurs et de distribuer des bénéfices pour faire monter les cours de Bourse de l’entreprise. Où l’on voit que la notion de « création de valeur pour l’actionnaire » est destructrice de l’entreprise et, par voie de conséquences, d’emplois.
Troisième raison, la course au renouvellement précipité des modèles provoque une pression sur les ingénieurs pour court-circuiter des procédures Qualité (PPAP, AMDEC, etc…) dans le développement et la mise en production de nouveaux produits. Cette course réduit, théoriquement du moins, le coût de ces développements, mais provoque en réalité des surcoûts économiques : rappels massifs de véhicules ; perte d’image de la marque ; etc… Chez Peugeot, c’est à cause de cette logique, poussée à son paroxysme, que le « génial » PDG Carlos Tavares a perdu son poste le 1er décembre dernier.
Que retenir de ce désastre ? Les causes premières en sont techniques. Mais les causes ultimes sont économiques, c’est la course au profit court-terme en faveur de l’actionnaire et, plus profondément, politiques avec le découplage entre une identité de marque ancrée dans une image nationale et une praxis industrielle mondialisée. À l’inverse, la qualité et l’image de marque, et donc le chiffre d’affaires à long terme, passent par la proximité. À bon travail, travail local.
En sus des problèmes techniques, le système se trouve confronté à ses limites économiques et financières globales, la dette. Au sein de la fonction publique, la multiplication des strates administratives et des boulots à la con est une manière « d’habiller » les chiffres de la nation. La définition du PIB inclut le « chiffre d’affaires » de l’État à son coût de production, c’est-à-dire inclut les rémunérations des employés de l’État. Il convient d’y ajouter les émoluments des personnels associatifs, car la majorité des associations est totalement ou partiellement subventionnée par l’État, et donc par l’impôt et/ou par la dette. Les salariés des associations subventionnées constituent une quatrième fonction publique, illégale car le droit ne connaît que trois fonctions publiques, d’État, territoriale, hospitalière.
À tout cela s’ajoutent les dépenses et frais de fonctionnement des comités, commissions, Hautes Autorités et autres, dénoncés par le dernier Forum de la Dissidence ou le contre-budget 2025 présenté à l’Assemblée Nationale par le Rassemblement National. En réalité, pour mesurer l’efficacité économique de la société, il faudrait au moins réduire le calcul du PIB, le ratio déficit public/ PIB et le ratio dette publique/PIB au seul chiffre d’affaires du PIB marchand.
Dans ces conditions, le PIB est de moins de 2 200 milliards au lieu de 3 200. Le déficit de l’État n’est pas de 6 % mais de 9 %, au minimum. La dette publique est au moins de 150 % au lieu de 115 %. C’est une impasse économique car, encore une fois, c’est des deux premiers secteurs (agriculture, pêche, mines, industrie et construction) et des services rendus aux entreprises de ces deux secteurs que sort la valeur ajoutée. Dans les années 80/90, l’agriculture représentait 5 % du PIB, actuellement c’est moins de 1 %. C’est le résultat d’une volonté politique de sacrifier l’agriculture et les agriculteurs à une société de services ouverte sur le monde. Les outils du massacre agricole s’appellent normes, jachères et tyrannie bureaucratique des rentiers du système.
Remettre l’utilité et la souveraineté au cœur du système
Notre avenir économique est compromis. Un redressement passerait d’abord par une remise en cause du périmètre et des modes de fonctionnement de l’État. Une dimension politique est indispensable, dans un programme de chasse à la rente. La nouvelle lutte des classes est une réalité. Le monde a changé depuis l’époque de Karl Marx mais la rente existe toujours. Les rentiers ne sont plus, ou plus seulement, les détenteurs du capital. S’y ajoutent les rentiers de l’industrie financière (ce qui n’est pas la même chose que le capital) qui détournent le capital disponible de l’économie réelle vers l’économie virtuelle, tous les autres rentiers qui prolifèrent dans l’économie privée et l’État, les créateurs et contrôleurs de normes, les communicants dont le métier est de promouvoir les produits à la con, etc…
Ce sont les dirigeants français qui ont désindustrialisé la France, réduit l’autonomie agricole du pays, appauvri les producteurs. Ce n’est pas une loi de nature. Ce que l’homme a fait, l’homme peut le défaire et l’action politique reste un levier à privilégier.
Des actions sont possibles, de l’instauration de la taxe Tobin aux taux différentiels de TVA, en passant par la subvention à la recherche et au développement sur les solutions alternatives en matière d’énergie. Le principe de ces actions est connu depuis des siècles, de l’encouragement à l’industrie de la tapisserie par Colbert à la promotion par Napoléon du sucre de betterave pour remplacer le sucre de canne. On notera sur ce dernier exemple que l’action de l’État napoléonien ne visait pas à priver le consommateur, mais à développer des solutions alternatives, à travers l’innovation technique, dont on sait qu’il est un moteur de l’économie capitaliste vertueuse.
Cette action politique suppose une mutation culturelle et une remise en cause de tout ce qui est bullshit. Il faut remettre au cœur du choix économique et de l’acte d’achat la notion d’utilité. Ce qui importe n’est pas le sucre de canne, c’est la fonction gustative de l’édulcorant. Pendant l’épidémie de COVID 19, l’approvisionnement en puces a été profondément perturbé. Certains véhicules ont été livrés avec des compteurs de vitesse analogiques au lieu de compteurs numériques… Cette modification empêche-telle le conducteur de contrôler sa vitesse et la voiture de remplir sa fonction ? La sobriété technologique était à l’origine de l’émergence, par exemple, de la marque Dacia dans les années 1990. Les pièces étaient des produits « mûrs », parfaitement maîtrisés en production, avec un taux de produits défectueux quasi-nul, des outils de production amortis financièrement, souvent hérités de la R 16. C’est un exemple à suivre dans tous les domaines. Encore faut-il persuader nos contemporains que ce qu’il faut, c’est que le produit remplisse avant tout sa fonction. C’est la base même du concept de sobriété et nous sommes les seuls vrais défenseurs de l’économie durable.
Donc nos mots d’ordre sont : retour au réel, à ce qui remplit la fonction. Chasse au bullshit, qu’il soit job ou product. Utilité, sobriété, souveraineté ; relocalisation, proximité entre la production et la consommation. Durabilité. Ce n’est pas la décroissance mais une réorientation, car la décroissance se définit sur un axe linéaire orienté (plus/moins). Ce à quoi nous aspirons n’est pas un appauvrissement mais un changement de direction, vers un autre destin.
Remettre la notion de travail productif au cœur du débat politique, social et géopolitique, est donc un impératif. Bien entendu, il ne sera pas question de viser à une utopie autarcique au niveau d’une nation comme la France, pauvre en certaines ressources, et l’on ne vise pas à faire pousser du café en Moselle. En revanche, on est au cœur de ce que pourrait être demain une économie française et, pourquoi pas, européenne, affranchie de ses dépendances les plus criantes.
Lionel Roudouin
Pour aller plus loin
- Penser le travail de demain, actes du colloque 2025 de l’Institut Iliade, 114 pages, 10 euros
- Travail. Cahier d’études pour une pensée européenne n°2, 388 pages, 28 euros
À propos de l’intervenant
Lionel Rondouin, ancien élève de l’École Normale Supérieure (rue d’Ulm, Lettres), a fait carrière dans l’Armée de terre, au sein des parachutistes des Troupes de Marine, puis dans l’industrie. Il a enseigné dans diverses écoles de management ou d’ingénieurs. Aujourd’hui, il enseigne l’anglais dans un collège hors-contrat, à titre bénévole.