La cheminée, l’âme de la maison. Par Jean-Michel Diard
Le Père Noël y est dit-on passé, il y a quelques jours, et, avec les premiers froids, elle a repris la place qu’elle n’aurait jamais dû quitter.
De nouveau, nous sommes fascinés par la danse des flammes, le chant des bûches et cette odeur si particulière qui imprègne les vêtements, qu’elle vienne du bois de pommier, de chêne, de pin ou des vieux ceps de vigne.
La cheminée aura connu une longue et glorieuse carrière. Il n’y a pas si longtemps (moins de deux siècles !), elle offrait encore chaleur et nourriture à tout un continent. Des colossales cheminées seigneuriales – où un bœuf entier pouvait rôtir à la broche – aux âtres paysans où la marmite murmurait en permanence, accrochée à la crémaillère, elle était l’âme de la maison. C’était autour d’elle que se tenaient les veillées et que se réglaient maints conflits familiaux.
Puis, il n’y a finalement pas si longtemps, nos aïeux en ont eu assez de griller par devant et d’être frigorifiés par derrière. Avec la révolution industrielle sont arrivés le charbon de terre et surtout de nouvelles façons de se chauffer, plus efficaces et plus économiques. Le calorifère et le chauffage central se sont introduits dans les habitations aristocratiques et bourgeoises, tandis que, dans les fermes et les maisons de village, le poêle faisait une entrée en force.
Car si les campagnes furent les dernières à l’abandonner, elles ne furent pas les moins féroces à l’égard de la pauvre cheminée. Délaissée, elle y fut l’objet des pires outrages. On y a voulu à toute force oublier ce vestige d’un temps honni où la vie était décidément trop dure, le temps d’avant la modernité, d’avant la radio et l’automobile. La cheminée a été transformée en vulgaire placard, en réserve à charbon, voire carrément démolie. Offense suprême, son conduit a subi l’introduction du tuyau du poêle, quand ce n’était pas celle du fil de l’antenne de télévision. On l’a rejetée comme on a rejeté les vêtements traditionnels, le patois ou le latin à la messe, sous prétexte de progrès et de modernité.
Faire de chez-soi une véritable cité en miniature
Il faut rendre cette justice aux « néo-ruraux » d’avoir mis fin à la catastrophe. Ces nouveaux venus à la campagne, appelés « rurbains » par les sociologues, ont su rendre vie à la belle au feu dormant. C’est souvent à eux que l’on doit la remise en état du vieux foyer devenu parfois un peu trop neuf. Eux les premiers ont redécouvert le plaisir des flambées de jadis, à leur façon bien sûr. On nous parle alors de « qualité de vie » sans trop préciser d’ailleurs ce qu’on met dans cette curieuse expression. Nostalgie? Ce serait trop simple. Si, aujourd’hui, la cheminée a retrouvé droit de cité y compris dans les constructions neuves, c’est qu’elle répond à un obscur et vague besoin, qui ne répond à rien d’utilitaire puisque le foyer n’est plus que rarement la source principale de chaleur et que l’on n’y cuit plus nos aliments.
D’abord, c’est autour du feu de cheminée que se rassemble la famille, ou ce qui aujourd’hui en tient lieu. On se rassemble devant la cheminée, pas devant le radiateur, ni même devant ce substitut disgracieux qu’est le foyer fermé (l’insert).
Alors que les structures traditionnelles sont mises en cause et même violemment combattues, il y a cette recherche lancinante de la communauté perdue, d’une identité qui s’effiloche implacablement. La cheminée est un refuge, le rappel de ce qui nous relie au passé. Elle rend visible le lien mystérieux qui nous rattache à ce Moyen Age où elle naquit après la disparition de l’hypocauste romain.
Surtout, la cheminée, c’est le foyer, et pas seulement au sens strict du mot. C’est elle qui transforme un abri ou un refuge en véritable chez-soi. Image du soleil central de la cité (comme l’était à Rome le feu perpétuel des vestales), elle fait de notre habitation une véritable cité en miniature, une cité où les vivants conversent avec ceux d’avant, ceux qui ont construit, vécu, peiné ou ri dans les mêmes murs. La coutume de la pendaison de crémaillère n’est que le lointain écho de tout cela.
Comme si nous n’arrivions pas à oublier que, grâce à la cheminée, notre maison n’est au bout du compte qu’une reproduction, à nos mesures, du cosmos.
Jean-Michel Diard
Article publié initialement dans l’hebdomadaire Minute, repris et mis en ligne par novopress.info le 28/12/2011.