L’importance des rites saisonniers : fêter le passage automnal
À l’heure de l’équinoxe, Mabon nous rappelle que chaque saison de l’âme a besoin de ses rites. Traverser l’ombre, accueillir la lumière, c’est renouer avec une mémoire qui nous précède et nous soutient.
Psychologue travaillant dans une approche identitaire et enracinée, Axelle Simpère est convaincue que les fêtes et les rites saisonniers ne sont pas de simples survivances folkloriques, mais des médiations symboliques essentielles à la santé psychique et collective. À l’heure de l’équinoxe d’automne, que certaines traditions nomment Mabon, elle ressent plus que jamais la nécessité de ces passages rituels qui nous réaccordent au rythme profond de la nature, nous relient à la mémoire des anciens et accompagnent le mouvement secret de l’âme.
Poésie des passages
Septembre est le second mai de l’année, le mai d’automne : quand le printemps dévoile ses beaux jours par la danse pudique de ses nymphes, septembre, lui, porte en son sein la douceur dorée des journées rapetissant. Le jardin, encore chaud de l’été, pressent la venue de l’ombre. Un rien – une feuille qui se recroqueville, une note effacée sous le chant du merle – suffit à révéler le basculement subtil des saisons. Alors que les rayons du soleil font encore virevolter sous nos yeux les poussières des fées dispersées au printemps, dans le creux des vallées, le brame du cerf porte en lui l’annonce du repli et bientôt, les jours froids aux feux de cheminée crépitants.
Il y a dans ce mois de l’année une vérité que notre psychisme devine, même lorsqu’il s’imagine détaché de la nature : rien ne demeure immobile. La lumière s’amenuise, la chaleur se retire, les récoltes s’achèvent, sans que cela ne soit perte, mais passage. La vie humaine, tout comme la course des saisons, est rythmée par des seuils nécessitant de s’abandonner à la transformation ; or, sans symboles pour les accompagner, ces passages nous laissent nus, vulnérables, et exposés à l’angoisse du vide.
La fonction du rite
Le rôle des rites et des fêtes consiste précisément à offrir des formes stables pour traverser l’instabilité de l’existence. Ils disent ce que nos âmes éprouvent mais ne savent nommer, donnant à l’inconnu une figure, à la peur un visage, à la mutation une cérémonie qui en atténue la violence ; et lorsque ces repères disparaissent, l’homme se retrouve comme un exilé dans sa propre vie, car il a perdu les chemins qui mènent des matins aux crépuscules, des commencements aux fins.
Dans les traditions néo-païennes contemporaines, l’équinoxe d’automne est souvent appelé Mabon, un nom récent inspiré de la mythologie galloise (le dieu Mabon ap Modron). Mais dans les sociétés anciennes, cette période portait d’autres appellations enracinées et fortement symboliques. En Pays de Galles, elle était connue sous le nom d’Alban Elfed, la « lumière de l’automne », qui marquait l’équilibre des forces cosmiques. En Irlande, on célébrait Meán Fómhair, la « moitié de l’automne », fête des récoltes où l’on rendait grâce à la terre pour ses dons. Dans le monde nordique, on accomplissait le Haustblót (« sacrifice d’automne ») ou les Vetrnætr (« nuits d’hiver »), moments de transition où l’on honorait les dieux et les ancêtres pour obtenir leur protection durant la saison obscure. À Rome, les Cerealia ou les Hala étaient consacrées à Cérès, déesse des moissons, à travers des processions et des jeux, soulignant que la prospérité des hommes dépendait du cycle de la terre. Enfin, en Grèce, les fameux mystères d’Éleusis, centrés sur le mythe de Déméter et Perséphone, rejouaient chaque automne le départ de la fille vers les Enfers : image de l’ensevelissement des semences, de la fin des récoltes et de la promesse d’un retour printanier.
Ces fêtes se situent toutes dans un même moment charnière de l’année : après l’abondance des moissons d’août (que célébraient par exemple Lughnasadh chez les Celtes ou les Consualia à Rome), mais avant la grande fête des morts et du passage dans la saison sombre (la Samain pour les Celtes, la Toussaint dans le monde chrétien). L’équinoxe apparaît ainsi comme une « station intermédiaire », un seuil où la lumière et l’obscurité sont égales, et où la communauté est appelée à reconnaître que la prospérité estivale s’achève et qu’il est temps d’engranger les fruits et de se préparer à la traversée des ténèbres hivernales.
L’équinoxe reflète nos propres oscillations intérieures entre clarté et obscurité, entre ce que nous acceptons de montrer et ce que nous refoulons. Reconnaître cet équilibre, l’honorer par un rite, n’est autre qu’accueillir la totalité de l’expérience humaine, y compris ses aspects sombres, au lieu de s’acharner à n’embrasser que la lumière.
Figures initiatiques
Dans les mythes et les contes, ce moment du passage est souvent incarné par un départ discret, presque secret. Ce n’est pas un hasard si, chez Tolkien, Frodo Baggins fête son anniversaire le 22 septembre : la date de l’équinoxe marque pour lui le seuil où la quiétude de la Comté bascule vers l’inconnu du voyage. Dans ce récit, l’ordinaire et le merveilleux se rejoignent : une fête d’anniversaire se mue en départ initiatique. Frodo quitte l’abondance rassurante pour affronter l’ombre — exactement comme nos équinoxes nous signifient que la lumière ne dure pas, et que l’âme doit accepter de descendre dans ses propres ténèbres pour s’y métamorphoser.
Mais cette logique initiatique ne lui appartient pas seul. Déjà, dans la Grèce ancienne, Perséphone quittait le monde lumineux pour descendre aux enfers, annonçant l’entrée dans l’automne et l’intégration de l’ombre. Elle reviendrait au printemps, rappelant à chacun que la mort n’est jamais qu’une étape dans le grand cycle de la vie. Dans ces images antiques, l’âme humaine trouve un miroir de ses propres passages : accéder à l’obscurité pour mieux renaître.
Plus tard, les récits arthuriens reprendront le même schéma : chaque chevalier ne peut partir en quête qu’après un moment de fête partagée autour de la Table Ronde. Le rite fonde la quête, le repas sacré donne la force d’affronter la nuit du monde, et ce lien entre communauté et aventure intérieure nous dit que sans enracinement, la traversée initiatique n’est qu’une errance stérile.
Même les contes de notre enfance portent cette sagesse voilée. La Belle au bois dormant s’endort, comme la nature s’endort à l’automne, et ne se réveille qu’avec le retour d’une lumière nouvelle. À travers elle, c’est l’âme elle-même qui apprend à traverser l’hiver, à supporter l’attente et la nuit, pour retrouver enfin la clarté du jour.
Ce pourrait n’être que littérature ; mais en réalité, ces figures nous parlent parce qu’elles expriment des archétypes enracinés dans l’expérience humaine. Chaque vie connaît ses équinoxes avec des moments d’équilibre précaire où tout peut basculer, où la plénitude de l’été intérieur se retire pour laisser place aux épreuves de l’hiver. Quand l’homme moderne voit un malheur, nos traditions y reconnaissent une initiation, et l’ombre devient alors une étape nécessitant d’être traversée pour que l’âme atteigne un équilibre plus vrai.
Mircea Eliade a montré que les fêtes traditionnelles ne sont jamais de simples commémorations mais ont pour fonction de réactualiser un mythe, de plonger la communauté dans un temps sacré qui régénère le sens de l’existence. Et Dominique Venner, dans son Cœur rebelle, insistait sur l’importance de renouer avec cette temporalité héroïque, où l’homme se reconnaît héritier d’un vaste cycle. Or, ce que nous appelons aujourd’hui santé psychique ne peut être détaché de cette mémoire longue : un être privé de rites est condamné à errer dans un présent vide, sans repères pour affronter ses propres épreuves.
L’équinoxe d’automne nous parle donc à deux niveaux : celui de la nature, qui s’incline vers l’hiver, et celui de l’âme, qui est appelée à accueillir l’ombre. C’est pourquoi Mabon, comme Frodo au seuil de son voyage, est ce rappel précieux qu’il faut parfois quitter une forme de plénitude pour consentir à l’épreuve et accepter le passage. Mais si ce passage est célébré, ritualisé, inscrit dans un horizon symbolique, alors il ne devient pas perte mais transformation.
Du bout des nuits, une étoile me regarde :
Sa vie éteinte et pleine de clarté chante
Le tremblant secret de ces matins qui tardent,
Tirés par les boucles du soleil, hésitantes.Cet automne, dont l’ocre silence s’étend
En réponse aux milliers d’appels criés au vent,
Recueille en son sein les doux souhaits du printemps,
Que chaque être en ce monde formule en rêvant.Une vie passe : tout comme un rire d’enfant
Éclatant parmi les beautés des cieux changeants,
Elle vole un peu d’éternité en chaque instant.Je cherche dans le noir de ma plume, imparfait,
La quintessence rugueuse de ma vie — mais
Je suis seule au monde et mon âme disparaît.
Une étoile morte éclaire encore tandis qu’un automne recueille les vœux du printemps : la poésie dit parfois ce que les rites accomplissent – donner forme et durée à ce qui nous traverse, relier le fini à l’infini, comme une étoile qui continue de luire alors même que sa source s’est éteinte.
L’homme moderne sans rites
Nos existences, lorsqu’elles sont dépouillées de rites, ressemblent à ces campagnes uniformisées par l’agriculture industrielle : certes productives, mais dévastées dans leur profondeur. Les rites étant les haies, les sources, les chemins creux de l’âme, structurant l’espace et le temps, offrant des abris et des respirations, lorsque ces éléments disparaissent, il ne reste plus qu’un désert aride où l’âme se fatigue et l’esprit se dessèche. Or, comme l’écrivait Christiane Singer : « Dans notre monde qui se dessèche, si nous ne voulons pas mourir de soif, il nous faudra devenir source. » Les rites sont précisément cela : des sources jaillissant dans les déserts de l’existence, des lieux où l’on peut se désaltérer à une eau partagée. En arrière-plan se tiennent ce que feu Carlo Moïso appelait les quatre I incontournables de l’existence : l’Inéluctabilité de la mort, l’Injustice de la vie, l’Imprévisibilité du futur et l’Inadéquation de l’être humain. Toute notre vie se déroule entre ces quatre bornes indépassables, que nous cherchons incessamment à fuir ou à combattre, tout en sachant qu’elles ne peuvent être abolies. Le rôle du rite n’est pas de les supprimer, mais de nous apprendre à les intégrer, à les apprivoiser, en leur donnant un visage symbolique et une place dans le cycle. Là où, sans rite, elles surgissent comme des menaces brutes et déstructurantes, le rite vient les transformer en étapes fécondes du devenir humain.
Les fêtes saisonnières, en particulier, offrent un cadre collectif à cette transformation, en enseignant à accepter la finitude et à se réjouir de l’abondance sans crainte du lendemain, faisant ainsi de chaque passage une fête partagée. Dans une société sans fêtes véritables, la mort est taboue, la vieillesse honteuse et cachée, et les séparations insurmontables ; mais là où la communauté se rassemble pour l’équinoxe, pour la moisson, pour le solstice, chacun se sent porté par un mouvement transcendant ses angoisses personnelles.
On peut mesurer la pertinence clinique de ces fêtes à travers ce qu’elles éveillent, comme la gratitude, qui n’est pas un simple sentiment moral mais une disposition psychique allégeant l’angoisse et ouvrant l’âme à la continuité. En célébrant Mabon, on remercie la terre pour ses dons, et l’on reconnait que la profusion n’est pas acquise mais reçue. Cet acte de reconnaissance, vécu collectivement, permet d’inscrire la psyché dans une logique de don et de réciprocité, bien différente de l’avidité consumériste actuelle. La gratitude, à ce titre, est alors l’antidote à la dépression moderne, née d’un vide où rien ne suffit jamais.
Ces fêtes mettent ainsi en scène l’équilibre fragile entre vie et mort, suggérant que la lumière décline mais qu’elle renaîtra, dans un cycle capital introduisant une perspective d’espérance. Là où l’homme moderne redoute l’ombre comme une fin définitive, l’homme enraciné la reconnait comme une étape d’un cycle.
Dominique Venner écrivait que la nature nous enseigne les formes de la durée. En clinique, on constate combien l’absence de durée détruit l’intériorité : l’individu se sent suspendu dans un présent perpétuel, hypertrophié, sans mémoire et sans avenir, livré à une instabilité chronique. Les rites, en inscrivant l’individu dans une temporalité cyclique, lui rendent alors une continuité intérieure, faisant de lui non pas un fragment isolé, mais une part de la longue mémoire de son peuple et de son monde.
On comprend alors que l’âme privée de rites se déracine. Errant comme un navire sans port, ballotée entre le vide consumériste et l’angoisse existentielle, elle cherche des substituts dans les fêtes commerciales standardisées, les divertissements éphémères ou la surabondance suffocante des fictions médiatiques — vainement, car ces simulacres ne comblent rien, n’offrent ni symboles, ni mémoire, ni transcendance, et laissent l’individu seul face à son angoisse, là où un rite authentique l’inscrit dans un corps collectif et un cosmos vivant.
C’est ce que Mircea Eliade appelait le drame de l’homme moderne : il vit dans un « temps profane », linéaire et sans épaisseur, alors que l’homme traditionnel habite un « temps sacré », renouvelé à chaque fête. Sur le plan de la santé de l’âme, cette distinction n’est pas abstraite : elle se traduit par une différence de santé psychique. Alors que dans le temps profane, tout est perte irréversible ; dans le temps sacré, chaque perte est promesse de renaissance.
Il est frappant de constater combien la littérature mythique, comme celle de Tolkien, nous rappelle encore cette vérité. Frodo, en quittant la Comté, n’abandonne pas seulement un foyer : il quitte le confort d’une vie sans rites véritables pour entrer dans une temporalité héroïque, faite d’épreuves et de régénérations. La fête d’anniversaire qui marque son départ est à la fois intime et cosmique car elle condense dans un geste simple ce que nos fêtes traditionnelles accomplissaient pour des communautés entières. Elle nous dit que, même aujourd’hui, l’âme a soif de rites qui l’arrachent au vide, pour l’inscrire dans l’aventure.
Ainsi, célébrer Mabon n’est pas nostalgie romantique mais nécessité psychique, dans la souvenance que l’âme humaine, pour demeurer vivante, doit s’accorder au rythme des saisons, honorer l’équilibre fragile de la lumière et de l’ombre, et reconnaître que l’existence se tisse d’épreuves et de régénérations. Alors que les sociétés modernes dissolvent tout dans un présent perpétuel, l’équinoxe d’automne souffle cette vérité éternelle que les rites sont nécessaires pour vivre, non pas pour simplement commémorer, mais pour demeurer pleinement humains.
Mabon comme source
On pourrait croire la disparition des rites définitive, et qu’il ne nous reste qu’à vivre dans un monde uniformisé, rythmé par les soldes, les campagnes publicitaires ou les grandes messes médiatiques. Cependant, cette vision est illusoire, car les rites ne sont pas seulement des coutumes héritées ; ils sont une nécessité anthropologique. Tant qu’il y aura des hommes, il y aura des rites. La question n’est donc pas de savoir si nous en avons besoin, mais lesquels nous choisissons : des rites enracinés, porteurs de mémoire et de beauté, ou bien des simulacres vides, conçus pour entretenir la consommation et la servitude.
La tâche qui s’impose à nous aujourd’hui est claire, en ce sens qu’elle consiste à retrouver des rites à la mesure de notre identité, de notre histoire et de notre lien au monde, non pour rejouer le passé, mais pour réinscrire nos existences dans la profondeur du temps et la continuité d’un peuple. Dans mon expérience thérapeutique, les patients qui retrouvent un fil de mémoire — que ce soit une histoire familiale, le souvenir d’une région, d’un lieu d’enfance, ou bien une fête ancestrale — s’apaisent et se fortifient. Le rite, en tant que répétition signifiante, offre précisément ce fil et rend l’être plus résistant face aux tempêtes contemporaines.
Cela peut commencer simplement. Allumer une flamme à l’équinoxe, servir des fruits de saison à la table familiale, prendre le temps d’une marche méditative en forêt pour accueillir l’automne, autant de gestes modestes mais porteurs de sens lorsqu’ils sont accomplis consciemment, en lien avec une communauté de proches. Le rite n’a pas besoin d’être grandiose pour être efficace, mais d’être incarné, et que ceux qui le vivent y croient et se laissent façonner par lui.
Dominique Venner rappelait que nous sommes responsables de ce que nous transmettons. Réactiver des rites enracinés n’est donc pas seulement un geste spirituel ou esthétique, mais un acte de transmission. Chaque fête, chaque célébration vécue ensemble, est une semence jetée dans le temps qui offre à nos enfants, au-delà du désert des villes, des centres commerciaux et de la vacuité des fêtes mondialisées, le trésor d’une mémoire vivante les protégeant intérieurement et les orientant.
Il est davantage question de faire résonner les rites anciens avec notre époque que de les imiter servilement. L’équilibre est délicat : trop d’archaïsme, et l’on tombe dans la reconstitution muséale ; trop de modernisme, et le rite perd son ancrage. L’art est de retrouver la forme symbolique, c’est-à-dire le geste qui, aujourd’hui encore, relie la psyché humaine au cycle du monde et à la communauté d’appartenance. Lorsque l’on offre le premier fruit du jardin, que l’on marche ensemble sur les sentiers aux heures entre chien et loup, lorsque l’on se tait pour recueillir les promesses du crépuscule, ou que notre regard s’incline naturellement pour remercier la terre en silence, ce sont autant de gestes simples et intelligibles qui s’adressent à une part universelle de l’âme, tout en prenant racine dans une terre, une saison, une histoire précise…
En termes cliniques, on pourrait dire que le rite agit comme une « médiation symbolique », en ce sens qu’il permet de transformer une expérience brute telle que la perte, la peur, la mort ou l’inconnu, en une expérience intégrable et supportable, et même féconde. Là où l’individu isolé risquerait l’effondrement, la communauté ritualisée permet la traversée. C’est pourquoi la résurgence des fêtes païennes, de Mabon au solstice, est une véritable réponse thérapeutique aux pathologies modernes de l’isolement, de l’anxiété et du déracinement.
Christiane Singer, encore, l’avait pressenti : si nous ne voulons pas mourir de soif dans ce monde qui se dessèche, nous devons devenir source. Le rite est une manière de devenir source ; source de mémoire, de gratitude, de lien, source où l’âme peut boire et où le collectif se ressoude.
Il est probable que les temps qui viennent ne feront qu’accroître le besoin de telles sources. Plus les sociétés se fragmentent, plus la quête de rites authentiques s’intensifie, ainsi qu’on l’observe dans le regain d’intérêt pour les traditions locales, les fêtes de terroir, les célébrations saisonnières. Il nous revient donc de les accompagner, de les vivifier, de leur redonner un contenu symbolique et identitaire, afin qu’elles ne soient pas de simples spectacles, mais de véritables matrices de vie intérieure.
En définitive, réactiver des rites enracinés consiste à guérir à la fois l’individu et le collectif, en octroyant à chacun une place dans une histoire transcendant sa vie personnelle, et à tous une mémoire partagée, en rappelant que nous ne sommes pas de simples consommateurs errants, mais les héritiers d’une lignée, les dépositaires d’une terre, les compagnons d’un cycle. Sans rites, nous errons ; avec eux, nous habitons le monde.
Du bout des nuits, une étoile nous regarde. Cette étoile, peut-être éteinte depuis des millénaires, continue pourtant de rayonner. Ainsi en est-il des rites : même lorsqu’ils paraissent abolis, leur lumière persiste, et l’âme humaine, instinctivement, se tourne vers elle. Mabon, fête de l’équinoxe, incarne cette acceptation du déclin de la lumière pour mieux espérer son retour, et c’est dans cette alternance et ce consentement au rythme du monde que la psyché peut trouver la paix.
Le voyage de Frodo, marqué par une fête d’anniversaire à la lisière de la lumière et de l’ombre, nous le dit à sa manière ; et l’on perçoit que ce n’est pas l’isolement qui rend fort, mais le compagnonnage, cette traversée partagée que nos existences réclament afin de restaurer notre rôle naturel d’héritiers.
À l’heure de Mabon, le choix nous est donc offert : laisser s’éteindre les étoiles du sens, ou allumer à notre tour les flammes rituelles qui éclaireront les longues nuits à venir.
Axelle Simpère
Bibliographie
- Georges Dumézil, Mythe et épopée 1. L’idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, coll. Bibliothèque des Sciences humaines, Gallimard, 1968.
- Mircea Eliade, Mythes, rêves et mystères, Gallimard, coll. Les Essais, 1957.
- Pierre Hadot, Exercices spirituels et philosophie antique, Études augustiniennes, 1981.
- Jean Haudry, La religion cosmique des Indo-Européens, Éditions Archè, 1987
- Carl Gustav Jung, L’Âme et le soi, renaissance et individuation, Albin Michel, coll. Le livre de poche, 1990.
- Christiane Singer, Du bon usage des crises ; Où cours-tu ? Ne sais-tu pas que le ciel est en toi ?, Albin Michel, 2001.
- J.R.R. Tolkien, The Lord of the Rings, Allen & Unwin, 1954-1955.
- Dominique Venner, Un samouraï d’Occident. Le bréviaire des insoumis, éditions Pierre-Guillaume de Roux, 2013.
- Dominique Venner, Histoire et tradition des Européens, Éditions du Rocher, 2011.
Illustration : L’Automne (1573), de Giuseppe Arcimboldo (détail). Coll. Musée du Louvre. Domaine public.