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Défendre l’Europe civilisationnelle, de David Engels

Dans cet essai, David Engels prône la défense et la continuation d’un patriotisme européen à rebours des tentations eurofédéralistes ou souverainistes. À cette fin, il analyse les différentes composantes de notre identité afin de décrire l’essence de notre civilisation.

Défendre l’Europe civilisationnelle, de David Engels

Historien belge et spécialiste de l’Antiquité, David Engels s’est fait connaître en 2013 avec la parution de son livre Le Déclin. Dans cet essai, David Engels défendait la thèse selon laquelle l’Europe, à l’instar de l’antique République romaine, est désormais « sur le chemin de l’Empire ». Depuis lors, il s’efforce de définir les contours d’un conservatisme européen moderne et, en mai 2024, il publie un essai synthétisant ses vues sur la question : Défendre l’Europe civilisationnelle, sous-titré Petit traité d’hespérialisme.

Le thème européen a longtemps opposé les tenants d’une gauche eurofédéraliste et ceux d’une droite souverainiste. Or, pour David Engels, l’un et l’autre camp font fausse route : les premiers parce qu’ils souhaitent remplacer l’identité traditionnelle de l’Europe par « un mondialisme désincarné, matérialiste et hédoniste » ; les seconds parce que « le retour à une trentaine d’États-nations risque de transformer le continent en échiquier des intérêts impériaux des autres grandes puissances du monde multipolaire. » Il est donc grand temps, selon lui, d’embrasser fièrement la troisième voie d’un patriotisme européen, qui ne se baserait pas sur le refus des diverses identités et traditions du continent, mais sur leur défense et leur continuation. Or, tel est ce que David Engels nomme l’hespérialisme.

À partir d’un constat sans concession de « la grande confusion » qui affecte l’Europe, menaçant de détruire à la fois le sens de la transcendance, l’intégrité de l’homme, la famille, les nations, la nature et même la beauté du monde, David Engels nous fait voir les bases sur lesquelles il est permis d’espérer un revirement de situation. À cette fin, l’auteur nous livre plusieurs réflexions passionnantes sur l’identité de l’Europe. Car l’Europe n’a pas besoin d’une nouvelle identité, imaginée par des technocrates et qui ne reposerait que sur des principes universalistes abstraits, « elle en a déjà une ». Et on peut dire que l’identité de la civilisation européenne est même le préalable des différentes nations qui la composent.

Cette identité s’enracine dans différents terreaux. On pense bien sûr d’abord au monde gréco-romain dont l’Europe a tiré, par exemple, la pensée philosophique et juridique, mais aussi « la conception d’un ordre mondial romain impérial ». Mais la civilisation européenne plonge aussi une de ses racines dans le Proche-Orient, rappelle D. Engels, dont l’esprit a été intégré au noyau de la pensée européenne par la médiation des écrits de l’Ancien Testament. Parmi les éléments qui influenceront l’esprit de l’homme européen pendant des siècles, on peut penser à l’idée d’une élection divine du souverain ou à celle de l’histoire politique d’un peuple comme reflet direct de sa conduite morale.

Une troisième racine est à chercher ensuite dans le christianisme lui-même, la religion la plus répandue en Europe depuis la fin de l’Antiquité, et qui est devenu, pendant des siècles, le véritable porteur de tous les biens essentiels de la civilisation. Et enfin, l’identité européenne plonge ses racines dans les différentes traditions ethniques des peuples européens, comme les Celtes, les Germains et les Slaves, mais aussi les Basques, les Baltes, les Finnois ou les Hongrois par exemple, dont les visions du monde remontent, elles, à leurs ancêtres Indo-Européens.

Pour autant, la civilisation européenne est plus que la somme de ces différents éléments. À partir de ces derniers, elle en a fait quelque chose de totalement nouveau. Et cette nouveauté, c’est l’esprit faustien. À l’instar d’Oswald Spengler, David Engels fait en effet partie de ces auteurs qui refusent de voir une continuité culturelle et identitaire entre l’Antiquité et le Moyen Âge. À ses yeux, c’est une civilisation parfaitement nouvelle et originaire qui a pris naissance en Europe occidentale à la fin du premier millénaire, qui s’est manifestée concrètement par le couronnement impérial de Charlemagne. La translatio imperii de Rome vers le nord ne serait pas une simple reprise de l’ancienne tradition impériale romaine sous une forme christianisée, mais l’acte de naissance de la civilisation faustienne, une civilisation dont l’essence est la quête effrénée d’absolu, le désir de dépasser l’horizon, symbolisé par la devise des Habsbourg : Plus ultra

Au terme d’une réflexion stimulante sur l’histoire de l’Europe conçue sous un mode ternaire, David Engels esquisse les contours du combat qu’il nous faudra livrer pour la défense de notre civilisation. En effet, à la manière de Hegel, l’auteur nous présente une vision dialectique de l’histoire européenne : le Moyen Âge chrétien, fondé sur l’unité de la croyance en Dieu et sur l’unité politique du Sacrum Imperium, constitue la première phase « thétique » de notre histoire. Lui succède une seconde phase « antithétique », dans laquelle l’unité religieuse s’effondre suite à la Réforme et l’unité politique de l’Empire se disloque au profit de multiples entités nationales.

Il ne fait pas de doute, selon D. Engels, que notre présent représente l’apogée de ce mouvement antithétique. Mais, « comme dans le cas de la fin du Moyen Âge, des forces contraires de plus en plus puissantes se préparent aujourd’hui. » Car notre époque annonce la phase de « synthèse » que doit connaître toute civilisation. En historien de l’Antiquité, l’auteur nous rappelle en effet l’exemple de la réforme augustéenne, instaurant le Principat. Comme à la fin de la République romaine, l’enjeu de notre temps serait d’œuvrer en vue d’un retour rationnel à la tradition.

Antoine Dresse
15/08/2024

David Engels, Défendre l’Europe civilisationnelle, Paris, Salvator, 2024, 156 pages.