Sous les masques d’Halloween, les racines celtiques de la Samain
Chaque année, les débats reviennent autour d’Halloween : fête commerciale, importation américaine, célébration « diabolique ». Pourtant, derrière la caricature de cette fête moderne subsiste la mémoire d’une tradition européenne immémoriale : celle de la Samain, grande fête celtique du passage de la saison claire à la saison sombre.
Importée par les émigrés irlandais en Amérique, puis revenue en Europe sous une forme dénaturée, cette célébration n’a rien de démoniaque. Elle fut, pour les peuples celtiques, le moment sacré où s’achevait l’année ancienne et où s’ouvrait la nouvelle, lorsque, dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, le monde des vivants et celui des morts se rejoignaient un instant dans le même souffle cosmique de mort et de renaissance.
La Samain est ainsi une fête du passage :
- temporelle, car elle ouvre un nouveau cycle annuel ;
- saisonnière, car elle célèbre le retour de la nuit et le repos de la nature ;
- mystique, enfin, car elle révèle l’unité profonde des mondes visibles et invisibles.
Loin d’être une survivance folklorique, la Samain demeure une clé de la vision européenne du monde : un moment pour honorer la mort, afin de mieux célébrer la vie.
La fête du passage
Parmi les grandes fêtes du monde celte – Imbolc, Beltaine, Lugnasad et Samain -, la Samain occupe une place singulière. Elle n’appartient ni à l’année qui s’achève, ni à celle qui commence : elle se tient « hors du temps ». Célébrée dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, elle marque le passage de la saison claire à la saison sombre, la fin du cycle pastoral et guerrier, l’entrée dans la période d’intériorité et de gestation.
Les Celtes voyaient en cette date un moment de dissolution et de renouveau. Le feu du foyer s’éteignait, avant d’être rallumé à partir de celui des druides : image de la mort nécessaire avant toute renaissance. Comme le rappelle Alain de Benoist, « la Samain n’est pas une fête de la mort, mais une célébration du recommencement ».
Les fruits de la Samain : pommes et noix
À la Samain, la terre offre ses derniers fruits : pommes, noix, noisettes et châtaignes. Ils sont à la fois provisions pour l’hiver et offrandes aux ancêtres, signes d’abondance avant le repos de la nature.
La pomme, fruit de l’immortalité dans les traditions celtiques, symbolise l’Autre Monde et la renaissance. Jetée sur l’eau ou partagée au feu, elle relie les vivants aux disparus. Les fruits à coque, eux, évoquent la sagesse cachée sous la coque : la vie contenue dans le germe, prête à renaître au printemps.
Le temps suspendu, entre deux mondes
À la Samain, selon la tradition, le voile entre les vivants et les morts s’amincit. Les trépassés reviennent visiter leurs descendants, tandis que les esprits errants et les créatures fantastiques se manifestent. Dans cette nuit de l’entre-deux, le monde visible et l’Autre Monde communiquent, et les frontières habituelles s’effacent.
Quoique un peu redoutée, cette présence des morts est honorée. Les ancêtres ne sont pas des spectres : ils demeurent dans la mémoire, dans le sang, dans la continuité de la lignée. La mort, ici, ne marque pas la rupture, mais le lien. Les anciens savaient que « le mort craint l’oubli de ses descendants » ; aussi veillait-on à lui rendre hommage pour que le pont demeure entre les générations.
Cette conception de la continuité est au cœur de l’esprit européen. Elle s’oppose radicalement à l’oubli moderne, qui isole l’individu de sa filiation. Célébrer la Samain, c’est donc résister à l’amnésie et renouer le fil rompu de la transmission.
Les grands feux
Dans la tradition celtique, à l’approche du changement d’année, le bois est rassemblé pour une grande fête communautaire. Sur les hauteurs, on allume alors de vastes brasiers, destinés à chasser les ténèbres et les êtres qui les peuplent. Ces feux de colline sont à la fois un rite de purification et un appel à la lumière : ils symbolisent la renaissance du monde au cœur même de la nuit. Autour d’eux, la communauté se rassemble, partage la chaleur, les chants et la mémoire, affirmant, face à la mort de la nature, la vitalité du feu humain.
L’exemple de la citrouille
Les légendes irlandaises évoquent ces nuits où les esprits traversent les mondes. La plus célèbre est celle de Jack à la lanterne (Jack-o’-Lantern) : un cordonnier rusé ayant trompé le Diable et condamné à errer entre les mondes, portant pour seule lumière une braise enfermée dans un navet creusé. Devenu plus tard citrouille sculptée, ce symbole orne les maisons pour désorienter l’âme errante et tenir à distance les esprits égarés.
Derrière la caricature commerciale d’Halloween se cache ainsi une intuition sacrée : celle d’un monde poreux, où le visible et l’invisible se frôlent dans la nuit du passage, rappelant à l’homme qu’il participe à un ordre plus vaste que lui, fait de cycles, de morts et de renaissances.
Honorer les ancêtres : le rite domestique
La Samain n’est pas seulement une cérémonie publique, c’est aussi et surtout une fête du foyer et de la lignée. On emmène les enfants sur les tombes familiales : on y dépose des fleurs, on allume une flamme. Dans les foyers on dresse un « autel des ancêtres », ce geste simple permet de rendre visible la continuité de la lignée : les enfants reçoivent parfois leur premier arbre généalogique, ou un autre symbole de passage.
La Toussaint, héritière de la Samain
La chrétienté, loin de faire table rase, a intégré une part de cet héritage. Au VIIᵉ siècle, la fête de la Toussaint était célébrée le dimanche suivant celui de la Pentecôte, avant d’être déplacée au 1er novembre par le pape. Ce choix n’est pas anodin : il reprend la date et le symbolisme de la Samain. La fête des morts du 2 novembre, instituée plus tard, parachève cette adaptation.
Ainsi, sous le vernis chrétien, persiste un fond païen ancien : l’honneur rendu aux morts, la mémoire des lignées et la confiance dans la renaissance du monde. La flamme du souvenir, passée des druides aux cierges des autels, continue d’éclairer depuis la nuit des temps.
Mourir et renaitre
La Samain n’est pas un folklore à reconstituer : c’est une pédagogie du cycle, une manière d’habiter le monde en conscience. Dans chaque flamme allumée, dans chaque nom d’aïeul prononcé, se rejoue l’alliance du visible et de l’invisible.
Fêter la Samain, c’est honorer le passé pour mieux fonder l’avenir. C’est apprendre à mourir un peu pour renaître chaque année. Et dans cette fidélité à la Terre et aux morts, l’homme européen retrouve la sagesse des saisons, qui sait que toute obscurité prépare une aurore.
Sources
- Alain de Benoist, Samain, traditions d’Europe, éditions Labyrinthe, 1996
- L’importance des rites saisonniers
- Samonios : bonne chair et banquet
Photo : De Bons Païens
