Institut Iliade

Polychromie blanche

La boussole artistique de Gabrielle Fouquet, auditrice de la promotion Homère : des rendez-vous culturels à ne pas manquer, proposés par le Libre Journal Vive la civilisation européenne ! sur Radio Courtoisie.

Polychromie blanche
Cette nouvelle « boussole artistique » de Gabrielle Fouquet a été diffusée lors du dernier Libre Journal de la civilisation européenne, sur Radio Courtoisie qui avait pour thème « Qui sont les Blancs ? ». Question simple en apparence, qui ne demandait ni un mot d’ordre ni une posture, mais un détour par la culture ; par les images et par ce que l’Europe a produit de symboles autour du blanc. C’est en suivant ce fil que ce texte a été écrit : pour tenter de comprendre ce que cette couleur – qui n’appartient à aucune teinte mais les contient toutes – a laissé dans notre manière de nous situer dans le monde. Pas pour donner une leçon, encore moins pour clore un débat, mais pour remettre un peu de contexte, d’épaisseur et de sens derrière un mot trop souvent tordu.

Je suis née blanche.

Ce n’est ni un drapeau, ni un stigmate, ni une excuse : c’est un fait.

Chez moi, on ne s’y attardait pas. On disait simplement :

« Nos privilèges nous obligent. »

Pas de mise en scène, pas de plainte : une responsabilité. Être blanc, ce n’est pas une fierté, mais un devoir – celui de se tenir à la hauteur de ce qu’on a reçu.

Le blanc, dans l’Europe où j’ai grandi, n’est pas une couleur. C’est une géographie intérieure.

Albion, la blanche ; la Bretagne, vêtue d’hermine ; et ces Alpes dont la lumière cisèle nos imaginaires depuis des siècles. Plus au nord : la Finlande de Pekka Halonen, à qui le Petit Palais consacre une exposition jusqu’au 22 février. Chez Halonen, le blanc n’est pas un climat : c’est une patrie. Une patrie silencieuse, suspendue, où la neige ne fige rien : elle laisse affleurer ce qui demeure quand tout le reste passe.

La neige, d’ailleurs, n’est jamais un simple décor dans notre civilisation. Elle est une direction. Une épreuve. Une ascèse.

C’est le cœur de La Madone, film d’altitude disponible à la demande sur la plateforme Uptrack, dédiée aux récits de montagne et de dépassement. Dans ce film, l’alpinisme n’est pas un sport : c’est une initiation, un rite. Gravir pour comprendre. Gravir pour s’affronter soi-même, ce peu que nous sommes et tout ce que nous portons. Gravir pour devenir.

Faire l’expérience de ce que l’esprit blanc a toujours cherché, en somme : la verticalité.

Sylvain Tesson, dans Blanc, le formule avec précision :

« La neige est une page blanche sur laquelle l’homme inscrit quelque chose de lui-même. »

Ce « quelque chose », c’est l’élan européen : aller plus haut que nécessaire, plus loin que raisonnable, simplement pour voir ce qu’il y a derrière la prochaine arête, et franchir in fine ce qui semblait infranchissable.

Dans l’art, le blanc joue une autre partition : il organise notre regard.

Pour Kandinsky, il « sonne comme un silence, un rien avant tout commencement. »

Un silence de l’aube, tendu vers ce qui va naître.

Les Demoiselles de Rochefort, dont la joyeuse version scénique illumine le théâtre du Lido jusqu’au 5 avril 2026 (juste à temps pour le colloque annuel de l’Institut Iliade la semaine suivante), en sont un exemple parfait.

Tout commence dans les pastels : rose, jaune, bleu… comme si la couleur était une coquetterie nécessaire avant le vrai.

Dans les ultimes mesures, masques et fards tombent.

Le blanc surgit : le blanc de Maxence et Delphine, enfin prêts à se rencontrer et se reconnaître ; le blanc de l’amour véritable ; le blanc du dépouillement sincère et nu.

Demy maîtrise ce langage chromatique comme une grammaire morale : il l’utilisera de nouveau à la fin de Peau d’Âne — à voir avec orchestre symphonique à la Philharmonie de Paris les 20 et 21 décembre — lorsque les royaumes rouge et bleu nouvellement unis n’arboreront plus que du blanc.

Ici, le blanc n’est pas l’innocence : il est la résolution. Ce qui reste quand tout le reste a été traversé.

Dans l’imaginaire européen, la blancheur porte un double héritage. Elle est pureté – celle des Madones, des héroïnes médiévales, d’Iseult aux Blanches Mains, dont le nom est déjà un visage. Et elle est lumière – celle qui sculpte les corps dans l’atelier des peintres, qui frissonne dans le marbre des statues. Même Michel Sardou, dans un registre plus direct, en a perçu l’ambivalence lorsqu’il chante :

« Cette fille aux yeux clairs et aux seins blancs… »

La blancheur y est à la fois désir et idéal, chair et symbole. Un code esthétique ancien qui ne décrit pas mais consacre.

Pour moi, le blanc est aussi une sensation. Une respiration. Une parenthèse dans le temps.

Il apaise sans affadir ; il dévoile sans brutalité. Le blanc met de l’ordre.

J’aime les cheveux blancs, non par douceur mais par franchise : ils ne trichent pas avec la lumière. Le blanc n’est pas tendre : il est loyal.

Alors, qui sont les Blancs ?

La question que vous posez, Julien Rochedy, n’est ni provocatrice, ni simple.

La réponse n’est pas seulement biologique, ni seulement géographique. Être Blanc, avec un B majuscule comme dans votre ouvrage, c’est effectivement appartenir à une lignée.

Mais c’est aussi porter une morale de la clarté, une manière d’être au monde, une inclination pour la netteté plutôt que le flou, pour l’effort plutôt que l’abandon, pour la verticalité plutôt que pour la dispersion.

Et puisque vous êtes avec nous ce soir, Julien, permettez-moi de vous soumettre simplement ma propre réponse.

Les Blancs ne sont pas ceux qui revendiquent leur blancheur. Les Blancs sont ceux qui acceptent ce qu’elle exige.

Vous écrivez :

« Tout commence par la lucidité. »

Vous avez raison. La lucidité n’accuse pas : elle éclaire. Et la clarté n’a rien d’une domination : c’est une ascèse. Une discipline intérieure.

La blanchité n’est ni un slogan, ni un remords. C’est une exigence de justesse.

Et peut-être est-ce cela, au fond, qui définit le mieux ce que nous sommes : être Blanc, ce n’est pas se raconter. C’est essayer, chaque jour, d’être digne de ce que l’on a reçu.

Gabrielle Fouquet
Radio Courtoisie, 24/11/2025

Références

Photo : Pekka Halonen, Vid vaken (1900), détail, coll. Galerie nationale de Finlande. Domaine public.