L’Europe à l’horizon
Ancien directeur du journal O Diabo, Duarte Branquinho a dynamisé durant plus de 15 ans divers cercles identitaires portugais, tels que Terra e Povo.
La leçon la plus importante que l’histoire européenne nous a apprise est qu’il est toujours possible de renaître. Pour renaître, il faut une volonté et des hommes qui l’incarnent, avec abnégation et sens du devoir. Il faut toujours un esprit tragique. C’est ce sentiment qui a conduit les Européens, depuis l’aube de notre civilisation, à réaliser l’impensable contre vents et marées.
Être Européen, aujourd’hui comme hier, c’est se sentir Européen. C’est incarner un maillon de la chaîne de la perpétuité. Aussi sombre que soit l’avenir proche, les Européens qui croient en leur grande patrie doivent être « des hommes debout parmi les ruines », comme le dirait Evola. Héritiers fidèles de leur histoire et de leur culture, mais animés d’une vision d’avenir. Il n’y a pas d’Europe sans Européens.
L’affirmation par la beauté
J’ai eu l’honneur de représenter le Portugal au deuxième colloque de l’Institut Iliade en 2015, consacré au thème « L’univers esthétique des Européens », et j’ai réfléchi au symbolisme de la tour de Belém en tant que haut lieu européen et à la manière dont ce vaisseau de pierre ancré à l’extrême ouest de l’Europe représente, entre autres, l’affirmation du pouvoir par la beauté et un instrument de mobilisation collective. Un exemple qui montre que ce n’est pas seulement par la politique ou l’idéologie que nous affirmons ce qu’il y a de plus important à défendre : notre identité.
La beauté est donc un horizon qui doit nous guider contre ceux qui veulent détruire une culture, une civilisation et, par conséquent, un peuple. Aujourd’hui plus que jamais, gardons à l’esprit les maximes de Dominique Venner : « La nature comme socle, l’excellence comme but, la beauté comme horizon. »
La fin de l’Europe ?
Nous savons que les périodes difficiles sont propices au déni. C’est peut-être la raison la plus forte pour laquelle il y a des Européens qui voient l’Europe comme quelque chose d’étranger ou, pire encore, comme un « ennemi ». La tentation souverainiste nous fait oublier que nos pays font partie de l’Europe, une communauté de destin de patries enracinées qui partagent un esprit ancien, qu’il ne faut pas confondre avec l’Union européenne, construction artificielle d’origine mercantile. Cependant, comme l’a affirmé Guillaume Faye, nous ne devons pas démolir l’UE et revenir aux États-nations. Selon lui, l’Union européenne est comme un avion dont nous devons être les pirates des airs et prendre les commandes. L’historien portugais João Ameal expliquait dans la préface de son Histoire de l’Europe de 1961 que l’ouvrage était « destiné à restituer en termes de véracité et de justice l’effort de notre peuple parmi les peuples européens », et il ajoutait que « l’Histoire de l’Europe ne peut être pleinement connue si l’on ne donne pas à la grande présence et à l’intervention considérable de l’homme portugais la place qu’elle mérite ». Face à la tempête actuelle, nous ne pouvons ignorer ce sentiment d’appartenance de tous les Européens, qui n’est évidemment pas incompatible avec leurs patries charnelles.
Les crises sont loin d’être une nouveauté dans l’histoire européenne. Elles en sont au contraire l’une des constantes. Face aux revers, le doute s’installe naturellement et d’innombrables auteurs et penseurs se sont remis en question au fil du temps. C’est le cas d’Ortega y Gasset, qui s’interroge : « Ce coucher de soleil apparent n’est-il pas la crise salvatrice qui permet à l’Europe de devenir vraiment l’Europe ? La décadence manifeste des nations européennes n’était-elle pas une nécessité inévitable pour qu’émerge un jour une communauté de peuples européens qui remplacerait la multiplicité de l’Europe par sa véritable unité ? » Des questions toujours d’actualité qui engendrent l’éternelle interrogation : après avoir assisté à la fin de l’Europe imaginaire, le temps sera-t-il enfin venu de réaliser l’Europe imaginée ?
Notre plus grande ressource
Un autre discours négatif que nous entendons aujourd’hui est celui du manque de ressources économiques de l’Europe. Il y a toujours ceux qui, comme dans un exercice d’histoire virtuelle, nous assurent que si nous avions du pétrole, ou toute autre richesse naturelle, tout irait bien. Tout d’abord, il n’est pas tout à fait vrai que l’Europe ne dispose pas de ces ressources. Elles ne sont sans doute pas abondantes, mais c’est peut-être l’une des vertus de ce continent.
En fait, les Européens disposent de la ressource la plus importante : eux-mêmes. Ce n’est pas par hasard qu’ils ont divisé le monde en vastes empires à perte de vue. C’est parce qu’ils ont su allier leur génie et leur créativité à une volonté et un courage qui leur ont permis de forger une civilisation qui reste aujourd’hui encore la référence mondiale. Les glorieuses découvertes portugaises en sont le meilleur exemple.
Rejetons les propositions de ceux qui veulent aujourd’hui trouver un exemple dans les impérialismes extérieurs, dans l’éblouissement de l’exotisme ou dans l’idée d’un marché mondial qui aurait aboli les frontières. Ce ne sont que des illusions. Ne restons pas les bras croisés à attendre une solution extérieure. Croyons en nous-mêmes.
Enivrés par la « démocratie » et la « mondialisation », les dirigeants de l’Union européenne se sont convaincus que le monde avait vraiment changé et ils se sont endormis au chant des sirènes de la « paix éternelle ». Ils s’étonnent aujourd’hui qu’il y ait encore des nations, qu’il y ait encore de la volonté, qu’il y ait encore des hommes prêts à se battre pour ce en quoi ils croient et que tout n’ait pas une explication purement économique.
L’histoire revient et l’avenir ouvre toutes sortes de possibilités. Mais le plus important dans cette affaire est de reconnaître, une fois pour toutes, que l’Europe est impuissante face à ces changements et bouleversements, parce qu’elle s’est laissée envoûter par le même discours. Le Vieux Continent n’était-il pas le « tube à essai » d’une société mondialisée ? Or l’expérience est en surchauffe et le verre est sur le point de se briser. Le temps est venu pour l’Europe de renaître et de reprendre sa place dans l’histoire.
Un regard portugais
Je voudrais rappeler un aspect « inconfortable » de la pensée de l’écrivain portugais Vergílio Ferreira, qui fait frémir le politiquement correct. Dans son essai Pensar (Penser), publié en 1992, il y a des passages prémonitoires sur l’Europe qui le préoccupait tant. Il s’interroge sur l’avenir de notre civilisation : « L’Europe sera-t-elle le trop-plein de l’Afrique ? L’égout de l’Asie ? Le déferlement islamiste dans notre vide religieux ? L’extension et la conversion de l’Amérique à l’utilitarisme et à la philosophie pragmatique ? » Et il se lamente avec une surprenante actualité : « Europe, Europe, mon malheur, mon désespoir. Tu es toujours la capitale du monde, parce que, même dans ta vieillesse, tu as les signes pour les autres de la façon dont ils devront vieillir. La Grèce brille dans les profondeurs du temps et de l’humiliation. Elle brille. La Grèce, toute l’Europe. Vous avez le virus de la contagion dans l’air que le monde entier respire. Que signifie la prétendue “crise” en dehors de la crise que vous êtes ? Si demain vous êtes submergés par les Noirs et les Jaunes et les ismaélites et les troupes informatiques, votre germe restera au fond des ténèbres et c’est de là que vous continuerez à éclairer. Europe, Europe bien-aimée, terre de ma condition. Je te salue dans ta maladie ou ton agonie. Et je te veux. Et je te veux. »
Duarte Branquinho
Ce texte est tiré du hors-série de la revue Livr’Arbitres, Actes du XIe colloque annuel de l’Institut Iliade – 2024, que vous pouvez retrouver dans notre boutique en ligne.