Des racines, de la peau et du sang
La boussole artistique de Gabrielle Fouquet, auditrice de la promotion Homère : des rendez-vous culturels à ne pas manquer, proposés par le Libre Journal Vive la civilisation européenne ! sur Radio Courtoisie.
Il n’y a rien d’impudique à exposer fièrement ses racines à l’air libre. Au contraire. Les racines sont comme la peau : visibles, tangibles, profondes. Même dissimulées sous la terre, on les devine. Tel le sang qui trace des sillons bleus à la surface de l’épiderme. Et ces sillons bleus, ces nœuds de bois et de sève « vivants, organiques », pour vous paraphraser Rémi Soulié, remplissent trois fonctions : ils témoignent de nos appartenances, biologiques et culturelles (baobab et mérovingiens sont tous deux des espèces endémiques) ; ils nous irriguent de vie, nous innervent ; et ce faisant, ils nous poussent vers le ciel, vers l’envol.
Madame ma Mère – à qui je sais que chaque auditeur ce soir présentera galamment ses hommages – répète souvent que le rôle des parents est de pousser leurs oisillons hors du nid. « Pour mieux y revenir. » Sagesse maternelle, sagesse millénaire. La mère. La Terre. Gaïa. Les racines. La boucle est bouclée.
À l’heure où l’on voudrait pourtant rempoter le petit d’homme loin de la souche originelle, il faut que l’arbrisseau plie mais ne rompe pas. Qu’il plante bien ses pieds dans les milliers de chemins qui dessinent la France et dans les textes et les chants qui les racontent. Emmenez donc vos enfants dans les jardins des plantes cet été, à Paris, à Nantes, à Montpellier. Montrez-leur les fruits et les fleurs qu’on présente toujours là-bas avec un nom, une famille et une patrie. Une carte d’identité exactement comme la leur.
Aux plus petits, offrez des albums de comptines traditionnelles et populaires. Santons occitans, loups, renards et belettes vous accompagneront gaiement pendant ces dix heures quarante-trois de route entre Montpellier et Douarnenez. Déjà, j’entends les parents soupirer. Rassurez-vous ! Si vous faites bien votre travail, bientôt C’est un pays de Soldat Louis, La vallée de Dana et Hegoak remplaceront Le petit Quinquin. Voire mieux ! La playlist officielle de Pierre Leprince pour notre émission ! Et si votre répertoire manque de sève neuve, téléchargez l’application Chants de France. C’est avec les vinyles rétro qu’on enflamme les macumbas !
Une fois votre arbrisseau bien planté, il faut l’innerver. Quoi de mieux que La Galerie de Florence d’Alexandre Dumas pour redécouvrir les chefs-d’œuvre européens du musée des Offices ? Cette arborescence artistique initiée en 1840 par le père des Mousquetaires vient de paraître pour la première fois dans son intégralité aux éditions du Chêne. Sept volumes (on siestera quand on sera morts !) tout à la fois monument littéraire écrit dans un français pas créole pour un litchi (n’en déplaise à la bande d’un certain tangérin), érudite somme esthétique (200 œuvres commentées, histoire des Médicis, histoire de la peinture et des artistes…) et véritables objets d’art (œuvres illustrées en couleurs, et complétées par une galerie de portraits d’artistes).
Dumas est un conteur hors pair. Il sait que les hommes se racontent des histoires depuis la nuit des temps pour appréhender le monde qui les entoure. Pour se consoler aussi, tel le mélancolique prince Albert Troubiscoï du conte Léocadia de Jean Anouilh, prisonnier de son carrousel de souvenirs (au théâtre du Lucernaire à Paris jusqu’au 27 juillet). Pour s’élever surtout. Au MUCEM cet été, on apprendra à Lire le ciel. Une exposition transdisciplinaire qui interroge la fascination multiséculaire des peuples du pourtour méditerranéen pour la voûte céleste. S’y mêlent objets archéologiques, scientifiques et ethnographiques, œuvres d’art, manuscrits et patrimoine oral.
Appartenance – Nourriture vitale – Envol. Chanter – Explorer – Danser.
À la nuit tombée, regardez-les, vos arbrisseaux bien enracinés tournoyer autour des feux de camp, emportés par l’insouciance et la chaleur de l’été. Ils sautent, ils s’élèvent, ils s’envolent. Et lorsqu’ils retombent, légers, joyeux, ils sont comme la Nikè de Samothrace dressée à la proue du navire. Victorieux, fiers et confiants. Ils ne doutent pas un instant que les bras de leurs Gaïas sauront les rattraper. La déesse aux ailes déployées ne nous dit pas seulement la gloire d’un peuple à une date donnée : elle nous montre que la pointe d’un pied gracieusement ancrée suffit pour que nous nous élancions, pour que nous prospérions et conquérions.
« Il n’y a rien de plus profond chez l’homme que la peau », écrivait Paul Valéry. Si. Il y a le sang.
Gabrielle Fouquet – Chronique du lundi 7 juillet 2025
Radio Courtoisie
Références
- Jardin des Plantes de Paris, 2, rue Buffon, 75005 Paris
- Jardin des Plantes de Nantes, rue Stanislas Baudry, 44000 Nantes
- Jardin des Plantes de Montpellier, boulevard Henri IV, 34000 Montpellier
- Soldat Louis, « C’est un pays », compilation C’est un pays, 1995.
- Manau, « La Vallée de Dana », album Panique celtique, 1998.
- Joxean Artze (texte), Mikel Laboa (musique), Hegoak/Txoria Txori, 1974 (interprétation live de Julie Rouault le 12 octobre 2024).
- Institut Iliade, Pierre Leprince, Les musiques du Libre Journal Vive la civilisation européenne.
Chants de France
- Site officiel : chantsdefrance.fr
- Application disponible sur AppStore et PlayStore
Voir aussi
- Alexandre Dumas, Jocelyn Fiorina, Cristina Farnetti, La Galerie de Florence racontée par Alexandre Dumas, 7 vol., Paris, Éditions du Chêne, 20 novembre 2024, 149 €.
- Jean Anouilh (texte), David Legras (mise en scène), Compagnie Les Ballons rouges, Léocadia, 1940, au théâtre du Lucernaire (Paris) jusqu’au 27 juillet 2025.
- Exposition Lire le ciel. Sous les étoiles en Méditerranée, Marseille, MUCEM – Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée, du 9 juillet 2025 au 5 janvier 2026.
- Victoire de Samothrace, premier quart du IIᵉ s. av. J.-C., Paris, musée du Louvre, inv. NIII 2447 ; MNB 2118 ; MNC 1433 ; Ma 2369.