Crise de la masculinité et de la paternité
Le père manque à l’appel. Fondateur de « grande civilisation », ancré entre Ciel et Terre, il représente cette verticalité qui est le principe même de la culture, de la transmission et de l’héritage. Enraciné dans la terre de ses ancêtres, il s’oppose au nihilisme d’une époque et transmet ses traditions afin que chaque nouvelle génération ne reparte pas de zéro.
Aujourd’hui, le père n’endosse plus son rôle et la modernité tend à le rendre obsolète. Les hommes se morfondent dans le confort et fuient leurs responsabilités vues comme une entrave aux plaisirs. La quête matérielle est devenue le « Graal » de notre ère.
Où sont passés ces « grands aventuriers du monde moderne », décrits par Péguy ? Qu’en est-il des figures héroïques à l’image d’Hector, père guerrier, ultime rempart face aux Achéens ? Le père est-il condamné à n’être qu’un sujet pusillanime, coupé des rites, des mythes et des racines indissociables de son rôle ?
Révolution française et révolution industrielle
1789, date à partir de laquelle la France connaît un point de non-retour, met un terme à l’« Ancien monde ». Les valeurs et la figure paternelles qui imposaient partout hiérarchie et discipline sont remplacées par les valeurs fraternelles et égalitaires. La guillotine, en écimant le souverain, coupe le lien symbolique entre le Ciel et la Terre, mettant fin à toute transcendance. Balzac, à travers une célèbre phrase, professait :
« En coupant la tête à Louis XVI, la Révolution a coupé la tête à tous les pères de famille. Il n’y a plus de famille aujourd’hui, il n’y a plus que des individus. »
L’idéologie des droits de l’homme reposant sur une philosophie individualiste et égalitaire vient remplacer ce que la France a alors de plus établi : la famille. La laïcisation de la France entraîne intrinsèquement la destruction du Père. Il était symbole de verticalité, le voilà désormais noyé dans une masse horizontale sans âme. Comme nous le confirme Charles Maurras :
« Où l’ancien régime voyait une combinaison d’êtres différents par la valeur, le rôle, la fonction et qui ne devenaient pareils qu’au cimetière, le régime moderne a rêvé d’une juxtaposition de personnes supposées égales et identiques. »
L’industrialisation de la France vient parachever cette idéologie en éloignant le père de son domaine. Autrefois paysans, artisans, commerçants, les pères exerçaient leur profession près de leur foyer et devenaient un modèle à suivre pour des enfants qui, une fois l’âge adulte atteint, apprenaient le métier de leur père. À travers les traditions familiales, il leur transmettait son savoir-faire en guise d’héritage.
Au fil du temps, les champs et les foyers sont désertés tandis que l’urbanisation et l’industrialisation sont en pleine expansion. La main qui, depuis les proto-humains, n’a cessé de créer et d’œuvrer pour le Bien commun est progressivement réduite à n’effectuer que des tâches répétitives et limitées, éloignant le père du fruit de son travail et de tout intérêt envers celui-ci. L’exode rural a pour effet pervers que, pour la première fois, le fils, voyant de moins en moins son père ouvrier, n’a plus face à lui cet adulte incarnant le chef de famille, mais un homme qui ne tient plus son rôle, un homme qui ne participe plus à l’éducation et à la transmission de son savoir. Lui qui fut jadis l’initiateur aux rites de la vie et qui subvenait aux besoins de sa famille voit son rôle s’effriter au fil du temps.
Mai 68
Le « meurtre du père » poursuit son petit bonhomme de chemin à travers les événements de Mai 68. Cette révolte n’est pas une innovation. Elle s’inscrit dans la continuité de l’idéologie des Lumières qui a toujours en ligne de mire la famille et souhaite mettre un terme aux qualités anthropologiques et aux valeurs qu’elle incarne et représente. Le « père », ultime rempart face à cette révolte et vecteur de transmission au sein de la famille, s’oppose à l’« homme nouveau », souhaitant jouir sans entraves, renier son identité culturelle et s’autoconstruire. La nouvelle génération issue de Mai 68 ne souhaite en aucun cas rivaliser ni même dépasser la figure du père, mais plutôt la réduire à l’insignifiance, nier son rôle. Fort heureusement, au sein des foyers populaires, la famille est toujours régie par une figure patriarcale forte. Cependant, son pouvoir exacerbé trop facilement réduit à sa « fonction pédagogique corrective », pour reprendre une expression de Patrick Buisson, ne lui rapportera pas les lauriers. Nous voyons ainsi naître à travers le XXᵉ siècle toute une série de lois visant à détruire l’iconographie paternelle et l’autoritarisme qui est censé en découler.
D’abord, les années 1960 marquent le début de la tertiarisation de la France. L’ouvrier qui est alors l’une des figures les plus représentées du « monde du travail » cède progressivement sa place à l’employé et au fonctionnaire représentant une société réputée plus qualifiée, plus portée à l’abstraction et moins « concrète » ou soucieuse de l’effort physique. Cette évolution économique et technique facilite, notamment depuis le vote du 13 juillet 1965 permettant aux femmes de travailler et d’ouvrir un compte sans l’accord de l’époux, l’arrivée de celles-ci sur le marché du travail. Par la suite, le rôle de géniteur est dérobé au père par la loi Neuwirth autorisant l’usage de contraceptifs ainsi que par la loi Veil, rendant légal l’avortement. Comme le souligne si justement Patrick Buisson, ces lois permettent « d’ignorer complètement la volonté du père et de disposer in utero d’un droit de vie ou de mort sur leur commune progéniture ; privilège au moins équivalent si ce n’est supérieur à celui du si décrié pater familias romain. »
À la suite de ces « avancées » rendant les femmes plus indépendantes, la loi majeure du 4 juin 1970 substitue à la notion de « chef de famille » ; notion jugée inégale par l’élite bourgeoise ; celle d’« autorité parentale conjointe ». Un bien piètre ersatz qui permet aux femmes, à la suite d’un divorce, d’obtenir la garde de leurs enfants dans près de 80 % des cas. L’État français, souhaitant instaurer l’égalité au sein de la famille, ne fera que remplacer une inégalité par une autre. Pour les hommes, cette remise en cause de leur responsabilité est vécue comme une perte de sens de leur vie. En pleine expansion due à l’échec des « mariages à l’essai » (couples non mariés vivant en cohabitation), un nouveau type familial voit le jour : c’est la famille monoparentale. Dans ce désordre familial, un lien de cause à effet est observable sur les enfants élevés sans père. Ils tombent plus facilement dans la délinquance, la sexualité précoce, souffrent d’inadaptation scolaire, etc. Ces enfants, privés d’un cadre favorisant leur développement, se voient trop souvent condamnés à rester toute leur vie des êtres inachevés et immatures fuyant les responsabilités.
Véritable cheval de Troie moderne, la propagande progressiste s’immiscera dès lors dans les familles à travers la télévision. Elle viendra remplacer la parole du chef de famille sous son toit en propageant des images et évoquant des faits plus faciles et « gratifiants » que ceux transmis par l’ancienne génération. Dépossédé de ses droits et de son autorité, le père ne participe plus aux rites, à l’élévation morale et à l’initiation de l’enfant. Son rôle d’éducateur rabaissé, la frontière entre le privé et le destin social devint de plus en plus infime. Comme le note Patrick Buisson :
« Du jour au lendemain, des dizaines de milliers d’hommes aux revenus modestes furent privés de la motivation de travailler pour une famille et de voir grandir leurs enfants. Ces facteurs ont incontestablement pesé lourd dans le déclassement massif du monde ouvrier. La paternité atrophiée, l’autorité contestée, le métier déqualifié, la virilité disqualifiée, il ne restait plus grand-chose de ce qui avait fait jusque-là la fierté de la condition masculine dans la France populaire. »
Le père aujourd’hui
Autrefois en armure, aujourd’hui le père apparaît nu, détaché de son rôle, de son histoire et de ses responsabilités.
Il est urgent pour le père d’entendre l’appel de ses aïeux. D’écouter ce qui résonne en lui et de faire jaillir cet idéal aristocratique en dormition. Le monde orwellien dans lequel nous vivons tente d’effacer toute trace de notre histoire. Un père sans identité propre n’est que l’ombre de lui-même. Il est dans sa nature d’être le lien entre le passé et l’avenir. Il a reçu en héritage une langue, une terre, une culture. C’est désormais à lui de fonder et de transmettre cette longue mémoire européenne afin d’élever les générations à venir. Le père est un homme porteur de traditions. À l’image d’un bouclier, il protège son foyer des idées barbares.
Le chef de famille doit à nouveau se tenir droit, vertical, au milieu de la masse uniforme. Comme l’a affirmé Ernst Jünger, afin d’assurer une communauté pérenne, le père doit réapparaître au seuil de sa porte, entouré de ses fils, la cognée à la main. L’homme d’épée est un homme de devoir préférant le danger à la servitude. Par le retour au sacré, le père initie qui plus est ses enfants aux rites de la vie, comme a pu le manifester Hector en élevant son fils vers le ciel :
« Zeus et vous tous, les dieux, accordez que mon fils se distingue, par l’honneur, tout autant que moi, dans la foule troyenne, et par la force vaillante, et qu’il règne sur Troie avec fougue ! Qu’on dise un jour de lui : ‘’Il est supérieur à son père !’’ »
Iliade, Chant 6, 475, trad. Philippe Brunet
Nous sommes guerriers parce que nous sommes pères, parce que nous sommes prêts à tout sacrifier par amour de notre terre et de notre foyer. Quand l’homme prend conscience du sens du sacrifice, il rejette l’esprit bourgeois rationnel et mercantile et renoue avec les vertus héroïques. Le dessein du père est de porter la hache au travers des institutions qui le nient afin d’affirmer son identité et de retrouver sa place dans la Patrie. Ainsi que le note Dominique Venner dans son Bréviaire :
« Redevenir maitre de soi et chez soi, tel est l’espoir. Pouvoir regarder ses enfants sans blêmir de honte, et, le jour venu, quitter la vie en sachant l’héritage assuré. »
Combattre la médiocrité, embrasser l’excellence. Rejeter la monotonie, créer des sentiments. S’affirmer comme chef et devenir le porte-étendard des prochaines générations. Du chevalier au gentilhomme, sa tenue impose le respect et s’oppose au canon de la modernité. Il est l’heure pour l’homme de sortir de son aboulie et de renouer avec « l’imaginaire courtois du XIIᵉ siècle, né de l’amour et de l’épée », comme le mentionne Dominique Venner. Nos 30 000 ans d’identité européenne ne se sont pas créés par individualisme, mais bien par l’harmonie d’hommes et de femmes devenus pères et mères à leur tour. De cette fusion naitra ce qui nous est le plus cher :
« Judith,
À travers ton regard j’ai su,
Que mes ancêtres étaient éternels. »
Anthony Le Pieux – Promotion Charlemagne
Rappels historiques
- 1882 : école obligatoire, conçue comme substitut à l’autorité parentale par l’État.
- 1935 : abolition du droit de correction paternelle votée.
- 1956 : mise au point de la « pilule » par l’Américain Gregory Pincus.
- 13 juillet 1965 : loi permettant aux Françaises de travailler et ouvrir un compte en banque sans le consentement de leur époux.
- 19 décembre 1967 : loi Neuwirth, autorisant l’usage de contraceptifs.
- 4 juin 1970 : loi supprimant la notion de « chef de famille », lui substituant l’« autorité parentale conjointe ».
- 17 janvier 1975 : vote de la loi dite « relative à l’interruption volontaire de la grossesse » légalisant l’avortement.
Illustration : Les Adieux d’Hector et d’Andromaque (Joseph-Marie Vien), détail. Huile sur toile, 1786. Coll. Musée du Louvre. Licence : Domaine public