Exposition 1925-2025. Cent ans d’Art déco au Musée des Arts Décoratifs
Jusqu'au 26 avril 2026, le Musée des Arts Décoratifs de Paris (MAD) retrace l’aventure esthétique et l’art de vivre qui ont façonné l’Art déco.
Un siècle après l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, le Musée des Arts Décoratifs (MAD) célèbre, du 22 octobre 2025 au 26 avril 2026, l’un des moments les plus éclatants de la modernité française. Riche de plus de mille œuvres, 1925-2025. Cent ans d’Art déco se veut à la fois catalogue exhaustif et panorama esthétique d’un style qui, plus qu’un ornement, fut un art de vivre et une pensée de la forme.
Le parcours commence au second étage sur un rappel de l’exposition de 1925[1]. On y découvre un Paris réaménagé pour l’occasion : du Grand Palais au pont Alexandre III, la ville devient un manifeste à ciel ouvert de la beauté moderne, sa matrice. Le terme « Art déco », forgé bien plus tard, en 1966, lors de l’exposition Les Années 25 à l’Union centrale des Arts décoratifs (ancêtre du MAD), ne fait que condenser, rétrospectivement, l’esprit d’un temps.
Présentée comme une anthologie, 1925-2025 réunit plus d’un millier d’objets – mobilier, bijoux, textiles, affiches, céramiques, dessins – pour embrasser un mouvement qui dura près de trente ans. Sous le commissariat de Bénédicte Gady, nouvelle directrice du musée, et d’Anne Monier Vanryb, la scénographie conçue par l’Atelier Jodar et le Studio MDA adopte d’abord une sobriété presque monacale : volumes contraints, parois colorées, grandes baies vitrées ouvertes sur la Nef. Cette neutralité s’efface à mesure que l’itinéraire, pensé en trois temps et autant de niveaux, se déploie. De la leçon technique de style, parfois un peu étouffant, où se devine déjà une intuition sensible de la forme, on passe à l’application pratique dans des period rooms thématiques où la géométrie devient émotion. Il faut donc s’accrocher, être patient, et prévoir du temps (environ deux heures de visite contre l’heure et demie annoncée).
1925-2025 : du mythe fondateur à l’héritage vivant
Dès la première salle, la profusion de noms, de dates, de techniques et de matériaux donne le ton : l’Art déco naît moins d’une rupture que d’une continuité. La trajectoire de René Lalique (1860-1945) l’illustre : figure majeure de l’Art nouveau, il poursuit son exploration du métal et du verre dans l’Art déco, affirmant ici la filiation plutôt que la césure.
Parmi les présences tutélaires, celle de Jacques Doucet (1853-1919) s’impose, discrète et constante. Grand couturier, collectionneur et mécène de l’Art déco, il en fut l’un des artisans majeurs[2] : à travers ses commandes, ses objets et ses collections, il incarna cette fusion entre les arts décoratifs et les beaux-arts, propre à une modernité visionnaire. Le MAD, qui conserve une part essentielle de cet héritage, prolonge la mémoire de cet historien du goût, géant d’un monde culturel qui connaît son apothéose avec l’exposition de 1925.
Les affiches de l’Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes, dessinées par des artistes de renom tels que Antoine Bourdelle (1861-1929), et les invitations aux évènements qui ont lieu en parallèle montrent l’effervescence d’un Paris capitale artistique mondiale, réaménagé pour l’occasion – du pont Alexandre III aux Invalides, du Petit au Grand Palais. Les répertoires de motifs de Maurice Pillard-Verneuil (1869-1942) et les influences des Ballets russes en soulignent l’élan décoratif et cosmopolite : l’exposition de 1925 affirmait l’audace du goût français ; celle de 2025 en explore la permanence.
Les arts graphiques, omniprésents tout au long du parcours (et au cœur des collections du MAD), rappellent que toute création commence par la main. Gouaches de bijoux, dessins préparatoires, planches d’ornements et modèles d’atelier relient l’Art déco à l’histoire longue de l’art occidental : en transformant les codes classiques pour en inventer de nouveaux, eux-mêmes promis à devenir classiques à leur tour, le dessin transforme le geste en idée, l’idée en matière.
L’art total
Le deuxième niveau quitte la théorie pour la pratique. Plus aéré, plus clair, il consacre l’idéal d’un art total, où architecture, mobilier et lumière parlent le même langage. Des ensembles de la Société des artistes décorateurs aux créations de Jacques-Émile Ruhlmann (1879-1933), d’André Groult (1884-1966), d’Eugène Printz (1879-1948) ou de Pierre Chareau (1883-1950), l’Art déco s’y présente dans sa pleine ampleur esthétique. De la reliure à la théière, du piano au papier peint, chaque détail doit servir une composition globale.
Un bureau à gradin marqueté (vers 1919, Paris, MAD, inv. 41061) signé Clément Mère (1861-1940), une forme héritée du XVIIIᵉ siècle français, les projets de tapis (1928-1934, Paris, MAD, inv. 2008.56.125-3 à 7) d’Ivan Da Silva Bruhns (1881-1980), d’une actualité saisissante – tissage berbère, abstraction géométrique, palette sourde –, et la Porte d’entrée du pavillon Lalique, en fer, verre moulé et verre à vitre (1925, Paris, MAD, inv. 38656.1-2) prouvent que l’Art déco ne rompt pas avec la tradition : il la transpose.
La reconstitution du Bureau-bibliothèque de Pierre Chareau et Eugène Printz, issu du pavillon Une ambassade française de la Société des artistes décorateurs à l’Exposition internationale de 1925 (Paris, MAD, dépôt du Centre Pompidou, inv. MNAM AM 2000-1-1), condense à elle seule toute la grammaire du style. Synthèse du rationnel et du sensible, il constitue le cœur battant du parcours.
Viennent ensuite Eileen Gray (1878-1976) et Jean-Michel Frank (1895-1941). Deux espaces d’un minimalisme graphique presque méditatif qui offrent enfin la respiration que réclamait la densité du premier niveau. L’épure n’y est jamais froide : Frank incarne, selon le mot de François Mauriac (1885-1970), « l’étrange luxe de rien » ; Gray, grande absente de 1925, la radicalité silencieuse. Leur mise en regard éclaire la double nature de l’Art déco : entre préciosité et sobriété, entre classicisme et avant-garde.
L’évocation des arts de la scène – écho élégant à l’exposition voisine, Paul Poiret. La mode est une fête [3] – puis de la diffusion de l’esthétique Art déco dans les objets du quotidien ressuscite le Paris contrasté des Années folles. Ses grands magasins et ses théâtres rappellent en creux le caractère élitiste des styles décoratifs qui ne concernent finalement jamais que les privilégiés. « Des objets de qualité pour des gens de qualité », selon l’esprit de l’Ancien Régime.
La carte blanche artistique du décorateur-collectionneur Jacques Grange (1944) clôt cette enfilade. Sa scénographie linéaire, quasi panoramique, rappelle la présentation didactique des collections permanentes du MAD et met en lumière la polymorphie du mobilier Art déco et son influence sur le goût contemporain. On pense aux intérieurs d’Yves Saint Laurent (1936-2008), autre grand amateur de ce style, qui en prolongea la modernité jusque dans les années 1980.
Horizons modernes
La dernière partie du parcours s’ouvre au monde. La vitrine de kimonos japonais, encore portés au quotidien dans les années 1920-1930, illustre admirablement la capacité des artistes à conjuguer tradition et innovation : le Japon, loin d’imiter, absorbe et réinvente à sa manière les codes occidentaux. L’Art déco, grand style parce qu’il s’adapte sans se dissoudre, trouve là une métaphore parfaite : est universel ce qui module sans renier.
La thématique du voyage prolonge cette idée. Placée en surplomb de la Nef, l’avant-dernière salle (la seizième !) évoque le pont supérieur d’un paquebot : un belvédère d’où le visiteur contemple la modernité en mouvement. Affiches de compagnies aériennes, trains et transatlantiques attestent des nouveaux usages du voyage dans le monde occidental à mesure que les moyens de transport repoussent les frontières. Saluons la place importante accordée à la photographie de Roger Schall (1904-1995), dont les clichés en noir et blanc diffusèrent dans le monde entier l’esthétique Art déco : symétrie, lumière, audacieux points de vue, pureté des lignes.
Dans la Nef, la légende de l’Orient Express succède au souvenir du Normandie. La compagnie, relancée par LVMH, est mécène de l’exposition[4]. Les reconstitutions des mythiques wagons dialoguent avec les maquettes du futur train dessinées par l’architecte-ensemblier contemporain Maxime d’Angeac (1962). Affiches de voyage, guides illustrés des destinations et éditions polyglottes du Crime de l’Orient Express d’Agatha Christie ancrent définitivement les voitures bleues et or dans l’imaginaire collectif.
Les arts de la table, essentiels à l’Art déco, sont magnifiquement représentés : du service Atlas de Christofle pour le Normandie aux « dessins techniques » de vaisselle de la Compagnie internationale des Wagons-Lits, autant de « laboratoires de formes » où s’inventent les gestes de l’élégance.
Dans cet esprit, la dernière section, conçue comme un grand vision board, invite à penser l’héritage : créations contemporaines, rééditions, savoir-faire d’ateliers, maquettes et prototypes conduisent hier vers demain. L’Art déco, loin d’être un style figé, demeure un réservoir d’idées, une attitude, un regard sur le monde.
Une exposition-jalon
1925-2025. Cent ans d’Art déco fera date. Entre étude scientifique et expérience sensible, le parcours exigeant, parfois ardu, brille par sa cohérence. On y retrouve les grandes qualités du MAD : rigueur documentaire, richesse des collections, intelligence curatoriale. Le catalogue, somme d’érudition et d’images, prolonge ce travail monumental. Il s’imposera, à n’en pas douter, comme une référence.
Plus qu’un retour sur le passé, l’exposition rappelle que le beau se construit dans la durée, que la tradition est une force d’invention. L’Art déco, en liant l’intime et le monumental, demeure une langue vivante qui professe un seul credo : la foi dans la beauté pensée, dessinée, vécue.
Gabrielle Fouquet – Promotion Homère
Notes
[1] Communiqué de presse du musée des Arts décoratifs-MAD, 1925-2025. Cent ans d’Art déco, 2025.
[2] Jean-François Lasnier, « Paris 1925 : l’exposition mythique qui a révélé les splendeurs de l’Art déco », Connaissance des Arts [en ligne], 17 octobre 2025.
[3] Exposition Paul Poiret. La mode est une fête, Paris, musée des Arts décoratifs-MAD , 25 juin 2025 – 11 janvier 2026.
[4] Béatrice de Rochebouët, « L’Art déco, un marché qui continue de conquérir la planète cent ans après», Le Figaro [en ligne], 20 octobre 2025.
Informations pratiques
1925-2025. Cent ans d’Art déco
Du 22 octobre 2025 au 26 avril 2026
Musée des Arts Décoratifs – MAD
107, rue de Rivoli, 75001 Paris
