Institut Iliade

Place vacante

La boussole artistique de Gabrielle Fouquet, auditrice de la promotion Homère : des rendez-vous culturels à ne pas manquer, proposés par le Libre Journal Vive la civilisation européenne ! sur Radio Courtoisie.

Place vacante

J’ai longtemps tergiversé en rédigeant ce nouvel itinéraire, chers amis. En effet, on a rarement autant parlé de « culture » en France que cet été.

J’aurais pu entrer à mon tour dans la grande croisade pour la défense d’une « culture française » qui existe bel et bien (on ne le répètera jamais assez). Ou vous demander votre avis à propos des vitraux multiséculaires de Notre-Dame, plébiscités par les Français, et pourtant remplacés par des contemporains bigarrés, ni plus beaux ni plus laids (faut-il y voir un signe de ce qui nous attend ?). Voire mieux, m’offusquer de la Nouvelle Déclaration d’Avignon prononcée en juillet dernier place du Palais des Papes… en arabe ! Saine colère ? Vaine colère ? En tout cas, il est loin le temps où Don Diègue s’exclamait : « Agréable colère ! /Digne ressentiment à ma douleur bien doux ! / Je reconnais mon sang à ce noble courroux ; / Ma jeunesse revit en cette ardeur si prompte. » sur ces mêmes planches… Mais, qui viendra maintenant venger le vieillard désarmé ? Qui aura du cœur aujourd’hui ?

Bref, les polémiques ne prennent jamais de vacances. Mais vous si. En tout cas, vous aimeriez qu’on vous en fasse ! Plutôt donc que de m’engouffrer là-dedans, j’ai allumé la radio. Un classement éclectique des « plus grands tubes de l’été » m’a ramené sur l’autoroute A11. Le cœur de Claudio Capéo s’égare quelque part sur la Nationale 7, entre Rome et Paris. Le mien roule à toute allure vers la côte atlantique.

Nous l’avons dit, les vacances d’été s’accompagnent plus que jamais d’injonctions au plaisir immédiat et au temps consacré à… soi-même. Généreusement partagé, il est vrai, avec son Surmoi et son Ça.

Pour moi, juillet et août s’enchaînent comme des rituels. Des souvenirs pérennes, des lieux fixes, des gestes aux ombres de rendez-vous. Je pourrais vous raconter ma Garenne à moi, pour citer le merveilleux roman de Jeanne Bourin, égrener tendrement des noms et des instants éternels, vous les projeter comme ils défilent dans ma tête, sorte de Grand Tour nostalgique et gourmand d’étés séguriens.

La mémoire finalement n’est qu’une boîte perdue dans un placard, remplie de babioles et de photos. Vous savez, cette boîte qu’on range « juste là, comme ça on saura la retrouver » ? Mais si ! Vous la connaissez tous ! À peine rangée, déjà oubliée ! Vous la chercherez rageusement avant de conclure (au bord de la crise de nerfs) qu’elle n’a pas pu « quitter la maison » et qu’elle « réapparaîtra bien un jour ». Et quand enfin les clichés abandonnés referont surface, vous les redécouvrirez en plissant les yeux, comme s’ils étaient troubles. Jusqu’au 18 août, le musée de l’Orangerie nous invite justement à nous tenir délibérément Dans le Flou. À faire un pas de côté, un écart volontaire aux frontières du réel pour mieux « réenchanter le monde ». Quelle meilleure métaphore des vacances que celle-ci ? Se mettre en marge de la réalité pour mieux l’aborder.

Les rituels consistent en la répétition de gestes invariables et atemporels. Cette immuabilité réunit corps et esprit, trop souvent divorcés par l’époque et la vie. Rassemblés, ils favorisent la méditation et le rêve, cette poésie issue de nos propres profondeurs que l’on ne peut entendre qu’une fois le silence revenu. Celui-ci peut alors se remplir de l’essentiel : la beauté, la volonté, l’espoir et, à notre retour, l’action.

Je ne vous suggérerai que ceci : laissez flotter les rubans. Dans son recueil éponyme, la grande Jacqueline de Romilly nous enseigne à ne pas intervenir, à ne pas nous disperser dans une frénésie d’activités stériles, à nous abandonner aux fondamentaux sensibles (la terre, le corps) et intelligibles (l’esprit, la beauté). C’est en eux que nous puiserons les certitudes qui forgeront l’armure de nos combats à venir. Cette sprezzatura aristocratique façon Prince de Lampedusa, admirablement défendue par Cristina Campo. L’expression tranquille et élégante d’une noblesse d’âme qui résulte en fait d’une ascèse invisible, d’une discipline exigeante. Traduit en idiome Iliade : cet été, laisser la place vacante à la nature, notre socle, à l’excellence, notre but, et à la beauté, notre horizon.

Gabrielle Fouquet – Chronique du lundi 4 août 2025
Radio Courtoisie

Références