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#ColloqueILIADE 2019 : le pacte global pour les migrations de Marrakech, enjeu électoral en Belgique

Intervention de Koen Dillen, ancien député européen, lors du colloque « Europe, l’heure des frontières » le 6 avril 2019.

#ColloqueILIADE 2019 : le pacte global pour les migrations de Marrakech, enjeu électoral en Belgique

Le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, ou « Pacte de Marrakech », visant à couvrir toutes les dimensions de l’immigration dans le monde a été formellement adopté le 19 décembre 2018 par l’Assemblée générale des Nations Unies.

Il se présente comme une déclaration d’intention sur la façon dont les États doivent traiter l’immigration qui serait, selon l’axiome droit-de l’hommiste des Nations Unies « inévitable, nécessaire et enrichissante » pour les pays d’accueil. Je résumerai cette déclaration d’intention en formulant d’emblée les six objections qu’on peut soulever à son encontre :

  1. Primo… Le Pacte des Nations unies pour les migrations promeut la culture des migrants et considère l’immigration comme un phénomène exclusivement positif. « À l’heure de la mondialisation, les migrations sont facteurs de prospérité, d’innovation et de développement durable » nous dit le texte. Nulle part il n’est question des dangers de l’immigration illégale ou légale, ni de leur impact négatif sur le tissu social, économique et culturel des pays d’accueil.
  2. Secundo… Le Pacte souhaite la mise en place de services sociaux de base, y compris pour les immigrés clandestins. L’objectif 15 du pacte explique que tous les migrants doivent pouvoir y prétendre. Le pacte ne définit pas ces services sociaux de base. Il contient en revanche des engagements concrets comme la mise en place de soi-disant « espaces de services ». Il demande également de laisser les institutions de défense des droits de l’homme examiner les plaintes des migrants et de leur garantir l’accès à la justice pour imposer ces « services de base ».
  3. Tertio… Le Pacte préconise l’assouplissement des procédures de regroupement familial. Le point 21 du pacte demande des États un engagement à rendre plus souple l’accès au regroupement familial. Et il donne les bons conseils pour le faciliter : réviser à la baisse les critères de revenu, de langue et de séjour. L’accès aux services sociaux de base et à la sécurité sociale doit d’ailleurs également être garanti pour les personnes ayant bénéficié du regroupement familial.
  4. Quarto… Le Pacte plaide pour la régularisation des immigrés clandestins. Le point 23 du texte comprend un engagement qui doit leur permettre d’accéder à une régularisation individuelle sur « des critères clairs et transparents ». Il s’agit d’un rêve du lobby ouverture des frontières. Car des critères de régularisation objectifs inscrits dans la loi impliquent par définition un « droit » subjectif à la régularisation.
  5. Quinto… Le Pacte rend plus compliqués la détention et le retour des immigrés clandestins. L’objectif 13 demande de ne recourir au placement en détention administrative des immigrés clandestins que pour la période la plus courte possible et « en dernier ressort ». Comme pour le regroupement familial, le pacte demande aux pays de réviser leur législation relative à la détention des immigrés clandestins. Or sans détention administrative des immigrés clandestins, une politique de retour et un contrôle des frontières digne de ce nom sont impossibles.
  6. La sixième objection est peut-être la plus grave. Le Pacte de Marrakech demande aux médias de censurer tout discours hostile à la doxa immigrationniste. L’objectif 17 du texte appelle ainsi à «encourager un débat public fondé sur l’analyse des faits afin de faire évoluer la manière dont les migrations sont perçues». Les rédacteurs de ce traité veulent donc obliger les médias à participer à un grand lavage de cerveau en devenant eux-mêmes les promoteurs d’une immigration – et je reprends les trois poncifs de la doctrine onusienne – « inévitable, nécessaire et enrichissante ». Comme l’a bien vu Alexandre del Valle dans une tribune pour Le Figaro : « les milieux universitaires », « le secteur privé » ou encore les «institutions nationales de défense des droits de l’homme» sont tous appelés à combattre les idées qui ne vont pas dans le sens de l’immigrationnisme béat.

Un mot aussi sur le caractère prétendument non-contraignant du texte. Les partisans du Pacte de Marrakech avancent que les pays signataires ne seront pas obligés d’appliquer les recommandations qu’il contient, mais cet argument relève soit d’une méconnaissance de la logique de la jurisprudence soit d’une mauvaise foi politique. Un texte non contraignant aussi a des conséquences juridiques, a fait valoir le professeur de droit constitutionnel flamand Hendrik Vuye. Comment sont interprétés les traités internationaux tels que la Convention européenne des droits de l’homme et la Convention des Nations Unies sur les droits civils et politiques? La Cour des droits de l’homme applique déjà pour ces conventions une interprétation large de la notion qui revient dans le Pacte de Marrakech de l’interdiction de traitements inhumains ou dégradants. Si la Cour des droits de l’homme devra juger d’éventuels “traitements dégradants” en matière d’immigration, elle se laissera guider par ce que les États eux-mêmes ont accepté, par exemple dans le cadre d’un Pacte mondial pour des migrations. Le caractère non-contraignant est donc un leurre.

Tout cela a été négocié à l’abri de nos regards. La France, à partir de novembre 2018, était secoué par la révolte des gilets jaunes et rares étaient les journalistes ou médias grand public qui avaient déjà attiré l’attention du public sur les implications fondamentales pour nos nations européennes des dispositions de ce Pacte.

Il n’est pas exagéré de dire que le Pacte de Marrakech n’a pas fait la une des journaux européens jusqu’en novembre-décembre 2018. Comme si les promoteurs du Pacte savaient qu’ils allaient accoucher d’un texte qui n’aurait jamais le soutien de nos peuples. Permettez-moi de vous donner l’exemple de la Belgique où une discussion passionnée autour du Pacte de Marrakech a abouti à l’éclatement du gouvernement.

La presse belge a longtemps observé le même silence que la plupart des grands médias européens. Jusqu’en novembre dernier, rares étaient les Flamands et les Wallons qui avaient entendu parler du Pacte. Le diplomate mandaté à l’ONU par le gouvernement belge, une alliance de la droitière N-VA, la Nouvelle Alliance Flamande, avec les partis démocrates-chrétiens et libéraux, l’avait négocié en coulisses.

A-t-elle au début mal compris les tenants et aboutissants du Pacte, il est difficile de le dire, mais toujours est-il que la N-VA, le premier parti du pays avec plus de 30 % des électeurs, a longtemps omis de critiquer le projet que les fonctionnaires de l’ONU étaient en train d’échafauder.

Theo Francken, membre éminent de la N-VA et secrétaire d’Etat à l’asile et l’immigration, a participé pendant de longs mois aux travaux préparatoires sans émettre lui non plus la moindre réserve. Ce n’est que tard, très tard, que la N-VA a changé le fusil d’épaule. En quelques jours, en décembre 2018, le parti a évolué d’un soutien larvé et silencieux au Pacte à une opposition frontale et farouche arguant même d’un cas de conscience si le gouvernement dont il faisait partie devait le ratifier.

Pourquoi ? Le contexte électoral n’est pas innocent ici. Et pour comprendre l’attitude de la N-VA, un petit rappel historique s’impose.

La N-VA est né aux débuts des années 2000 et a connu à partir de 2006 une ascension fulgurante aux dépens du Vlaams Belang, représentant d’un nationalisme intransigeant de droite qui pendant trente ans avait réussi à se faire l’unique porte-parole du nationalisme flamand. Je n’entrerai pas dans les détails ici, mais en résumé on peut dire que le Vlaams Belang, par ses excès de langage, des luttes internes et l’usure politique de certains de ses principaux dirigeants a connu une descente aux enfers entre 2006 et 2014 avec une chute vertigineuse de son électorat, passant du score historique de 25 % aux élections européennes de 2004 à 7 % aux européennes de 2014.

En se présentant comme une alternative de droite capable de libérer le nationalisme flamand du cordon sanitaire dans lequel celui-ci se trouvait enfermé, la N-VA a réussi à phagocyter l’électorat du Vlaams Belang à tel point qu’on peut estimer que les deux partis, pour ce qui est de leur sociologie électorale, sont devenus à 80 % des vases communicants.

Or la participation de la N-VA au gouvernement fédéral de 2014, sans avoir renversé complètement la tendance, a considérablement affaibli la N-VA puisque le parti présidé par Bart De Wever, le très populaire maire d’Anvers, a dû, pour pouvoir chasser le Parti Socialiste du pouvoir, mettre en sourdine sa doctrine nationaliste en se concentrant sur l’assainissement économique du pays.

Cette stratégie d’entrisme opposé au maximalisme du Vlaams Belang comportait des risques. Car les électeurs déçus par le Vlaams Belang qui avaient mis leurs espoirs dans la jeune formation politique de Bart De Wever risquaient à chaque moment de retourner au bercail si la N-VA devait trop se compromettre dans le gouvernement. De là une stratégie de la tension qui a toujours caractérisé le discours de la N-VA.

Le soutien au gouvernement dont il était le pilier fut, paradoxalement, toujours un soutien critique pour ne pas s’aliéner ses plus récents électeurs qui sont les plus à droite. Ce soutien critique s’est cristallisé pendant quatre ans dans la politique très droitière menée par Theo Francken au secrétariat d’Etat à l’asile et l’immigration, une politique qui lui a permis de devenir l’homme politique le plus populaire du pays.

Or le positionnement critique de la N-VA – être au gouvernement tout en manifestant des velléités d’opposition, c’est-à-dire vouloir le beurre et l’argent du beurre – a montré ses limites lors des élections municipales d’octobre dernier. Même si, personnellement, Bart De Wever a réussi l’exploit de sauvegarder sa mairie d’Anvers, ville laboratoire de la politique en Flandre, sa victoire n’a pas réussi à empêcher un tassement électoral de son parti au profit du Vlaams Belang. Le Vlaams Belang n’a pas progressé à Anvers, contrairement aux attentes, mais a gagné beaucoup de voix au détriment de la N-VA dans d’autres villes moyennes de Flandre. A huit mois des élections européennes, fédérales et régionales, l’avertissement des urnes aux municipales fut donc de taille pour la N-VA. Elle a réalisé que beaucoup de ses électeurs sont déçus par sa participation au gouvernement et cela malgré l’attitude bravache de Theo Francken en tant que secrétaire d’Etat à l’immigration.

Est-ce que les dirigeants de la N-VA ont été pris de panique électorale ? On ne le sait pas mais toujours est-il que sa décision de chercher une occasion pour quitter le gouvernement et redorer son blason auprès des électeurs a dû être prise dans les jours suivant sa défaite aux municipales. Ce qui nous ramène au Pacte de Marrakech car la N-VA a fait de son refus de cautionner le Pacte le principal argument programmatique pour les élections du mois prochain.

Arguant du fait que l’Autriche, pourtant à l’origine des négociations sur le Traité, s’était retiré de la table et que deux continents, les États-Unis et l’Australie, ont refusé de signer, la N-VA a déclaré que la donne avait changé et qu’elle ne pourrait plus participer à un gouvernement qui cautionnerait le texte. Ses ministres ont donc quitté leurs fonctions et le Premier ministre Charles Michel, à la tête désormais d’un gouvernement de transition sans N-VA, s’est rendu seul à Marrakech, pour approuver, au nom de la Belgique, le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières.

N’étant pas Madame Soleil, j’ai du mal à évaluer comment l’issue de cette crise gouvernementale se traduira dans les urnes le 26 mai prochain. Je finirai mon exposé par deux points d’interrogation et une remarque;

  1. La N-VA réussira-t-elle à faire le même score qu’aux dernières élections européennes en brandissant la menace de l’installation d’un gouvernement de gauche animée par l’esprit de Marrakech si elle ne devrait plus être la première force politique du pays ? Tout dépendra de la campagne électorale qu’elle va mener.
  2. Le Vlaams Belang cueillera-t-il les fruits de sa stratégie maximaliste avec une campagne où il tire à boulets rouges sur la N-VA qu’il accuse de trahison et de compromissions ? La N-VA rétorquera que le Vlaams Belang, emprisonné dans le cordon sanitaire et devenu une formation politique stérile, fait précisément par cette critique le lit d’un prochain gouvernement de gauche pro immigration. Révolution ou évolution ? Les électeurs en décideront dans six semaines.

Une dernière remarque qui confirme que nos médias ont bien compris les consignes pour la presse qui sont contenues dans le Pacte de Marrakech et que j’ai déjà évoquées.

La crise gouvernementale risquait évidemment de faire de l’immigration le sujet principal des élections. Or une divine surprise a fait que depuis deux mois se trouvent sous les feux de la rampe quelques dizaines de milliers d’écoliers qui chaque jeudi font l’école buissonnière dans leurs lycées pour aller manifester pour le climat. La Belgique seule, sans efforts ni de la Chine, ni de l’Inde ni du Brésil doit prendre selon eux des mesures draconiennes pour sauver le climat. Ils appellent, et tous les médias amplifient leurs voix, à voter pour les partis écolos, fervents soutiens d’une immigration incontrôlée et illimitée. Le paradigme électoral a ainsi changé en quelques jours. Il ne faut pas sauver nos frontières. Il faut sauver l’humanité et ouvrir nos frontières. Le Pape vient de nous le rappeler. L’homme blanc et l’Occident coupable doivent accueillir, protéger et promouvoir. La messe est dite.

Je continuerai pour ma part à refuser ces paroles d’évangile.

Koen Dillen