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Une lecture européenne du Trône de Fer (2/3)

Une lecture européenne du Trône de Fer ou "De la permanence et de la vitalité des représentations européennes dans un phénomène littéraire et télévisuel mondial". Pourquoi s’intéresser, en tant qu’Européen, aux raisons du succès de George R.R. Martin ? Deuxième partie.

Une lecture européenne du Trône de Fer (2/3)

Les références à l’histoire européenne parsèment l’œuvre de Martin. Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur ses inspirations : Les Rois maudits de Druon, l’Angleterre de la guerre civile de 1135 à 1153, de la période dite Anarchy à la Guerre des Deux Roses (1455-1485) en passant par le Black Dinner (en 1440, un noble écossais assassinant les deux fils de son rival lors d’un banquet qui n’est pas sans rappeler les Noces pourpres…).

Westeros, le miroir de l’Europe médiévale

Plus généralement, la description que Martin donne des Sept Couronnes emprunte énormément à l’époque médiévale. Que ce soient les villes et villages, les techniques utilisées, les équipements des armées, les ordres de chevalerie, les métiers décrits, l’œuvre de Martin se déroule dans un univers que chacun peut reconnaître ou imaginer.

De même, certains voient l’intrigue du Trône de fer comme la fin de la féodalité, avec l’unité du royaume sous un seul roi (l’avènement des Targaryen) et la fin des grands seigneurs qui se déchirent (les Stark, les Barathéon, les Lannister…) au profit, soit de nouvelles maisons plus modernes (les Tyrell), soit de véritables arrivistes (Littlefinger), soit encore de simples serviteurs de l’Etat (Varys), lesquels préfigurent la nouvelle bourgeoisie et le triomphe du machiavélisme sur les valeurs aristocratiques. Ainsi, Le Trône de fer revisite le passage de l’époque médiévale à la Renaissance (voire à l’époque moderne, notamment avec la place croissante de l’argent).

Les armoiries des grandes maisons symbolisent clairement les liens avec la Tradition. C’est ce qui constitue le grand intérêt du Trône de fer, succès aussi phénoménal qu’inattendu : les références à la chevalerie et notamment aux armoiries des grandes maisons. Tout lecteur/spectateur connaît en effet les armes, les couleurs, les blasons, les devises, les cris de guerre de chacune des maisons de Westeros : arraché de loup pour les Stark, lion dressé pour les Lannister, dragon tricéphale pour les Targaryen… Et si nous ne pouvons bien évidemment pas affirmer que Martin a fait exprès de choisir ces symboles, nul ne peut nier qu’ils viennent de la tradition européenne de l’héraldique.

Ainsi, les animaux choisis par les grandes maisons sont des images qui nous parlent car sont à la fois présents dans l’imagerie médiévale et dans l’imagerie légendaire et mythique (animaux liés aux dieux ou psychopompes, représentant des valeurs de noblesse, etc…).

Sans vouloir effectuer une étude qui mériterait d’être plus complète, voici quelques réflexions sur les principales maisons du Trône de fer :

Le cerf de la famille Barathéon

Devise : « Nous est la fureur ». Depuis la nuit des temps, le cerf, roi de la forêt, est une figure essentielle du panthéon animalier européen, possédant une fonction magico-religieuse venue du fond des âges, tel Cernunnos, plus ancienne divinité connue de la Gaule (probablement issue d’une divinité archaïque, protectrice du gibier). Dominique Venner l’évoque ainsi dans son Dictionnaire amoureux de la chasse (2000) : « depuis les temps les plus reculés, sa majesté, sa ramure et sa fertilité ont acquis un pouvoir sans égal sur l’imagination des hommes ».

Il est intéressant de noter que si le cerf est l’esprit protecteur de la nature et de la chasse, Robert Barathéon, épris de chasse lui-même, meurt de la suite des blessures dues à un sanglier alors qu’il s’adonnait à son passe-temps favori (sous l’emprise du vin), et non à sa place de roi et de chef, se consacrant aux affaires du royaume. D’une certaine manière, son « protecteur » l’a abandonné, lui qui a abandonné à d’autres sa charge et ses responsabilités.

Le loup des Stark

Devise : « L’hiver vient ». Le loup est l’un des animaux les plus à l’honneur durant l’Antiquité chez la totalité des anciens peuples européens. Ainsi les mythologies européennes, depuis les côtes de la Méditerranée jusqu’au nord de la Scandinavie (songer aux guerriers-loups, équivalents des Berserkers), relient le loup à la fécondité, à la protection, à la destruction, à la punition, au soleil et aux divinités héroïques qui incarnaient ces valeurs comme Apollon ou Belen. L’aspect particulier de l’approche des peuples indo-européens est que le loup symbolise à la fois la protection et la destruction. Il existe donc à l’origine une dualité dans le culte de cet animal.

Avant le développement de l’agriculture et de l’élevage, de nombreux peuples d’Europe se disaient descendants des loups et vouaient ainsi un culte au dieu-loup ancêtre. On ne peut que faire le parallèle avec les descendants des Premiers Hommes qui possèdent le don de seconde-vue et qui peuvent incarner leur esprit dans des animaux, au premier rang desquels les loups (Bran, Jon Snow, certains Sauvageons). Ce n’est sans doute pas un hasard si Martin a choisi le loup qui fascine et peuple l’imaginaire de la plupart des sociétés pour représenter les Stark, qui possèdent l’éthique guerrière la plus proche de l’honneur, le sens du devoir le plus accompli et qui sont attachés aux anciens dieux et anciens cultes. Et si certains membres de la famille périssent, d’autres gardent toute la ténacité, la fureur et la fidélité du loup.

Enfin, comme l’écrit Christophe Levalois dans son excellent Loup, mythes et traditions, le loup devient naturellement l’emblème d’une alternative et d’une rébellion à leur société, à la manière des Stark se rebellant contre un roi illégitime ou fou, ou d’une Arya brisant les codes pour parvenir à ses fins, tout en restant fidèle aux siens.

Le dragon des Targaryen

Devise : « Feu et Sang ». Dans la tradition occidentale (mythologie grecque, celtique et nordique), il s’agit d’une créature reptilienne ailée et soufflant le feu, que nombre de héros ou dieux doivent combattre afin d’établir (de rétablir) l’ordre sur le monde. Ce sont avant tout des créatures liées à la terre et au feu, symbole de la puissance des forces naturelles. Ils rejoignent par ces caractéristiques les anciennes créatures chtoniennes à l’allure de serpent des mythologies indo-européennes : Apollon combattant Python, Krishna rivalisant avec Kaliya…

Ils garderont par la suite cet aspect sauvage à des fins plus matérielles la plupart du temps associées à la surveillance de quelque chose. Cette caractéristique est inscrite dans le nom même du dragon : l’origine du mot grec drákōn dérive de drakeîn, aoriste du verbe dérkomai, signifiant « voir, regarder d’un regard perçant ».

Il est intéressant de noter par ailleurs que le choix du dragon pour les Targaryen venant de l’antique Valerya (pouvant représenter l’empire romain mais aussi l’empire mythique comme l’Atlantide) est un symbole se retrouvant dans toutes les civilisations (de l’Asie aux civilisations précolombiennes d’Amérique).

Associé à la devise « Sang et Feu », le dragon tricéphale porte ainsi en lui la puissance destructrice et une antique sagesse.

Le lion des Lannister

Devise : « Je rugis ». Le lion est un animal connu pour sa force et sa puissance ; il est aussi susceptible, belliqueux, voire sanguinaire. Le mythe d’une relation mystérieuse entre l’homme et le lion est aussi ancien que l’humanité. La statuette la plus ancienne connue à ce jour est un “homme-lion”, sculpté dans une défense de mammouth il y a environ 30.000 ans et retrouvé dans le sud de l’Allemagne, à Neandertal dans la Souabe. Des peintures rupestres représentant, elles, une horde de lions, datant sensiblement de la même époque, ont été récemment découvertes dans la grotte Chauvet.

A toutes les époques, le fauve s’est taillé la “part du lion” sur les armoiries et les bannières et il est par ailleurs incontournable dans les mythes et les légendes du monde entier (penser au « Yvain le chevalier au lion » de Chrétien de Troyes). Son impressionnante crinière est évocatrice du soleil, et aucun autre animal n’a servi autant que lui de symbole. Signe du zodiaque, il est assimilé à un caractère qui aime commander.
Ainsi, le roi des animaux incarne la puissance et la domination. Depuis des millénaires, les rois l’ont choisi pour emblème. Dans certaines religions, il est le compagnon des dieux. Dans les cultures antiques d’Asie mineure, certaines divinités ont une apparence léonine. Certains écrits mythologiques mentionnent des êtres hors du commun, les demi-dieux à la force (de caractère) fabuleuse qui, seuls, parviennent à dompter cet animal (comme Héracles et le lion de Némée).  En Europe, le lion, symbole de domination, est repris dans le patronyme de grands souverains (Richard cœur de lion, Henri le lion). Dans l’héraldique, le lion est aujourd’hui encore très présent : les armes de la Finlande, qui n’est pas à proprement parler la terre naturelle des lions, représentent un lion depuis le XVIe siècle, et sur les 16 länder allemands, 6 arborent fièrement le félin. Lyon a repris les armoiries médiévales des comtes de Lyon, qui arboraient bien évidemment un lion, et la ville de Belfort est gardée par un lion en pierre de 20 mètres de haut.

Famille la plus puissante des Sept Couronnes après les Targaryen, accédant au trône à la mort de Robert via « ses » fils, les Lannister portent bien leur armoirie, même si le choix du lecteur/spectateur se porte sans doute plus naturellement (affectivement) vers le loup ou le dragon que le lion !

La Rose des Tyrell

Devise : « Plus haut, plus fort ». La flore en héraldique n’apparait que tardivement dans les armoiries est d’un emploi rare. Seules les armoiries paysannes font exception en puisant la majeure partie de leurs figures dans le règne végétal. D’une manière générale, les armoiries reconnaissent toutes les espèces d’arbres et de fleurs. Les arbres sont identifiés par leurs fruits et leurs feuilles, ces dernières pouvant être traitées séparément et constituer un meuble à part entière, feuille de chêne, feuille de houx, feuille de tilleul… Les fleurs et les légumes font une apparition plus tardive encore dans le répertoire des figures héraldiques ; il faut attendre les armoiries du XVIIe siècle pour qu’ils soient véritablement pris en considération. Plus intéressant sont les motifs floraux stylisés hérités pour certains d’éléments ornementaux et décoratifs fort anciens. Le trèfle, la plus simple de ces figures, s’apparente à la tiercefeuille, à la quatrefeuille et à la quintefeuille. La rose héraldique, constituée de cinq pétales, se différencie peu de la quintefeuille ; elle tient plus de l’églantine que de la rose proprement dite.

Le choix de ce symbole marque ainsi la différence de la maison Tyrell avec les autres maisons, non du fait de leur puissance, mais parce que l’ascension de leur maison est plus récente, prenant la place des Jardinier pendant le règne des Targaryen.

Ainsi, la place et la portée des armoiries dans l’œuvre de Martin et de son adaptation télévisée est essentielle. Comme le rappelle Jean-Luc Duvivier de Fortemps (Le Brame, images et rituels, 1997) : « le mythe prend alors toute sa signification, moment singulier où notre fascination envers cet animal chargé de symboles rejoint, à travers les millénaires, celles des premiers chasseurs de la préhistoire ». D’une certaine manière, en se reconnaissant dans telle ou telle maison, arborant tel ou tel blason dont le sens héraldique nous plonge dans les plus anciennes traditions de nos peuples, le lecteur/spectateur retrouve de son « européanité ». Alors que les programmes scolaires ne décrivent même plus les armes de la France et que les « symboles » des régions françaises se limitent à un logo minable sur les plaques d’immatriculation, le lecteur/spectateur découvre là une richesse de notre héritage européen.

Et puis, n’est-il pas plus agréable de voir foisonner des T-shirt arborant des arrachés de loup plutôt qu’un drapeau américain ou un super héros Marvel ?

A suivre.

Harald S. – Promotion Dominique Venner

Crédit photo : C.C. Chapman via Flickr (cc)

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