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Transmettre ou disparaître : l’importance des archives

L’enracinement d’un homme dans un lieu passe par la connaissance des hommes de son sang qui ont vécu sur cette terre.

Transmettre ou disparaître : l’importance des archives

Si la transmission est un combat, l’archivage est le premier réflexe de survie. « Il existe une conscience d’archiviste à laquelle il faut savoir se sacrifier soi-même, écrit Ernst Jünger à la fin d’Eumeswil. Donc, je m’incline devant elle, je mets ces feuillets sous scellés et je les dépose à l’Institut »… Cet article constitue la trace écrite du travail de fin d’étude d’Alix Limier, auditrice de l’Institut Iliade (promotion Don Juan d’Autriche, 2016/2017).

Archives… On s’imagine aisément des rayonnages de cartons poussiéreux classés avec minutie par un paléographe. Depuis bien longtemps, des archivistes se sont faits les gardiens des traces du passé avec constance. Mais les « archives » représentent bien plus que ces dossiers de sous-sols ou de musées : ce sont des mémoires vivantes. Vous connaissez ce grand-père qui range patiemment revues, affiches ou photos thématiques. Ou ce passionné qui accumule un peu moins soigneusement les livres concernant son sujet favori. Intellectuelle ou émotionnelle, il existe différentes modalités d’appropriation des archives : chacun à sa manière est un archiviste. Et fort heureusement car, au-delà des missions postérieures de classement et d’exploitation, le premier devoir de l’archiviste est la sauvegarde du passé. Les archives constituent des instruments non seulement de recherche et mais surtout de transmission. Pour cela, encore faut-il que celui qui cherche dispose d’archives adéquates.

À chacun ses archives…

La transmission du passé grâce à l’archive est menacée par plusieurs dangers. D’abord celui que l’archive disparaisse faute d’avoir été considérée comme telle. Ensuite, celui de ne pas rentrer dans le périmètre des archives exploitables (physiquement ou politiquement). Et finalement, le danger que l’archive soit interprétée de manière erronée ou malhonnête.

Chaque année, de la même manière que des monuments historiques sont déclassés, nombre d’archives publiques sont détruites. Cette destruction d’archives s’exerce de manière institutionnelle depuis la Révolution via des bordereaux d’élimination de documents. Quant aux archives privées, elles n’ont pas de définition juridique positive et recouvrent une infinie variété (des familles aux d’entreprises en passant par les associations), dont seule la vigilance de l’archiviste et le hasard des transmissions définissent le périmètre.

Chaque famille détient ses propres archives. L’enracinement d’un homme dans un lieu passe par la connaissance des hommes de son sang qui ont vécu sur cette terre. Pour en trouver un exemple remarquable, tournez-vous vers les Souvenirs pieux de Marguerite Yourcenar. A partir de quelques cahiers intimes, boîtes de souvenir, bribes de récits qu’on lui a faits et registres paroissiaux, elle bâtit une chronique familiale qui à elle seule dépeint l’évidente permanence de ses parents en terre de Flandres. Vous pouvez aussi réaliser un test simple : qui autour de vous connaît le métier et le lieu de vie de ses quatre bisaïeux ? Des familles entières ont perdu leur histoire faute de l’avoir transmise oralement ou matériellement sous forme d’archives. Rares aussi sont ceux qui détiennent tous les patronymes de leurs ancêtres consignés dans un carnet. Le regain d’intérêt actuel pour la généalogie témoigne peut-être d’un besoin d’identité. Malheureusement, reconstruire le passé à partir de registres communaux donne des résultats bien souvent médiocres comparés à la richesse de la réalité ancienne.

A un niveau collectif, les archives constituent la source privilégiée de l’Histoire. L’archive est justement la trace du passage des hommes dans l’histoire, un matériau brut et authentique. Si certains documents génèrent d’eux-mêmes un discours et possèdent une signification inhérente, d’autres ne peuvent se passer d’une interprétation pour devenir intelligibles. Quand tant d’historiens, journalistes ou « essayistes » fondent leurs travaux sur des bibliographies et des citations de citations, il est parfois bon de se replonger dans la source originelle. Car tout livre, en tant que mise en forme du savoir, est aussi un effacement de l’histoire : l’historien sélectionne et par là-même efface. Ainsi, ceux qui constituent et ceux qui interprètent les archives sont maîtres : ils sont ceux qui maîtrisent le support matériel de la mémoire collective, ils sont ceux qui écrivent le passé.

Sophocle avait déjà constaté que « la justice ne couche jamais dans le lit des vainqueurs ». Il suffit de voir comment l’histoire la plus élémentaire est aujourd’hui enseignée et quelles archives peu représentatives sont mises en avant dans les livres scolaires. Même l’anodine Bibliothèque Verte en a fait les frais puisque certains de ses classiques ont été « simplifiés » et « modernisés » pour s’adapter au niveau intellectuel et au milieu culturel des enfants vivants aujourd’hui en France. Archiver et sauvegarder, c’est aussi assurer que le passé pourra être rouvert dans le futur.

Devoir et difficulté de transmettre

Les archives sont donc un devoir puisqu’elles sont un outil de la transmission. Il faut d’abord conserver pour être capable ensuite de transmettre.

Aujourd’hui, posséder une bibliothèque chez soi est quasiment un acte de révolte contre le monde moderne et sa violente obsession de rentabilité. La multiplication du « papier » pose à tous la même question de locaux. Disposer d’une bibliothèque est aussi un acte de résistance à la pression de l’utilité. Lire, n’est-ce pas perdre un temps précieux ? Les lycéens voire nombre d’étudiants s’efforcent de trouver des résumés courts et « efficaces » d’ouvrages qu’ils ne liront jamais. Les écrits en novlangue rapide et énergique pullulent. Des programmateurs mettent au point des systèmes qui condensent tous les grands ouvrages en petits fascicules de cinq pages pour les mettre « à la portée de tous ».

Ainsi, tout semble tendre à la disparition des bibliothèques. Ces écrins de savoir sont pourtant les figures de proue des archives. Elles font partie de ces lieux qui donnent envie de savoir, d’apprendre, de découvrir. Pour peu, on les croirait dotées d’une âme : elles respirent la force tranquille qui passe le temps et transmet le flambeau. La sérénité et la plénitude qui s’y imposent naturellement marquent le respect qui leur est dû.

L’illusion actuelle est de croire que toute connaissance se retrouve grâce aux technologies modernes et que les archives entrepreneuriales n’ont plus lieu d’être. Il est certain que le déploiement des nouvelles technologies a entraîné le développement de nouvelles compétences… dont celles qui permettent de falsifier très aisément un document. En outre, la probabilité d’aboutir à une bibliothèque numérique qui présente un état complet des collections est infime. Les archives physiques restent les riches dépositaires de fonds dont beaucoup ne sont disponibles nulle part ailleurs dans le monde. D’ailleurs, si vous effectuez aujourd’hui une recherche sur internet, vous constaterez que les références mises en avant sont récentes. Le jour où nous voudrons retrouver une vérité malmenée, déformée ou effacée, ce n’est pas Wikipédia qui apportera une réponse fiable : cette encyclopédie est fort pratique mais soumise en permanence au contrôle de la bien-pensance et aux manipulations politiques.

Les archives ne doivent donc se concevoir ni comme un lieu d’entreposage, ni comme une affaire rentable. Elles sont un acte communautaire et militant, nécessaire à la préservation de la mémoire européenne.

De la nécessité de bâtir des archives associatives pour notre cercle

Trop souvent des bibliothèques entières ou des documentations patiemment accumulées durant des décennies disparaissent, sont vendues, bradées, dispersées, ou simplement jetées faute de place ou de temps.

En lien avec l’Institut Iliade, Emmanuel Ratier avait réfléchi aux conditions d’une meilleure préservation des archives privées comme partie intrinsèque de notre héritage. L’idée étant de créer de grandes « archives associatives » pour que les hommes qui ont bâti à leur échelle des archives et bibliothèques puissent les transmettre et les préserver de la dispersion.

Il faut continuer de développer notre corpus avec nos propres références. Si un jeune étudiant souhaite étudier sérieusement la nouvelle droite, vers qui se tournera-t-il ? Si un ancien désire que ses collections patiemment réunies autour de la guerre d’Algérie ou des combats anti-marxistes des années post-1968 en Europe soient disponibles pour être étudiées, vers qui se tournera-t-il ?

Il est remarquable de constater que le service de préservation des fonds initié par Emmanuel Ratier rejoigne les préoccupations des propriétaires, aujourd’hui de plus en plus soucieux de préservation et de transmission, et conscients qu’il s’agit d’un enjeu de mémoire et d’identité – donc de civilisation – qui engage leur responsabilité. Ernst Jünger parlait d’ailleurs de cette « conscience d’archiviste à laquelle il faut savoir se sacrifier soi-même » avant d’aller déposer certains de ses feuillets aux archives…

Emmanuel Ratier avait parfaitement défini l’objectif justifiant cette initiative : « Si je veux ce lieu, ce n’est ni pour faire de l’entreposage, ni pour espérer monter une affaire rentable. C’est un acte militant, pour préserver la mémoire européenne. Dans quelques années, quand les gens ne se souviendront plus de l’Histoire réelle et qu’internet n’imposera qu’une version biaisée, ces livres seront là pour que nos enfants retrouvent la vérité. »

Alix Limier – Promotion Don Juan d’Autriche

Pour écrire aux archives associatives : archivexin@orange.fr ou via le site internet : aav.io
Par courrier postal : Institut Emmanuel Ratier – Archives associatives du Vexin – BP 19, 60240 Chaumont-en-Vexin.

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