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Maugis est sorti plus enchanteur de la fontaine de jouvence !

Christopher Gérard nous enchante d’une version remaniée de son roman Maugis, publié une première fois en 2005.

Maugis est sorti plus enchanteur de la fontaine de jouvence !

Maugis. Derrière ce titre étrange vous attendent des pages vibrantes de pure poésie. Le héros éponyme peut bien porter un nom spongieux comme la terre brabançonne, son initiation l’emmène loin de Bruxelles, de l’Irlande à Bénarès. Pérégrination géographique secondaire au demeurant, tant l’emporte le cheminement spirituel du héros.

Une jeunesse en quête

Le roman se distingue d’abord par l’exigence de son thème central. Qu’attendre d’une « initiation » au siècle de ces tripots mal famés que sont les loges ? Et faut-il encore se soucier d’un « cheminement spirituel », si galvaudé au temps de la psychologie de bazar ? Nous répondons : plus que jamais, quand le romancier dans la force de son art est l’ancien directeur d’Antaios. Mais n’en dévoilons pas davantage ici sur cette Phratrie des Hellènes où le jeune François d’Aygremont prend le nom de Maugis.

Le roman se présente comme une série de carnets relatant, bien après sa mort, l’histoire d’un « égaré » promis au destin d’ « enchanteur ». L’époque ? Une décennie fatale du siècle dernier, cette charnière de plomb autour de la Deuxième Guerre mondiale, qui voit l’Occident déshonorer coup sur coup la guerre et la paix.

Mais Christopher Gérard, réfractaire d’un siècle à l’autre, dévoile un drame plus puissant et subtil que la rengaine autorisée en la matière. Les rudes combats de 40 dans les Ardennes ouvrent le roman avec fracas. Cette densité ne faiblit pas, portée par des péripéties d’une toute autre tonalité. L’analepse du deuxième carnet offre en contraste l’évocation d’une avant-guerre lumineuse passée à Oxford. Cette Athènes moderne où resplendit l’excellence parée de décence, une clarté hellénique que tamisent seulement les brumes… de la Tamise. Sparte et Athènes : la guerre et l’étude valent comme deux tutrices avant d’entrer sur le théâtre impitoyable qu’est Bruxelles au temps de l’Occupation.

Dans cette partie principalement, Maugis est un classique « roman de formation ». Le héros ne renoue pas avec la source antique pour planer au-dessus des épreuves de la vie, mais pour les traverser dans toute leur intensité, aux antipodes d’une conception désincarnée de la sagesse. Le jeune homme est exposé à la séduction féminine, à la tentation du succès facile et du pouvoir, à la jouissance vulgaire. Les circonstances apocalyptiques de la guerre se prêtent à merveille à un roman : la Résistance, le milieu interlope du renseignement, les cabarets tenus par des Russes blancs et leur cortège de tentatrices… L’intrigue romanesque se mêle habilement à la grande histoire.

Un authentique poème face aux forces du néant

Sur le chemin de son accomplissement, le héros trouve deux écueils : femme et homme. La belle Machenka, d’abord. Une beauté slave corruptrice. Mais elle semble agir pour le compte d’Aschenbach, l’officier SS superbe et maléfique. Ce serait lire le roman de travers que de voir à travers la malignité du personnage une leçon d’histoire moralisatrice. Il est permis de voir dans Aschenbach cette figure récurrente chez Christopher Gérard du père dévoyé et corrupteur. En effet, Maugis n’a pas connu son père, et sa quête la plus douloureuse revient à comprendre d’où il vient pour enfin connaître son destin. Les manigances du sombre personnage manquent d’avilir Maugis, puis précipitent son voyage aux mystérieuses îles d’Aran, où le génie celte retrempe les forces du jeune initié. Viendront encore deux villes mythiques où se poursuit la quête du héros : Rome l’éternelle et l’intemporelle Bénarès.

Comment jouer habilement de ces évènements historiques, sinon explosifs ? D’abord par un art consommé du roman. Ensuite en soumettant l’intrigue à un cheminement ésotérique dont les péripéties ne sont que le support. Bien qu’entraînante, l’intrigue reste un leurre. Ainsi se dévoile un second niveau de lecture, consacré à la lumineuse initiation du poète. Qu’importe la mystique en toc des « Teutoniques », tout autant que le débilitant cirque commercial. Le dédain affiché pour ces vanités rehausse l’immense enjeu de la renaissance spirituelle – le grand sujet du roman. On ne saurait assez en souligner la virtuosité. Telle péripétie n’aboutit pas à la suivante, mais se consume en une illumination ésotérique. Au récit de la mort des résistants de la vingt-cinquième heure, on semble être témoin de la réalité pour la première fois.

Christopher Gérard renouvelle Maugis, paru une première fois en 2005. Un tel travail de remaniement ne concerne que secondairement l’histoire. L’essentiel est dans le style, et quel style ! Ce roman dur et poli comme l’ivoire, on y plonge aussi légèrement qu’en la fontaine de jouvence. La langue est tant acérée que dense, sans sècheresse. Pas ronde, mais pleine. Parfois survient une page galbée de détails gastronomiques, mais épurés et comme parfumés d’ambroisie. La netteté de l’expression nous rend intelligible la vision du poète. Et s’exhale de la songerie frémissante le chant le plus authentique de la Muse.
Certains livres donnent à penser ; ce roman donne à prier.

Thibaud Cassel