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« L’ère des soulèvements » : la nouvelle prophétie de Maffesoli

Pour le grand sociologue de l’imaginaire, les temps postmodernes agonisent convulsivement sous nos yeux. L’ère des révoltes a commencé – et le peuple a raison de se rebeller ! Lecture d’un essai flamboyant.

« L’ère des soulèvements » : la nouvelle prophétie de Maffesoli

Professeur émérite de la Sorbonne et membre de l’institut universitaire de France, docteur en sociologie mais également ès lettres et sciences humaines, Michel Maffesoli est l’auteur d’une œuvre internationalement reconnue. Ennemi du politiquement correct par son esprit libre, l’auteur nous livre dans son dernier essai, L’ère des soulèvements, son analyse historique et sociologique de l’effervescence populaire grondant en ces temps de « psychopandémie » gouvernée par un « totalitarisme doux ».

Toujours menteuse est la ligne droite… courbe est toute vérité, le temps lui-même est un cercle.
Friedrich Nietzsche

La crise sanitaire a engendré de nombreux bouleversements sociétaux, à l’image d’un catalyseur chimique : elle révèle et accélère les changements latents sans participer réellement à ceux-ci.

Les derniers soubresauts de la modernité

Michel Maffesoli décrit comment cette prétendue crise sanitaire manifeste les apories et les fragilités de la société actuelle. L’arrogance de sa sophistication n’aura pas suffit à cacher ses insuffisances. Son angle mort s’est divulgué à mesure de l’horrible décompte : la fatalité de la vie dévoilée aux yeux de tous et en permanence.

Rassuriste avant l’heure, Big Brother veille au grain sur ses concitoyens. Pour l’espoir d’une place sur un lit d’hôpital tous les sacrifices sont bons. Après tout, une vie vaut une vie, la sacro-sainte mission est d’en sauver le plus possible ! Peu importe l’âge du malade, son obésité morbide et ses comorbidités, l’important n’est pas là.

À ce moment précis débute le totalitarisme doux : il faut accepter l’injonction étatique de peur de devenir un citoyen de seconde zone, illégitime de fréquenter les lieux publics ! Leur conception de la démocratie s’arrête là où débute l’urgence, rappelons-le : décrétée par eux, au nom de ce qu’ils nomment la Science, ils vont taxer de populistes, rassuristes voire de complotistes tous ceux qui n’adhèrent pas à leurs lieux communs.

« L’ère des soulèvements » : la nouvelle prophétie de Maffesoli Le spectre eugéniste, l’asepsie de la société et le risque zéro dépossèdent le citoyen ordinaire du droit de risquer sa vie, d’accepter la finitude inhérente à son existence. L’émergence du « virus du bien » fait florès, virus dont le symptôme principal est d’ânonner les sornettes gouvernementales. Les zélés poltrons et leur moraline infectent la vie sociale jusqu’à la rendre clivante et fragile. Citant Marx à propos de l’oligarchie, Michel Maffesoli rappelle que celle-ci « n’a pas de morale, elle se sert de la morale ».

Dans cette dramatisation perpétuelle de la pandémie entretenue par la sphère politico-médiatique se joue une structure anthropologique fort ancienne : la stratégie de la peur. Brandissant des études de plus en plus terrifiantes, prédisant des millions de morts, exhibant des malades et décomptant les morts quotidiennement, le gouvernement use de tous les moyens pour susciter la crainte de la maladie et de la mort. De pandémie, elle devient psychopandémie : le virus est dans toutes les têtes et le sujet de toutes les craintes.

La société moderne en décadence

Pour Maffesoli, la décadence actuelle n’est pas un rêve populaire, encore moins une hallucination de partisans politiques. C’est un constat insistant et fatal de la société contemporaine.

Comment penser autrement les nombreuses effervescences populaires luttant contre le libéral-capitalisme, la crise de la représentativité, l’inquisition informationnelle, l’épistémologie individualiste brisant l’être-ensemble véritable ou encore l’occultation de la mort du champ de la vie ?

À l’opposé des sociétés traditionnelles obéissant à la nature et à son eurythmie vitale, la société moderne fantasme ses principes abstraits pour les placer à l’endroit du réel : les jeunes générations sont sacrifiées sur l’hôtel de l’égalité au profit de celles ayant déjà accompli leur cycle naturel. Ceci sans aucune considération pour le cycle du monde, autrement dit de la nature même : mors et vita !

S’opposent ici deux visions du monde diamétralement distinctes. La société traditionnelle pleine de pensées et d’actions de la « vie vivante » est celle qui sait intégrer la finitude consubstantielle à l’humaine nature, où il faut s’accommoder d’un destin tragique, où l’aléa, l’aventure et le risque occupent une place de choix. Tandis que la société moderne est dite « progressiste », c’est-à-dire que le mythe du progrès, notamment par la science, constitue le salut de l’époque. Cette société dépasserait dialectiquement le mal, la dysfonction – et pourquoi pas la mort !

Le totalitarisme doux à la rescousse des derniers aristocrates

L’aristocratie a trois âges successifs : l’âge des supériorités, l’âge des privilèges, l’âge des vanités ; sortie du premier, elle dégénère dans le second et s’éteint dans le dernier.
François-René de Chateaubriand

Cette déconnexion du cycle même des choses est doublée d’une séparation très nette entre le peuple et les élites, d’un partage entre les désirs fougueux de la puissance populaire et les rêves technocratiques et oligarchiques du gratin politique et financier.

La faille se continue dans les discours : l’opinion publiée est totalement déconnectée de l’opinion publique. Les élites, c’est-à-dire ceux qui ont le pouvoir de dire et de faire, forment une nouvelle inquisition, « l’infosphère », organe de propagande à sens unique, punissant les contradicteurs par la mise à l’Index. Le modus operandi de la fourberie en cours : loi du silence, faux témoignages, informations truquées, demi-vérités… La « canaille mondaine » s’arrange avec les pratiques démocratiques pour maintenir la peur de l’enfer contemporain : le fameux virus et son corollaire – une mort terrible.

Cette violence totalitaire est celle d’une « bureaucratie céleste » sentant bien le retour à un ordre des choses bien plus naturel, raison pour laquelle les élites s’emploient à attiser la peur pour faire perdurer les valeurs des temps modernes, à savoir « l’individualisme épistémologique grâce à un rationalisme généralisé au motif d’un progressisme salvateur »

Leurs discours nimbés d’incantations scientistes par d’éminents « experts » peinent à convaincre, le bon sens populaire s’en méfie vivement : en attestent les multiples révoltes contre l’ordre établi.

Effervescence populaire et enracinement dynamique

Omnis auctoritas ad populo (« Toute autorité appartient au peuple »), rappelle utilement Michel Maffesoli. Les soulèvements récents (gilets jaunes, manifestations anti-pass et anti-vaccin, entre autres) marquent une véritable secessio plebis. Le peuple ne se reconnaît plus dans le gouvernement, il fait sécession.

Le resurgissement du « sentiment tragique de l’existence » visible à travers les insurrections du pays réel contre le pays légal, de la sensibilité populaire voire de l’instinct ancestral venu du fond des âges, rappelant qu’au-delà et en deçà des droits, il y a des obligations nous rendant dépendant de notre communauté.

L’impératif « atmosphérique » est alors évident. C’est celui de la révolution, au sens premier de revolvere : faire revenir ce que l’idéologique progressiste s’était employée à dépasser. Car « la volupté de la destruction est en même temps une volupté créatrice. »

Chez Maffesoli, l’analyse propre à la post-modernité à venir met en relief le renouveau de la notion de limite. La frontière, le territoire, le terroir… redeviennent d’actualité. Le lieu fait lien. « Si le pont a caractérisé la modernité, le désir de la porte retrouve une force et une vigueur indéniable. Un oxymore peut résumer cela : l’enracinement dynamique ! »

L’éthique post-moderne en gestation, contrairement à la morale universaliste des Lumières, consiste dès lors à reconnaître cette part d’ombre, rappelant que c’est le clair-obscur qui est le propre même de toute existence individuelle ou collective. C’est cela qui constitue l’idéal communautaire propre au « temps des tribus » décrit dans un précédent ouvrage de l’auteur.

Crise sanitaire, crise de civilisation

La modernité, c’est-à-dire « l’esprit du capitalisme », est en bout de course. Le peuple est saturé d’un ensemble de valeurs de plus en plus désuètes.

La crise sanitaire n’est qu’une modalité de la crise sociétale en cours, d’un changement de paradigme bien plus profond. Ce changement se caractérise par la dégénérescence du mythe progressiste et de ses scories – la domination sur la nature, l’excès de rationalisme, l’individualisme et l’économisme dominant.

Les sagesses antiques refont surface : l’obligation essentielle décrite par Heidegger, Sein zum Tode (« être pour la mort »), qui est une autre manière de dire la finitude, mais aussi l’accord avec la nature (« on ne commande bien la nature qu’en lui obéissant ») et sa conséquence : le besoin d’un mode de vie enraciné.

Ainsi, les mouvements populaires actuels, sous leurs multiples formes, expriment la nécessité de la solidarité face à la mort omniprésente – solidarité propre à un « idéal communautaire ». La mort de la civilisation utilitariste où le lien social est à dominante mécanique, permet de repérer la réémergence d’une solidarité organique. Ce qu’avait également analysé Georges Dumézil en rappelant l’interaction et l’équilibre existant, à certains moments, entre les « trois fonctions sociales ».

Voilà en quoi la crise sanitaire est porteuse d’une crise de civilisation, mais aussi une crise salutaire. Michel Maffesoli rappelle ainsi que « la tradition, ce sont les racines d’hier, toujours porteuses de vitalité. L’authentique intelligence ‘progressive’, spécifique de la sagesse populaire, c’est cela même comprenant que l’avenir est un présent offert par le passé ».

Malgré la muselière, malgré la grégaire solitude forcée par les confinements répétés, malgré la répression et la marginalisation des résistants, le peuple se soulève pour reprendre la place qu’il n’aurait jamais dû quitter et l’instrument de son pouvoir : sa souveraineté.

Le monde d’après est déjà là, et ce n’est pas celui dont rêvent nos adversaires : la circulation des élites dans un futur proche achèvera leurs rêves totalitaires, pour un revenir à la simplicité des communautés traditionnelles et vivantes.

Hugo Le Bougnat – Promotion Leonidas

L’ère des soulèvements, par Michel Maffesoli, Les éditions du Cerf, 2021, 181 p., 19 €.