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Archerie et arts martiaux japonais

Le Sentier, la Voie « n’est rien d’autre que le méridien central sis au cœur de la moelle épinière à travers lequel le pratiquant au cours de sa vie cherche à s’élever de l’obscurité (l’ego) vers la lumière (le Soi). » Michel Coquet, Le Kyûdô.

Archerie et arts martiaux japonais

L’histoire des guerriers japonais, leurs techniques de combat et leur éthique fascinent le public occidental. Études, romans, films, animations et mangas nous offrent une image souvent trompeuse sur ces hommes dépeints comme des fanatiques, des serviteurs zélés, fidèles jusqu’à la mort, le drame de la Grande Guerre en Asie venant pour beaucoup confirmer cette interprétation des guerriers japonais. La guerre terminée, le Japon pacifié et placé sous tutelle nord-américaine s’efforce d’oublier ce passé violent et militariste et de forger une nouvelle image, que l’on appelle depuis peu, le Cool Japan.

La soif du public européen et nord-américain pour une spiritualité exotique, et par conséquent plus vraie, plus authentique, a favorisé le développement en Occident des arts martiaux modernes, exportés du Japon. Le budô, apparu au début de l’ère Meiji, représente aujourd’hui l’image que le Japon et les Japonais souhaiteraient se donner d’eux-mêmes au monde. Un grand écart donc entre le Hagakure de Yamamoto Tsunetomo (et son apologie contemporaine, Le Japon moderne et l’éthique samouraï de Mishima Yukio) et les publications contemporaines sur les arts martiaux mettant en avant le développement personnel masquant en réalité, dans le cas du kendô par exemple, une activité sportive occidentalisée.

Le livre de Michel Coquet, Le kyûdô, art sacré de l’éveil, paru cette année aux éditions du Chariot d’Or (groupe éditorial Piktos) apporte un éclairage « objectif », reposant sur une longue et sincère « expérience » de la méditation, des arts martiaux en général et du kyûdô en particulier. […] Loin du tape-à-l’oeil, Michel Coquet, né en 1944, a sincèrement voué sa vie à l’apprentissage des arts martiaux japonais (karaté, kenjutsu, ïaïdô, kyûdô, aïkidô, etc.), un apprentissage spirituel, car le budô, la voie du guerrier, ne peut être assimilée à un sport ou à une discipline olympique (tel le judô, et comme une partie de la fédération internationale de kendô le souhaiterait). Au Japon, une grande compagnie de sécurité sponsorise des lutteurs, des kendôkas, et les « matches de sumo » flairent bon le business… Actuellement le budô inclut de multiples disciplines, comme le judô, le kyudô, sumô, l’aïkidô, shôrinji kempô, naginata, jukendô : le guerrier de jadis est aujourd’hui éclaté en de multiples disciplines édulcorées. En somme, « budô » désigne les « arts martiaux » depuis l’ère Meiji (1868-1912). Avant cette date, on employait les termes de « bugei » et de « bujutsu », et même « l’ancienne voie du guerrier », ou « kobudô », est un néologisme. Bugei, ou l’« art du guerrier » est une appellation caractéristique de la période d’Edô, où l’art militaire s’inspirait des autres domaines artistiques, comme le noh (pour les déplacements et les postures) ou la cérémonie du thé (les katas), ce qui manifestait une volonté d’esthétiser les techniques de combat.

De l’importance spirituelle de l’homme

Les auteurs contemporains rappellent non sans raison que l’idéophonogramme désignant le guerrier « bu » (武) se décompose en « hoko », partie supérieure du tracé ressemblant à deux lances entrecroisées signifiant « lance, hallebarde » et, dans sa partie inférieure « tomeru » (止arrêter), soit une idée défensive, proche de l’idéal de la shinkage-ryu, le « sabre de vie ». L’interprétation la plus satisfaisante, car la plus ancienne, rappelle que le radical « tomeru » serait dérivé d’un idéogramme d’une graphie proche signifiant « pied » ce qui désignerait l’homme portant les armes pour la bataille ou le fantassin. Une autre, toute aussi pertinente et en relation avec l’objet du livre de Michel Coquet, serait que l’ensemble du kanji « bu » serait un dérivé d’un autre idéogramme homophone désignant la « danse », en particulier dans sa dimension religieuse, ce qui souligne la place de la spiritualité dans les arts martiaux depuis leur origine.

La « Voie » (道) est un terme polysémantique signifiant prosaïquement « point de passage », « voie », « distance », un terme qui se réfère aussi à des concepts philosophico-religieux, comme une manière d’agir, un domaine de la connaissance, une discipline, un état, une essence, un secret… Dans la Chine antique, et en particulier le taoïsme, il était employé en référence aux grands principes de l’univers. Dans son acception contemporaine, « dô » insiste sur l’importance spirituelle, et non uniquement sportive ou physique, de l’individu. La « Voie » est un moyen de développement et d’accomplissement personnels. Le kyûdô est celle de l’arc, un chemin comme tant autre susceptible de conduire à l’éveil (au sens bouddhique du terme).

Après l’invention du propulseur, l’arc est la première machine issue de l’imagination humaine, une machine autonome permettant de dépasser les limites de l’anatomie, une machine permettant de tuer aussi bien pour se nourrir que pour assurer la défense du groupe. Elle était l’arme de prédilection des communautés de chasseurs-cueilleurs, et pour tous ces motifs cette arme faisait l’objet de vénération (lire Michel Otte, À l’aube spirituelle de l’humanité, Odile Jacob, 2012). Dans son ouvrage, Michel Coquet se concentre sur l’aire culturelle asiatique, et en particulier l’antiquité du sous-continent indien, la Chine et le Japon. L’arc tient une place importante dans les mythologies et les traditions asiatiques (et indo-européennes, il suffit de se rappeler les épreuves infligées par Pénélope à ses prétendants…) : l’auteur consacre un beau chapitre à la lecture et à la compréhension du « joyau spirituel » qu’est la Bhagavad Gîtâ, mythe mettant en scène l’archer Arjuna, engagé dans une bataille plus spirituelle que militaire, la bataille pour la réalisation de soi.

L’arc, prolongement de l’homme éveillé

D’un point de vue historique et technique, les premières écoles d’archerie nippones seraient, selon la tradition, apparues au tournant des VIe et VIIe siècles au moment de l’introduction du bouddhisme dans l’archipel nippon. L’arc était utilisé monté et il était primordial pour un guerrier de savoir tirer à cheval, et diverses formes d’entraînement ont été mises au point : le tir sur un cheval lancé au galop, une chasse à courre ayant pour cible des chiens, ou bien encore le tir à longue distance à l’aide d’un arc spécifique, le tôya. L’arc était la pierre-angulaire des stratégies développées sur le champ de bataille, et les archers les plus habiles, capturés par l’ennemi, étaient parfois mutilés pour les empêcher de reprendre du service (pendant la Guerre de Cent Ans en Europe, on amputait un ou plusieurs doigts des archers faits prisonniers, souvent l’index et/ou le majeur, pratique à l’origine du doigt d’honneur). L’introduction des armes à feu par des marins portugais, en 1543, changera la donne. Comme en Europe, l’archerie est alors condamnée : d’habiles forgerons parvinrent à imiter et à améliorer les prototypes originaux et bon nombre de fusils de fabrication japonaise seront exportés à travers l’Asie. Toutefois, le fusil restera une arme sans valeur spirituelle, car dans le fond, les Japonais appréciaient les duels ou les moyens de mettre en valeur leur habileté et leur courage, ce qui était le cas des tireurs à l’arc monté et des fantassins combattant à l’arme blanche.

Lors de son séjour au Japon (1969-1973), Michel Coquet s’initia au kyûdô, et son dernier livre revient sur cette expérience, car dans les arts martiaux, la seule réalité c’est l’Expérience. Les katas que l’on répète inlassablement et avec sincérité pour maîtriser une technique martiale font partie de l’enseignement traditionnel, comme jadis l’apprentissage par la répétition et les moyens mnémotechniques (il suffit de relire L’Odyssée ou L’Iliade pour s’en rendre compte). La posture du corps, la manière de marcher, la respiration, participent à cette quête de la « non-pensée » ou du « temps éclaté » (le terme est de Kenji Tokitsu), toutes ces petites choses « oubliées », broyées par la conscience (et la modernité) et pourtant fondamentale et caractéristiques de notre espèce. Lire la suite sur le site de Metamag.fr

Rémy Valat

A lire : Le Kyudô – Art sacré de l’éveil, par Michel Coquet, éditions Chariot d’Or, 320 p., 25 €. A commander auprès de notre partenaire : www.europa-diffusion.com

Crédit photo : uzaigaijin via Flickr (cc)

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