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Comment se réveille un peuple ? Le cas hongrois

#ColloqueILIADE 2018 : Comment se réveille un peuple ? Le cas hongrois

Allocution de Ferenc Almássy, rédacteur en chef du Visegrád Post, lors du colloque « Fiers d’être Européens » le 7 avril 2018.

Mesdames, Messieurs, on m’a donné 15 minutes pour parler d’un sujet qui me tient à cœur, qui est je crois important à comprendre. Je vais donc tenter d’être bref.

Heureusement, je sais que le public de qualité qui remplit cette salle aujourd’hui me facilite la tâche. Je suis certain que tout le monde connaît au moins dans les grandes lignes la géographie et l’histoire européennes.

Avant de parler de l’actualité, il faut être au clair avec le contexte historique. Je vais vous parler essentiellement du groupe de Visegrád, du nom du château hongrois de Visegrád qui a vu les Rois de la région signer une alliance historique en 1335.

Un contexte historique de résistance

Le Groupe de Visegrád, qu’on appelle aussi V4, réunit la Pologne, la Tchéquie, la Slovaquie et la Hongrie. Ce qu’il faut en retenir est que ces pays, qui ont été des monarchies importantes durant le Moyen-Age, aux cours respectées et reconnues, aux armées importantes, ont fini par s’effondrer sous la pression extérieure à la fin du Moyen-Age, et depuis un demi-millénaire, ils ont été aux prises avec des grandes puissances hostiles. Le cœur de l’Europe a ainsi été occupé, pillé, divisé, dominé, conquis et colonisé. Cette pression constante sur des peuples déchus de leur gloire et de leur puissance a développé en eux une résilience, une conscience forte de leur identité constamment en péril. C’est un premier point essentiel pour comprendre cette région et sa mentalité.

Alors qu’à la fin du XXe siècle, le communisme s’effondre, tous pensent que le temps de la liberté est enfin revenu. Assez vite, l’on se rend compte que les salaires ne vont pas s’élever à la hauteur de ceux des occidentaux ; l’on se rend compte que l’UE n’est pas ce qu’on nous avait vendu ; l’on se rend compte que l’Ouest nous traite encore et toujours avec le même mépris, en particulier à travers sa presse ; l’on comprend que ceux qu’on voyait comme des libérateurs sont en fait, une fois de plus, des prédateurs.

Les Hongrois ne sont pas des profiteurs de l’aide européenne

C’est le second point important à saisir. Et je me permet là une parenthèse : peut-être certains pensent-ils que les pays d’Europe centrale profitent, tels des parasites, des mannes de l’UE qui proviennent des riches pays d’Europe de l’Ouest. Or il n’en est rien. Pour que cela se passe ainsi, il faudrait que l’UE soit un organisme de charité, et que Berlin et Bruxelles, mais aussi Paris, décident d’accorder ces importantes sommes à l’Europe centrale par pur humanisme, par générosité désintéressée…

L’observateur avisé saisit tout de suite que cela est absurde et impossible. La vérité, c’est que les fonds structurels qui abreuvent les pays d’Europe centrale ne ruissellent pas dans les poches des centre-Européens dont le niveau de vie est loin de rattraper celui de leurs frères de l’Ouest : alors que les salaires sont trois à quatre fois inférieurs là-bas, tout ce qui provient de la société de consommation et de l’industrie y a sensiblement le même prix.

Pour un euro de transféré par l’UE aux pays de Visegrád, 2 à 4 euros quittent l’Europe centrale sous forme de profits et autres revenus de la propriété. Vous l’avez compris, l’argent du contribuable ouest-européen est transformé en juteux bénéfice pour des multinationales et leurs actionnaires, à la sueur du travailleur centre-européen sous-payé. Nous sommes, Européens, dans le même bateau, et il ne faut pas écouter ceux qui voudraient de nouveau nous dresser les uns contre les autres… pour faire leur profit. Nous avons déjà payé trop cher par le passé cette erreur pour la commettre de nouveau.

Voilà donc qu’à l’histoire et au désenchantement économique et social du “Monde Libre” durant les dernières décennies, l’Ouest commence à vouloir imposer de plus en plus de profonds changements d’ordre moral, sociétal et anthropologique. Lorsqu’en 2011 la Hongrie a voulu interdire la gay pride, les Etats-Unis ont fait pression pour que ce ne soit pas le cas, par exemple.

Toutefois, la marge de manœuvre des pays d’Europe centrale, du fait du conservatisme européen traditionnel de la majorité de leurs populations, leur a permis de constituer quelques défenses et réactions face à ces objectifs idéologiques extérieurs, ou du moins de gagner du temps…

Et là vient le troisième point à comprendre pour saisir comment l’Europe centrale a connu un réveil identitaire : la crise migratoire de 2015.

La crise migratoire de 2015

En 2014, le groupe de Visegrád est en sommeil. Malgré tout ce que je vous ai dit plus tôt, il est important de comprendre que le centre-Européen est un homme comme un autre, et que le libéralisme a commencé à le ronger comme il l’a fait avec toutes les peuplades tombées entre ses griffes.

En s’appuyant sur l’individualisme et le matérialisme, le libéralisme a contribué à faire tourner la politique centre-européenne intérieure autour de questions essentiellement pécuniaires.

Toutefois, 25 années de libéralisme n’ont pas suffit à éroder suffisamment le vieux bon sens européen, chrétien et travailleur des centre-Européens. Tout comme n’importe quel peuple de la Terre, les centre-Européens ne sont pas fermés à l’autre, mais ne veulent pas de changement significatif qui mettrait en péril leur culture et leur existence. La grande différence, c’est que les élites centre-européennes pensent la même chose… et sincèrement. Car l’argument électoraliste ne tient pas : en France aussi la majorité de la population – alors qu’environ 25% de celle-ci est constituée d’étrangers ! – est contre l’immigration.

Le changement vient d’en haut, c’est en tout cas ma conclusion. Et le Groupe de Visegrád est un bon exemple.

Alors que l’Ouest faisait pression pour accepter les centaines de milliers des clandestins et pour qu’on leur ouvre nos bras et nos frontières, alors que les médias dominants faisaient leur propagande pour dire à quel point c’était une chance que des centaines de milliers d’ingénieurs, de chirurgiens et de grands auteurs, n’est-ce pas, envahissent notre continent, alors que la migration en masse était présentée comme une fatalité à laquelle nous devions nous adapter, les dirigeants du Groupe de Visegrád, et parmi eux, Viktor Orbán en tête – son pays il faut le dire étant le seul sur la ligne de passage de la route des Balkans – les dirigeants d’Europe centrale, donc, ont décidé de parler ensemble d’une même voix tant la question était grave à leurs yeux, pour faire entendre un tonitruant NON.

Mais soyons francs : même la Pologne, qui n’est pas un petit pays, n’a pas, surtout encore en 2015, de gouvernement assez fort pour résister seule à Bruxelles. En revanche, en se serrant les coudes, un champ des possibles s’offre au V4. Viktor Orbán le comprend, et décide d’impliquer ses partenaires dans la défense de la frontière hongroise, pendant qu’en interne, en Hongrie, il met en place une stratégie bien pensée.

Il y a à Budapest une des plus grandes gares d’Europe, la gare de Keleti. Elle est dotée d’un très grand parvis sur deux niveaux. À l’été 2015, alors que jusqu’à 10.000 personnes entraient illégalement chaque jour dans ce pays de 10 millions d’habitants, Viktor Orbán décide d’entasser les clandestins désireux de continuer en train leur périple sur le parvis de cette gare. Mais la gare de Keleti est au centre de Budapest et c’est le premier ou deuxième nœud de transport du pays. Tous les jours, des milliers de Hongrois passent par la station, et ils découvrent le visage caché de l’immigration.

Ils voient bien peu de femmes et d’enfants, pourtant ceux-ci sont essentiellement concentrés là. Ils voient les vols, les menaces, et des comportements très étrangers à la paisible Hongrie. Ils voient les masturbations en public en plein jour, ils voient leurs premiers salafistes, ils voient les vêtements de marque et les téléphones qu’eux ne peuvent se payer.

L’image de l’ingénieur fuyant la guerre avec sa famille, du réfugié affamé et du souriant étranger avide d’intégration en prend un coup. Le bouche à oreille fonctionne, tout le monde a un téléphone intelligent aujourd’hui, et rapidement toute la Hongrie a reçu des images de la réalité grâce à cette manœuvre d’Orbán. Le pays est prêt à tout pour refuser l’immigration massive, incontrôlée et extra-européenne.

La suite, c’est l’expulsion des migrants vers l’Autriche dont le chancelier comparait les méthodes d’Orbán aux heures les plus sombres de notre Histoire… c’est la fermeture de la frontière par une barrière gardée, et la mise en place de lois plus dures contre l’immigration clandestine. Au mois de mars de cette année, seulement 5 migrants ont tenté leur chance. Ça fonctionne.

Mais c’est aussi la prise de conscience du potentiel politique des pays du V4. De leur part, déjà : ils se sont rendus compte qu’ils pouvaient aller contre les oukases bruxellois et, ensemble, faire valoir leur point de vue au lieu de subir séparément dans leur position de pays satellite. Et de la part des élites cosmopolites il y a eu une prise de conscience que ces colonies barbares de l’Europe de l’est n’était pas si disciplinées que ça…

Le V4 est devenu par conséquent un projet stratégique pour les quatre pays, et ils renforcent depuis lors leurs coopérations dans de plus en plus de domaines, allant de l’écologie à la coopération armée, en passant par le développement d’infrastructures de leur propre chef et répondant à leurs intérêts propres comme le développement d’un axe de transport et de transfert énergétique nord-sud.

Non par chauvinisme mais parce que Viktor Orbán est certainement le moteur de cette révolution conservatrice en cours en Europe centrale, initiée par les trois points de mon introduction – histoire commune, désenchantement face à l’Occident, crise migratoire – je vais conclure en revenant sur le rôle joué par le Premier Ministre hongrois qui devrait être réélu demain pour un troisième mandat consécutif.

Viktor Orbán, transformateur de la Hongrie

En 2014, Viktor Orbán exprime sa volonté de, je cite “transformer la Hongrie en démocratie illibérale”. Qu’est-ce que cela signifie ? Eh bien que déjà à l’époque, soit un an avant la crise migratoire et ses conséquences évoquées plus tôt, Viktor Orbán, ancien libéral et dissident au communisme, a décidé d’arrêter d’adapter la société hongroise à la démocratie libérale et à la société ouverte, et au lieu de ça, adapter la démocratie à la Hongrie.

Cela s’inscrit dans ce qu’il avait déjà accompli : renationalisation des secteurs stratégiques, remboursement en avance du FMI et expulsion de celui-ci.

Suite à la vague migratoire, Orbán met en place un climat presque martial dans le pays à travers la communication d’État : il maintient les Hongrois dans un état d’esprit combatif, en désignant tour à tour les ennemis : l’immigration illégale tout d’abord comme on l’a vu, puis Bruxelles et maintenant George Soros.

Cette approche séduit au-delà des frontières, et on parle aujourd’hui d’orbanisation de la Pologne qui a su s’inspirer de Viktor Orbán pour mener ses propres luttes. Ailleurs dans la région, comme en Roumanie ou en Slovaquie, les partis majoritaires, après avoir accru leur patriotisme, s’organisent également pour résister à ladite “société civile” des amis de M. Soros.

Viktor Orbán a senti le vent qui court sur la planète, celui du ras-le-bol de la toute-puissance libérale-libertaire, et a su “droitiser” son discours et sa politique au bon moment. Demain soir, vous verrez si cela paye.

Mais dénoncer n’est pas suffisant, et Orbán va plus loin, il commence à mettre en place des stratégies pour contrer l’influence délétère du néolibéralisme et de la société ouverte.

Les éléments majeurs de sa stratégie sont une politique nataliste, une ouverture au dialogue et au commerce avec des puissances comme la Russie et la Chine, mais aussi l’Asie du Sud-Est et quelques pays d’Afrique.

C’est plus de place accordée aux Églises dans l’éducation et la vie publique – la Hongrie est un pays séculier mais pas laïc.

Et c’est aussi une modernisation et un renforcement de l’armée, ainsi que l’implication de l’armée dans l’éducation nationale et le sport.

Tout cela en mettant en place de nouveaux axes à sa politique internationale : la Hongrie a créé un secrétariat d’État pour aider les Chrétiens persécutés, elle aide les pays des Balkans ne faisant pas partie de l’UE à endiguer l’immigration extra-européenne, notamment par l’envoi de troupes et d’experts et de matériel, et promeut l’aide aux pays d’où partent les migrants pour endiguer le problème à la racine.

Aujourd’hui, Viktor Orbán ne s’encombre plus du politiquement correct, il désigne l’ennemi sans équivoque : “les spéculateurs et financiers internationaux”. Il parle du “danger du remplacement de population”. Il met en garde les siens : à l’Ouest du continent, les jeunes vont devenir une minorité dans leur pays de notre vivant. Il prône explicitement une société globalement homogène ethniquement et culturellement, se basant sur les valeurs chrétiennes, et qui repose sur, je le dis dans le désordre car l’Histoire française a rendu ce triptyque banni des salons, il veut donc une société qui se base sur la patrie, la famille et le travail.

Mesdames et messieurs, l’Europe centrale n’est pas le paradis et elle ne viendra pas sauver la France. Mais le groupe de Visegrád doit être, tant qu’il tient bon, un exemple pas si lointain qui doit donner de l’espoir mais surtout rappeler à chacun qu’il n’y a pas de fatalité en politique. Que ni l’UE ni l’OTAN, ni l’ONU ni George Soros ne sont des excuses pour subir, et que si les politiciens savent s’appuyer sur le bon sens populaire et la volonté naturelle des peuples de préserver leur héritage et leur identité, alors David peut vaincre Goliath. À cœur vaillant rien d’impossible.

Ferenc Almássy

Crédit photo : © Institut ILIADE